Les élections municipales en Turquie, le 31 mars dernier, ont été vécues comme un camouflet par le président du pays, Recep Tayyip Erdogan. Certes, L’Alliance de la République, la coalition composée de l’AKP (le parti d’Erdogan) et du MHP (ultranationaliste) a officiellement recueilli 51,6 % des voix, au plan national. Mais elle a perdu Istanbul et Ankara, c’est-à-dire la capitale économique et la capitale politique.
Dans un pays où chaque élection est un référendum pour ou contre Erdogan (en place depuis 2003), ces municipales ont marqué une nouvelle étape dans la fragilisation de son pouvoir.
Clientélisme
« Qui contrôle Istanbul, contrôle la Turquie », disait Erdogan lui-même lorsqu’il en était le maire de cette ville, de 1994 à 1998. Cette formule n’est pas que rhétorique. Istanbul est au cœur du système clientéliste mis en place par l’AKP depuis son arrivé au pouvoir. Le budget annuel de la ville, qui dépasse les 5 milliards d’euros, sert depuis plus de 17 ans à la distribution d’une rente économique à travers des mégaprojets de constructions, au profit d’une nouvelle bourgeoisie conservatrice. La même rente a aussi longtemps cimenté la fidélité d’une partie de l’électorat stambouliote.
Le même schéma se retrouve dans toutes les grandes villes où l’AKP a été battu par L’Alliance de la Nation, coalition (bourgeoise) du CHP (« social-démocrate ») et de l’IYI (ultranationaliste laïque). Celle-ci s’apprête à prendre la tête des villes qui concentrent 70 % du PNB turc.
Crise économique
Mais c’est la crise économique qui menace le plus le pouvoir d’Erdogan. La croissance était de 2,5 % en 2018, mais le PIB s’est contracté de 3 % au dernier trimestre. Les analystes anticipent une récession en 2019. Le chômage augmente et l’inflation atteint les 20 %.
Les travailleurs turcs commencent à réagir, à l’image de 120 ouvrières de l’usine de cosmétiques Flomar : pendant 297 jours (jusqu’au 8 mars dernier), elles se sont rassemblées quotidiennement devant leur usine, dont elles avaient été licenciées parce qu’elles s’étaient syndiquées. Il y a aussi les ouvriers du troisième aéroport d’Istanbul qui, en septembre dernier, ont commencé une grève pour dénoncer les risques liés au chantier de construction (au moins 35 morts). 543 grévistes ont été arrêtés. En janvier, le gouvernement est intervenu pour empêcher 130 000 métallurgistes de commencer une grève. Mais ce n’est que partie remise. La répression ne pourra pas venir à bout d’une classe ouvrière déterminée à se battre.