Ce texte, achevé en janvier 2008, est la deuxième partie du document « Perspectives Mondiales » qui sera discuté et amendé lors du Congrès mondial de la Tendance Marxiste Internationale, en août. Les autres parties seront mises en ligne dans les prochaines semaines.
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Les perspectives pour l’économie mondiale dépendent du maintien d’une croissance forte en Asie. Les commentateurs espèrent que cette croissance sera découplée de la consommation américaine, dont ils anticipent le recul en 2008.
En surface, il pourrait sembler que cet optimisme soit fondé. Les économies asiatiques sont sorties de la crise de 1997-2000, et leur croissance annuelle a été d’environ 7%, en moyenne. En 2007, elles ont contribué pour pas moins de 50% à la croissance mondiale, soit trois fois plus que les Etats-Unis. Cependant, cette dépendance à l’égard des « marchés émergents » est une planche pourrie. Ces économies dépendent lourdement des exportations et de la croissance du marché mondial. La plupart dépendent du marché américain, où elles ont écoulé une quantité croissante de leurs exportations. Or, cela n’était possible que parce que les Etats-Unis vivaient au-dessus de leurs moyens. Cette phase est déjà derrière nous.
L’importance des économies asiatiques sur le marché mondial n’est pas tant l’expression de leur force (exceptée la Chine) que l’expression de l’affaiblissement des Etats-Unis. Le rôle des Etats-Unis, comme moteur de la croissance mondiale, a décliné. Depuis 2000, sa part des importations mondiales est passée de 19% à 14%. La croissance des économies émergentes ne pourra pas compenser un ralentissement américain. La plupart de ces économies vont faiblir, dans la période à venir. Une récession américaine frappera les exportations des économies émergentes.
Il est vrai que la demande intérieure des économies émergentes a augmenté. Dans la première moitié de 2007, la croissance de la consommation des Chinois et des Indiens a davantage contribué au PIB mondial que la consommation américaine.
Il est vrai, aussi, que l’économie japonaise a rebondi. Pour la première fois depuis 1991, de grands industriels japonais annoncent des capacités de production insuffisantes et prévoient d’augmenter de 17% les investissements en capital d’ici mars [2008].
Enfin, les Etats-Unis n’absorbent plus que 23% des exportations japonaises, contre près de 40% à la fin des années 80. Cependant, l’économie japonaise n’en reste pas moins largement dépendante du marché américain. En effet, les entreprises japonaises (comme celles de Corée du Sud et de Taïwan) envoient beaucoup de composants en Chine, qui y sont assemblés avant d’être exportés aux Etats-Unis. Par ailleurs, si une récession américaine aggravait encore la chute du dollar, cela pénaliserait davantage les exportations asiatiques. A cela s’ajoute l’énorme dette publique du Japon, qui ne lui permettra pas de dépenser massivement pour sortir d’une crise. Taïwan, dont la demande intérieure est faible, est également pénalisé par un très important déficit budgétaire.
Ainsi, l’idée d’un « découplage » des économies asiatiques et américaine n’a pas de base solide. Et même si les exportations de la Chine vers les Etats-Unis sont tombées de 34% de ses exportations totales, en 1999, à 25% aujourd’hui (compte-tenu des ré-exportations via Hong Kong), une baisse brutale de la demande américaine aurait toujours de sérieuses conséquences pour la Chine.
Un ralentissement de la croissance américaine frappera la Chine, l’Inde et le Japon. Mais il frappera encore plus durement les plus petites économies asiatiques, telles que Singapour, Taïwan ou Hong Kong, qui dépendent encore plus de la demande extérieure. Or, toute l’Asie est interconnectée, et le krach de 1997 a montré que lorsqu’une crise commence, elle se propage dans un pays après l’autre.
