En signant le Traité de Lisbonne, qui reprend l’essentiel du Traité Constitutionnel rejeté par référendum, en mai 2005, Nicolas Sarkozy nous a révélé la vraie nature de la démocratie capitaliste. La classe dirigeante ne respecte sa « démocratie » que dans la mesure où elle n’empiète pas sur ses intérêts fondamentaux. 55 % des votants se sont prononcés pour le « non », en 2005 ? Au diable ce référendum ! On maquille légèrement le texte et on l’adopte quand même. Comme le disait le philosophe grec Anacharsis, au VIe siècle avant J.C, « les lois sont comme une toile d’araignée : les petits s’y font prendre et les grands la déchirent. »
Contrairement à ce que prétend Sarkozy, une nouvelle constitution ne mettra pas fin à la « crise de l’Europe ». Les causes fondamentales de cette crise ne résident pas dans une carence constitutionnelle, mais dans la crise du système capitaliste lui-même – et en particulier dans le déclin du capitalisme européen, qui n’a cessé de perdre du terrain, depuis plus d’un demi-siècle, face aux Etats-Unis et aux puissances asiatiques. C’est d’ailleurs précisément cet affaiblissement qui a poussé les capitalistes européens à s’engager dans la construction de l’UE. Pour autant, les rivalités entre puissances européennes n’ont pas cessé – et ne peuvent que s’aggraver, à l’avenir. La récession mondiale qui s’annonce exercera d’insoutenables pressions sur la fragile structure de l’UE.
Si les capitalistes européens veulent une nouvelle constitution, c’est pour réorganiser la représentation des différentes puissances au sein des institutions européennes, de façon à donner une nouvelle expression à la suprématie économique des Etats les plus forts – Allemagne, Grande-Bretagne, France, Espagne et Italie – sur les Etats plus faibles, comme la République Tchèque, la Hongrie ou la Pologne. Et ce n’est donc certainement pas le résultat d’un référendum, en France ou au Pays-Bas, qui les en dissuadera. Il y a des questions trop sérieuses, en ce bas-monde, pour être soumises à la prétendue « souveraineté populaire » !
Sur le contenu du traité lui-même, tout a été dit lors de la campagne référendaire de 2005, notamment grâce au travail d’explication du PCF et de L’Humanité. A la partie strictement « institutionnelle » du texte s’ajoute toute une série de « principes » réactionnaires tels que l’inviolabilité de la « libre concurrence » et de la sacro-sainte « économie de marché ». Comme nous l’écrivions en 2005 : « la constitution cherche à donner un caractère permanent et constitutionnellement “obligatoire” à la destruction de tout ce qui constitue un obstacle à la rentabilité. Les différentes clauses du projet sont, en substance, un manifeste pour le démantèlement des services publics, des industries nationalisées, des systèmes de retraite et de sécurité sociale. »
Le Parti Socialiste
Dès que les intérêts fondamentaux du système capitaliste sont en jeu, l’actuelle direction du PS s’y soumet. Le Bureau National du PS a tranché en faveur du « oui ». Parmi les arguments fallacieux censés justifier cette nouvelle trahison, il en est un particulièrement grotesque : « Sarkozy avait annoncé la couleur, pendant la campagne électorale. Or il a remporté les élections. Donc on respecte l’opinion de la majorité. » On peut aller très loin avec ce type de raisonnement ! Sarkozy avait également annoncé les franchises médicales, la suppression des régimes spéciaux, la limitation du droit de grève et bien d’autres contre-réformes. Faut-il aussi renoncer à s’y opposer, sous prétexte que cela figurait dans le programme de Sarkozy ?
Hollande s’empresse de préciser : c’est un « oui critique ». Que doit-on comprendre ? Que dans les faits, la direction du PS dit « oui » aux intérêts du capitalisme européen, mais qu’elle y adjoint une « critique » – purement verbale – de la misère, du chômage et de la régression sociale qui sont inhérents à ce système. En d’autres termes : « nous n’avons pas d’alternative à l’Europe capitaliste, mais croyez bien que nous sommes navrés du sort qu’elle vous réserve ! »
Un nouveau référendum ?