Il y a 10 ans, le 2 juillet 1997, la Banque Centrale Thaïlandaise a laissé flotter sa monnaie après avoir échoué à la protéger contre une attaque spéculative, ce qui a déclenché un effondrement économique et financier qui s’est rapidement propagé aux autres économies de la région, provoquant des contractions sévères du PIB, des faillites et des licenciements massifs. Cela a précipité la crise financière asiatique de 1997-98, qui par la suite a affecté des pays comme la Pologne, la Turquie, le Brésil et l’Argentine. Aujourd’hui, tous se félicitent d’être sortis de cette crise. Mais le même type de scénario pourrait facilement se reproduire à une échelle encore plus vaste.
La Chine
L’économie chinoise a enchaîné des taux de croissance annuelle de 11% par an – bien qu’elle ait récemment ralenti à « seulement » 10%. A la différence des Etats-Unis, dont la croissance reposait sur l’endettement, la Chine a massivement développé les forces productives. Comme marxistes, nous considérons cette croissance comme une chose positive, car elle a développé et renforcé la gigantesque classe ouvrière chinoise.
En 2004, la Chine est passée devant les Etats-Unis en terme d’exportations de biens de haute-technologie. On estime qu’en 2015, la Chine aura davantage de scientifiques et d’ingénieurs que tous les autres pays réunis. Si les tendances actuelles étaient maintenues, en 2020, la Chine dépenserait davantage en recherche et développement que l’Union Européenne. Elle est déjà le plus grand marché de circuits intégrés au monde – ce qui concerne la production d’ordinateurs, de téléphones, de réfrigérateurs, de climatisations, etc.
La bourgeoisie mondiale a tiré d’énormes profits de son intervention économique en Chine. Celle-ci a occupé la position qui était réservée à la Russie après l’effondrement du stalinisme. Les capitalistes ont massivement investi, en Chine, dans de nouvelles usines et machines. En conséquence, ils y ont créé une puissante industrie moderne. La main d’œuvre à très bas prix et la haute technologie importée des Etats-Unis, d’Europe et du Japon se combinent pour constituer une formidable capacité productive. Le lancement de satellites, par exemple, avait une signification à la fois économique et militaire.
Le problème, pour les capitalistes, c’est que toutes ces entreprises modernes, à Guandong et Shanghai, produisent une masse de marchandises – télévisions, ordinateurs, téléphones portables, puces électroniques, et désormais voitures – qui doivent trouver un marché. Il est vrai que l’extraction de la plus-value est réalisée dans les entreprises. Mais pour effectivement encaisser la plus-value extraite de la force de travail, les capitalistes doivent vendre les marchandises produites.
Certes, ces dernières années, le marché domestique chinois s’est considérablement développé. Cependant, la Chine dépend toujours beaucoup du marché mondial, et en particulier du marché américain. Une contraction brutale de la demande américaine frappera sévèrement l’économie chinoise, ce qui aura un « effet domino » sur Taïwan, la Corée et le reste de l’Asie, qui exportent des biens en Chine, où ils sont assemblés et ré-exportés aux Etats-Unis et en Europe.
La Chine a énormément bénéficié de sa participation au marché mondial. Mais cela a également créé de nouvelles contradictions – comme par exemple l’inflation, qui jusqu’alors n’existait pas en Chine. L’inflation tourne désormais autour de 6,5%, un chiffre très élevé pour la Chine. Il y a eu des grèves pour protester contre les bas salaires. Récemment, l’augmentation du prix du pétrole a provoqué des émeutes. Le gouvernement a pris peur et a demandé aux entreprises d’Etat de mettre davantage de pétrole sur le marché. Mais comme l’écrivait The Economist, les entreprises en question sont désormais « les esclaves du marché ».
A long terme, la puissance économique de la Chine s’élèvera au niveau des Etats-Unis. Mais ceux qui prédisent un tel développement à court terme se trompent. Les économistes bourgeois faisaient déjà cette erreur à propos du Japon, dans les années 80, sur la base de la même méthode fausse consistant à extrapoler vers l’avenir des tendances passées. L’économie japonaise s’est effondrée et a traversé plus de dix années de crise, dont elle vient à peine de sortir. La même chose peut arriver à la Chine.
La puissance de la Chine est inégale. Elle a beaucoup de faiblesses. Les fonderies d’acier et de fer chinoises ne peuvent satisfaire qu’une petite fraction de la demande. Par ailleurs, la majorité de la population – en particulier dans les zones rurales – vit toujours dans une extrême pauvreté. Dans les villes, il y a au moins 150 millions de chômeurs. Par ailleurs, comme le remarquait récemment The Economist, « beaucoup de biens électroniques sont fabriqués en Chine, mais ce n’est pas de là que vient la plupart de la valeur ajoutée ».
Prenons un exemple. L’iPod 30-Giga version vidéo est fabriqué en Chine par une entreprise taïwanaise. Il est composé de 424 éléments et coûtait 224 dollars en 2005. Parmi ces 424 éléments, 300 coûtent un cent ou moins. Mais le module qui coûte 30 dollars est fabriqué au Japon. Le travail chinois n’ajoute que 3,7 euros de valeur. En ce qui concerne le marché domestique, il est limité par le très faible pouvoir d’achat de la grande majorité des Chinois. A peine 15% des biens électroniques sont vendus sur le marché domestique.
Chaque année, l’industrie chinoise fabrique d’immenses quantités de marchandises. Reste que ces marchandises doivent trouver preneur. Une récession du marché américain frappera durement les exportations chinoises – non seulement les exportations directes aux Etats-Unis, mais également via l’Asie. En fait, les économies asiatiques n’ont cessé de dépendre toujours plus des exportations aux Etats-Unis.
Stephen Roach estime que depuis 1980, la part des exportations dans la croissance est passée de 20 à 45%. Sur la même période, la part de la consommation dans la croissance est tombée de 67% à 50%. Si ses exportations aux Etats-Unis devaient ralentir, l’économie chinoise pourrait maintenir un taux de croissance de 8%. Mais elle ne pourrait pas devenir le principal moteur de la croissance mondiale. Dans ce domaine, l’économie américaine reste décisive.
Le déclin du dollar
Au sommet d’un boom, on pourrait s’attendre à une croissance de la production, de l’emploi, des profits, des salaires et des prix. Or, la dernière phase de croissance s’est caractérisée par une stagnation des salaires, des profits record et une inflation relativement faible. C’est essentiellement dû aux effets de la « globalisation », qui a intégré un très grand nombre de travailleurs mal payés et produisant des biens à bas prix – soit directement sous forme de marchandises, soit sous forme de composants (de voitures, télévisions, ordinateurs, etc.)
Cette participation accrue au marché mondial a stimulé la production, ouvert de nouveaux marchés et de nouvelles zones d’investissements profitables. Cela a également exercé une pression à la baisse sur les salaires et les prix, maintenant l’inflation en-dessous du niveau auquel on aurait pu s’attendre à ce stade du cycle économique. Du même coup, cela a permis aux banquiers de maintenir de bas taux d’intérêt, alimentant le boom du crédit. La plus grosse bulle spéculative de l’histoire s’est alors constituée : le boom de l’immobilier aux Etats-Unis et en Europe, qui a gagné tous les autres continents. C’est là un très important élément d’instabilité.
Tout ceci a désormais atteint ses limites. Les prix commencent à monter, en particulier le pétrole – et dans ce dernier cas, essentiellement du fait d’une forte demande en Chine et dans d’autres économies émergentes. Cela représente les 4/5e de la croissance totale de la consommation de pétrole, au cours des cinq dernières années. Lors des récessions américaines passées, le prix du pétrole chutait, généralement. Cette fois-ci, il pourrait se maintenir très haut, ce qui réduira la demande aux Etats-Unis et en Europe. L’économie mondiale se trouvera confrontée à une combinaison d’inflation et de ralentissement économique – ce qu’ils appellent la « stagflation ».