La direction du PCF a lancé une campagne pour demander au gouvernement Sarkozy d’organiser un nouveau référendum. Si un tel référendum était organisé, La Riposte mènerait campagne pour le « non », comme nous l’avons fait à l’époque du Traité Constitutionnel ou du Traité de Maastricht. Ceci dit, du point de vue du mouvement ouvrier, c’est une erreur d’attribuer une trop grande importance à des traités de ce genre. Avec ou sans le Traité de Lisbonne, le capitalisme réservera le même sort aux travailleurs européens.
En 2005, déjà, les dirigeants du « non de gauche » dramatisaient cet enjeu en plaçant les travailleurs devant l’alternative suivante : si le Traité Constitutionnel est adopté, nous aurons un demi-siècle de réaction ; s’il est rejeté, cela mettra « un coup d’arrêt au libéralisme ». Comme La Riposte l’expliquait à l’époque, cette alternative était fausse. Ses deux termes étaient les deux faces d’un seul et même crétinisme constitutionnel. De fait, le « non » l’a emporté, et qu’avons-nous eu ? Un « coup d’arrêt au libéralisme » ? Non : nous avons eu une avalanche d’attaques patronales, de plans sociaux et de contre-réformes. Inversement, il est absurde d’imaginer que si le « oui » l’avait emporté, cela aurait paralysé la lutte des classes – qui plus est pendant un demi-siècle ! On n’hypnotise pas les travailleurs avec une quelconque constitution.
En fait, le contenu réactionnaire du Traité de Lisbonne – la sacralisation du « marché », etc. – est déjà dans la réalité, sous la forme des politiques anti-sociales menées depuis des années dans tous les pays européens, y compris sous des gouvernements de gauche, dont le gouvernement Jospin de 1997-2002. Après tout, c’est un ministre communiste – Jean-Claude Gayssot – qui a piloté la privatisation d’Air France et d’Airbus. Le PCF a besoin d’un programme contre le capitalisme lui-même, plutôt que de focaliser l’attention des travailleurs sur son ombre constitutionnelle. Le Traité de Lisbonne défend le capitalisme dans le texte, mais le PCF a surtout besoin d’un programme sérieux pour lutter contre le capitalisme dans les faits, ce qui n’est pas le cas actuellement. Le programme actuel du parti n’offre aucune alternative à « l’économie de marché ». Au contraire, il se limite strictement au cadre de la propriété capitaliste des banques, de l’industrie et de l’économie en général.
Les militants du PCF soutiennent l’idée d’un référendum, dans lequel ils voient un moyen de faire échec au Traité de Lisbonne. Encore une fois, s’il y a un référendum sur ce traité, il est évident que les communistes devront se battre pour son rejet. Mais il faudrait se garder de présenter des référendums comme une expression de la « souveraineté populaire » qu’on serait tous tenus de respecter. Le référendum est aussi – et, au regard de l’histoire de la France, surtout – une arme du capitalisme contre les intérêts des travailleurs. Certes, la manœuvre s’est retournée contre ses auteurs, en 2005. Chirac ne croyait pas possible la victoire du « non ». Mais si, demain, par exemple, Sarkozy organisait un référendum pour ou contre le « service minimum », il est possible que la majorité des votants se prononcerait pour. Est-ce que, pour autant, le mouvement syndical devrait se soumettre au soi-disant verdict populaire ? Evidemment pas ! Le suffrage universel ne doit pas être sacro-saint pour les communistes, pas plus qu’il ne l’est pour les capitalistes. Il ne peut pas y avoir d’authentique « souveraineté populaire » dans une société divisée en classes, et dont l’une contrôle tout : l’économie, l’Etat et les médias de masse.
Il faut bien évidemment s’opposer au Traité de Lisbonne. Il faut en dénoncer le contenu réactionnaire. Mais l’axe central d’une campagne sur ce thème devrait consister à présenter une alternative socialiste à l’Europe capitaliste. Dire qu’on est « pour une Europe démocratique, sociale, écologique, progressiste, etc. » est beaucoup trop vague. Constitution ou pas, tant que les banques et l’industrie resteront sous le contrôle d’une poignée de capitalistes, il n’y aura pas de solutions aux problèmes qui frappent la masse de la population européenne. La seule alternative à l’Europe actuelle, qui condamne des dizaines de millions de personnes à l’enfer de la pauvreté, du chômage et de la précarité, c’est une Fédération des Etats Socialistes d’Europe, dans laquelle les travailleurs contrôleront et administreront l’économie dans l’intérêt de la majorité, et non plus d’une poignée de parasites multi-millionnaires.