Les capitalistes bourgeois se sont efforcés de sortir de la crise en laissant le dollar chuter. En théorie, un dollar faible stimule les exportations et favorise l’économie américaine au détriment de ses rivales. Mais les exportations ne comptent plus que pour 12% du PIB américain. C’est trop faible pour compenser le ralentissement de la consommation des ménages, qui compte pour 70% du PIB. Les baisses de taux d’intérêt ne seront, au mieux, qu’un palliatif temporaire. Elles ne relanceront pas le marché domestique. La fête est finie. Après s’être brûlé les doigts, les banques durcissent l’accès au crédit. Les stocks de logements sont à des niveaux records. La chute des prix de l’immobilier affectera la consommation des ménages, provoquant une contraction de la demande. L’effet réel de la baisse des taux d’intérêt sera une augmentation de l’inflation.
La chute du dollar s’est poursuivie – atteignant les 1,50 euros. Sans l’énorme soutien des banques centrales d’Asie, le dollar chuterait encore plus. Or ce soutien ne peut durer indéfiniment. L’économie américaine est malade. Ses fondations sont pourries. Si n’importe quel autre pays affichait de tels niveaux d’endettement public et privé, la Banque Mondiale et le FMI exigeraient immédiatement un plan d’austérité. Mais comme ces institutions du capitalisme mondial sont contrôlées par Washington, cela n’arrivera pas. Cependant, tôt ou tard, la « main invisible du marché » prendra sa revanche sur le tout-puissant capitalisme américain.
De fait, la chute du dollar constitue la plus grande banqueroute de l’histoire. C’est une immense fraude. Au fur et à mesure que les investisseurs mesureront l’affaiblissement de la puissante économie américaine, ils se demanderont s’il est raisonnable de conserver une si grande part de leurs investissements en dollars.
La Chine – et d’autres – se détachent déjà du dollar. Des pays d’Asie et du Moyen-Orient dont les monnaies sont liées au dollar font face à une inflation croissante. Dans le même temps, la chute des taux d’intérêt américains rend plus difficile, pour eux, de resserrer leur propre politique monétaire. Ils seront finalement forcés de laisser leur monnaie monter contre un dollar affaibli. Cela signifie qu’ils achèteront moins de dollars.
L’économie américaine défie les lois de la gravité. Elle est tellement malsaine qu’il est impossible que la situation actuelle dure très longtemps. A un certain stade, les investisseurs étrangers vont s’inquiéter de la valeur réelle des bons et des dollars qu’ils possèdent. Et pourquoi voudraient-ils prêter de l’argent à des taux d’intérêt bas, dans une monnaie dont la valeur décline, alors qu’ils peuvent investir à des taux plus élevés dans une monnaie dont la valeur augmente ?
Ralentissement ou récession ?
Même dans le scénario le plus optimiste pour le capitalisme, la croissance de l’économie mondiale ralentira. Dans le pire des cas, il y aura une récession mondiale. Les économies émergentes – en particulier l’Asie – possèdent de larges réserves de devises étrangères : pas moins des trois-quarts du total de ces devises. C’est surtout dû à l’endettement massif des Etats-Unis. Aujourd’hui, la Chine et d’autres pays d’Asie possèdent d’énormes quantités de dollars et de bons du Trésor américain. Il n’est pas dans leur intérêt de provoquer un effondrement économique aux Etats-Unis, et les Américains parient là-dessus. Mais il y a des limites à tout. Tôt ou tard, la fragilité de l’économie américaine provoquera une baisse massive des investissements en dollars, à l’échelle internationale. Sans parvenir à faire revenir l’argent sur les marchés, des baisses de taux d’intérêt fragiliseront encore plus le dollar.
En abaissant les taux d’intérêt, la Réserve Fédérale joue avec le feu. Le reste du monde ne sera pas indéfiniment disposé à financer la tendance des Etats-Unis à consommer beaucoup plus qu’ils ne produisent. On commence à en voir les premiers signes. Paradoxalement, il semble que les premiers à paniquer soient les Saoudiens, qui sont les principaux alliés de Washington dans le monde arabe et ont d’énormes investissements aux Etats-Unis. Pour le première fois, l’Arabie Saoudite a refusé d’abaisser ses taux d’intérêt dans la foulée de la Fed, signalant ainsi que le Royaume pétrolier se prépare à rompre son alignement monétaire sur le dollar. Cela pourrait déclencher une vague de panique contre le dollar dans tout le Moyen-Orient.
De son côté, le gouvernement chinois a engagé une campagne concertée de menaces économiques contre les Etats-Unis. Il se dit prêt à liquider ses énormes réserves de bons du Trésor américain si Washington impose des sanctions destinées à forcer une réévaluation du yuan. Henry Paulson, le Secrétaire au Trésor américain, a dit qu’un tel scénario « pourrait ouvrir un cycle de mesures protectionnistes ». Tel est bien le principal danger auquel font face les Etats-Unis et l’économie mondiale. Or, ce sont précisément des mesures protectionnistes, une guerre commerciale et des dévaluations compétitives qui ont transformé la crise de 1929 en une Grande Dépression qui a duré une décennie – jusqu’à ce qu’éclate la seconde guerre mondiale.
La chute du dollar pèse sur l’Union Européenne, dont la compétitivité est pénalisée non seulement face aux Etats-Unis, mais aussi face à la Chine et à d’autres pays asiatiques dont les monnaies sont alignées sur le dollar. Les capitalistes européens protestent et, eux aussi, agitent la menace de sanctions protectionnistes contre la Chine si elle ne prend pas des mesures pour réévaluer le yuan. Lorsque la récession aura commencé, ces tendances protectionnistes se développeront.
Des chocs inévitables
Les économistes bourgeois se plaisent à présenter l’affaiblissement du dollar comme une « correction » nécessaire. Ils disent la même chose de la crise immobilière, de la crise des subprimes, de la crise de la Northern Rock – et ainsi de suite. Ce serait autant de « corrections » qui vont d’elles-mêmes résoudre les problèmes. Or, en fait, ce sont avant tout des symptômes – comme les symptômes avant-coureurs d’une profonde maladie, ou encore ceux qui annoncent un séisme.
Il est possible de présenter un séisme comme une simple « correction » ré-ajustant la croûte terrestre. Après quoi tout revient dans l’ordre et la vie reprend. Mais cette analyse apaisante fait l’impasse sur les énormes dommages que peut provoquer un séisme : les villages dévastés, les récoltes perdues, les arbres arrachés, les milliers de morts et de blessés. Qui plus est, la vie normale ne reprend pas toujours facilement, après un séisme. Certains sont si dévastateurs que leurs conséquences se prolongent pendant de nombreuses années.
La crise n’a pas été évitée. Et ce n’est qu’un début. Désormais, après des années de faible inflation et de crédits faciles, nous allons assister à un assèchement du crédit et à des hausses de taux d’intérêt. Cela aura plusieurs effets. D’un côté, le crédit plus cher et plus rare sapera la demande en réduisant le pouvoir d’achat des ménages, aux Etats-Unis comme en Europe. D’un autre côté, combinée à une hausse inévitable de l’inflation, la cherté des crédits affectera négativement les profits des capitalistes, ce qui mènera à un ralentissement de la production – et finalement à une récession.
Pour commencer, une chute des profits des banques provoquera des suppressions d’emploi dans le secteur financier, ce qui affectera les prix de l’immobilier. Cela mènera à une nouvelle contraction de la demande, ainsi qu’à l’augmentation du chômage et à des faillites dans l’industrie de la construction. Des secteurs comme l’acier, les briques et le ciment seront frappés. La hausse vertigineuse des marchés boursiers et de l’immobilier, au cours de la dernière période, a préparé les éléments d’une chute équivalente. Il y aura des saisies d’hypothèques, des faillites et des pertes massives – malgré l’action de la Fed.
Les banques d’investissement espèrent que des baisses de taux d’intérêt relanceront les marchés boursiers. Mais de telles baisses ne résoudront pas les problèmes fondamentaux. Elles ne règlent pas l’insolvabilité de nombreux propriétaires, d’organismes de crédit, de fonds de pension et de banques. Loin de résoudre les problèmes, elles les aggraveront.
Le marché américain est déjà en manque de liquidités, en conséquence de la politique menée en son temps par Alan Greenspan, qui a produit la bulle immobilière – la plus grande bulle spéculative de l’histoire. En réduisant le coût du crédit, la Fed a créé une nouvelle extension du crédit et un endettement à tous les niveaux.
D’ores et déjà, plus d’un million de logements sont menacés ou ont été perdus par leur propriétaire. Des millions de pauvres américains ont perdu leur logement. Des millions d’autres luttent pour payer leur crédit immobilier, alors que leur maison ne vaut plus le prix qu’ils ont payé. Un journaliste prédisait récemment l’émergence, aux Etats-Unis, d’une sous-classe d’esclaves de l’endettement.
En moyenne, le travailleur américain produit aujourd’hui 30% de plus qu’il y a 10 ans. Et pourtant, les salaires stagnent depuis six ans. L’inflation signifie une baisse des salaires réels. Cela vaut également pour les retraites et les autres revenus fixes. Même sans une récession, les travailleurs américains seront confrontés à une érosion de leur niveau de vie. De très nombreux Américains luttent déjà pour simplement joindre les deux bouts. Sur des millions d’entre eux pèse la menace de perdre leur emploi ou leur logement. Cela finira par provoquer une vague de grèves et de conflits de classe tels que les Etats-Unis n’en ont pas connu depuis les années 30.
La crise internationale qui avait commencé sur les marchés monétaires asiatiques, en 1997, avait provoqué une vague de turbulence qui s’est propagée au monde entier. Elle avait eu de profondes conséquences politiques dans des pays comme la Russie – et en particulier sur le continent latino-américain. Les contrecoups de cette crise avaient provoqué l’effondrement de l’économie argentine, en 2001, qui a eu des conséquences révolutionnaires. La même chose peut se produire de nouveau.
Même s’ils échappent à une récession, les capitalistes ne peuvent espérer mieux qu’une période de ralentissement de la croissance, qui provoquera de nouvelles tensions sociales et politiques. Le boom actuel n’a rien à voir avec la croissance des années 1948-73. Celle-ci se caractérisait – du moins dans les pays capitalistes développés – par le plein emploi, une augmentation des niveaux de vie et une atténuation de la lutte des classes. Ce n’est pas le cas aujourd’hui.
Les travailleurs sous pression
C’est un boom aux dépens de la classe ouvrière. Les entreprises ont bénéficié de l’extension du marché international de la main d’œuvre, qui a été favorisée par l’intégration de l’Inde et de la Chine dans l’économie mondiale. C’est cela qui a maintenu le couvercle sur les revendications salariales. Partout les salaires ont été réduits, et les bénéfices ont augmenté aux dépens des salaires.
Cependant, la demande finira par souffrir d’un tel scénario. Pendant un certain temps, les ménages sont parvenus à conserver leur style de vie en empruntant. Mais c’est « du pain aujourd’hui et la faim pour demain ». Au final, cela mènera à une crise globale de surproduction. La faiblesse relative des réserves financières des consommateurs pousse les investisseurs vers des biens comme les métaux, jusqu’alors considérés comme « démodés ».
Le boom reposait sur une intensification de l’exploitation, des coupes sociales et des attaques contre les droits des ouvriers. Partout, nous voyons les mêmes phénomènes. La croissance et les profits record ne se traduisent pas par une augmentation du niveau de vie et des réformes progressistes, mais par une pression constante sur les travailleurs et le pillage systématique du tiers-monde. Les inégalités ont atteint des niveaux sans précédent. Selon une étude d’un institut de recherche des Nations-Unies, les 2% des adultes les plus riches au monde possèdent plus que la moitié de tous les ménages.
Cette étude précise que la moitié la plus pauvre de la population mondiale possède à peine 1% de la richesse globale. C’est une confirmation saisissante de ce que Marx écrivait dans Le Capital : « L’accumulation de richesse à un pôle signifie donc en même temps une accumulation de misère, d’esclavage, d’ignorance, de brutalité et de dégradation morale à l’autre pôle ».
Les riches deviennent toujours plus riches – et les pauvres toujours plus pauvres. Les promesses grandioses d’en finir avec la pauvreté apparaissent comme autant de vœux pieux. Selon les chiffres de l’ONU, 1,8 milliard de personnes vivent dans la pauvreté. Parmi eux, huit millions meurent chaque année parce qu’ils n’ont pas assez d’argent pour rester vivant. Des millions d’enfants meurent tous les ans de maladies comme les diarrhées, provoquées par le manque d’eau potable.
En Amérique latine, il y a eu des taux de croissance élevés, au cours de la dernière période. Ceci a débouché sur un énorme accroissement des profits et une richesse obscène à une extrémité de la société, ainsi que sur une augmentation de la pauvreté, de l’exploitation et du désespoir à l’autre extrémité – exactement comme Marx le prévoyait. L’homme le plus riche au monde n’est pas l’Américain Bill Gates, mais le Mexicain Carlos Slim. Partout, à travers le monde, nous voyons les mêmes inégalités et polarisations extrêmes entre les classes. En Amérique latine, cela provoque des explosions révolutionnaires. Mais l’Amérique latine nous montre, comme dans un miroir, ce qui attend le reste du monde. C’est la principale chose que nous devons garder à l’esprit.
Dans la période à venir, une profonde récession n’est pas exclue. Toutes les conditions d’un tel scénario mûrissent, à l’échelle mondiale. Ce développement pourrait avoir pour effet immédiat de paralyser la classe ouvrière. Dans des conditions de chômage massif, les grèves économiques n’ont pas beaucoup de sens. Les patrons fermeraient simplement les usines. Cependant, ceci peut mener à une vague d’occupations d’usines. Cela s’est déjà produit, non seulement en Amérique latine, mais au Canada – avant même qu’une récession commence.
Surtout, une récession aura pour effet de transformer la psychologie des masses. Les ouvriers commenceront à tirer des conclusions révolutionnaires, et ceci trouvera une expression sur le plan politique et dans les organisations de masse de la classe ouvrière.
L’économie n’est pas une science exacte. Il est impossible de prévoir précisément le rythme du cycle économique. Tout ce que nous pouvons faire, c’est expliquer les tendances fondamentales et préparer, armer les cadres du marxisme. Le principal, c’est de comprendre que les chocs et les crises soudaines sont inhérents à l’ensemble de la situation. Une crise peut éclater à tout moment, dans n’importe quelle partie du globe, sans prévenir, comme un éclair dans un ciel bleu. Ce qui compte, c’est que nous soyons prêts, que nous puissions expliquer ces événements aux éléments les plus conscients des travailleurs et de la jeunesse, et que nous tirions profit de chaque opportunité qui se présente pour construire la Tendance Marxiste.
Notre but est d’analyser la crise générale du capitalisme dans le but d’intervenir. Et pour intervenir, nous avons besoin de forces. Nous devons construire ces forces. Dans le passé, nous étions la plupart du temps spectateurs. Par exemple, pendant la période d’Allende, au Chili, notre analyse était absolument correcte – mais nous étions seulement des spectateurs. Nous ne participions pas aux événements. Aujourd’hui, au Pakistan, nous sommes une force. Au Venezuela, nous disposons d’une force croissante qui a établi des points d’appui importants. Au Mexique, nous avons un groupe exceptionnel qui intervient très efficacement dans le mouvement de masse. Ceci affecte entièrement le caractère de nos discussions.
Janvier 2008