Contrairement à ce que prétendent les apologues du capitalisme, la crise actuelle n’est pas un accident de parcours, mais une crise profonde et organique du capitalisme mondial. La contradiction fondamentale peut être formulée simplement : la classe capitaliste ne peut pas faire de concession sérieuse aux travailleurs, cependant que les travailleurs ne peuvent pas tolérer de nouvelles régressions. Les capitalistes ne peuvent tenter de sortir de la crise qu’au détriment de la classe ouvrière des pays industrialisés et des masses appauvries du soi-disant Tiers-monde. Telle est la base objective d’une explosion de la lutte des classes à travers le monde. Pour le moment, la conscience est très en retard sur les conditions objectives. C’est la raison fondamentale de la faiblesse actuelle de la tendance révolutionnaire. Mais la conscience des masses rattrapera brutalement son retard. La base du réformisme s’effondrera.
Inévitablement, les périodes de grands bouleversements affectent de façon fondamentale les organisations de masse de la classe ouvrière. Partout, la période précédente a été marquée par la domination des organisations de masse par le réformisme de droite. Cela reflétait en partie les conditions objectives, et en partie le retard de la conscience de la classe ouvrière. Mais la crise actuelle coupe l’herbe sous les pieds des réformistes. La base du réformisme, ce sont les réformes. Mais le réformisme sans réforme - en fait, le réformisme avec des contre-réformes - n’a de sens pour personne. Cette contradiction mène tout droit à des crises et de grandes scissions au sein des organisations réformistes. A un certain stade, les réformistes de droite (Blair, Fabius, etc) seront poussés hors des organisations de masse. Cela ouvrira la voie à une période de réformisme de gauche, et même de centrisme. Dans de telles conditions, la tendance marxiste pourra se développer très rapidement.
L’expérience de la révolution espagnole de 1931-37 est une source d’enseignement précieuse sur la façon dont les organisations de masse reflètent le mouvement général de la classe ouvrière. Les dirigeants du Parti Socialiste Espagnol avaient collaboré avec la dictature de Primo de Rivera. Largo Caballero, le dirigeant de l’UGT, le syndicat socialiste, a même été ministre sous la dictature, pendant une brève période. Entre 1931 et 1933, des ministres socialistes participaient au gouvernement qui réprimait brutalement les soulèvements des ouvriers et paysans anarchistes. Cependant, en 1934, les socialistes, sous Largo Caballero, ont organisé la commune des Asturies.
Un an plus tard, les Jeunes Socialistes, une organisation de 100 000 membres, se sont prononcés contre la deuxième et la troisième internationale, et en faveur de la quatrième internationale. Ils ont même demandé aux Trotskystes espagnols de les rejoindre et de les former aux idées du bolchevisme. Mais Andres Nin a décliné l’offre, sous prétexte qu’il n’était pas pensable de rejoindre la social-démocratie. A cause de ce refus, une opportunité en or fut gâchée, et les Jeunes Socialistes ont été gagnés par les staliniens. Cela a scellé le sort de la révolution espagnole. Trotsky rompit toute relation avec Nin, dont il considérait que la politique était une trahison.
Dans la période actuelle, le rôle des organisations de masse est une question décisive. Du fait de l’histoire des cinquante dernières années, les organisations réformistes ont des réserves sociales colossales, alors que les forces du marxisme authentique ont décliné. Il faudra du temps et l’expérience de grands évènements pour que cette situation change. Mais une chose est absolument claire : la crise du capitalisme provoquera des scissions et des bouleversements dans toutes les organisations de masse. La polarisation de la société entre la droite et la gauche se reflétera inévitablement dans une même polarisation au sein des organisations de masse - et non seulement dans les organisations syndicales, mais également dans les partis réformistes.
La force du réformisme n’est pas accidentelle. Elle s’enracine dans les conditions objectives - ou, pour être plus précis, dans les conditions objectives de la période précédente. La conscience actuelle de la classe ouvrière de pays capitalistes avancés a été façonnée par des décennies de réformes et de relative amélioration du niveau de vie. Bien sûr, les contradictions de classes n’avaient pas été abolies, mais elles étaient partiellement atténuées. La lame de la lutte des classes était émoussée. Les organisations de masse - en particulier à travers leur couche dirigeante - ont subi la pression de la classe capitaliste. Toutes sortes d’idées bourgeoises et petites-bourgeoises ont pénétré le mouvement.
Ces phénomènes reflétaient une certaine mollesse dans la conscience des travailleurs, y compris d’une partie des travailleurs activistes, qui avaient oublié les dures leçons du passé. La situation leur semblait normale, alors qu’en réalité il s’agissait d’une exception historique. Mais à présent, le capitalisme en revient à sa norme historique. Le masque riant de la social-démocratie va être rejeté pour laisser paraître le visage rapace et monstrueux de la classe capitaliste. Les attaques actuelles contre les budgets sociaux et le militarisme agressif de l’impérialisme américain ne sont qu’une anticipation de ce à quoi nous devons nous attendre.
Dans la période précédente, le réformisme sous toutes ses formes - keynésianisme, féminisme, pacifisme, nationalisme noir, etc - ont émoussé la conscience de la classe ouvrière et l’ont détournée de la lutte pour le socialisme, de la politique révolutionnaire. Mais dès lors que le vent frais de la lutte des classes recommencera à souffler, tout cela sera balayé. Dans les durs combats de classe à venir, tout ce que la conscience de la classe ouvrière compte de tendances molles, serviles et conciliatrices sera déraciné. Les travailleurs finiront par comprendre le sérieux de la situation, et que seule une transformation révolutionnaire de la société peut résoudre leurs problèmes.
La vague de grèves, de manifestations massives et de grèves générales qui a traversé l’Europe au cours de ces deux dernières années n’avait rien d’accidentel. C’est le symptôme du début d’un réveil de la classe ouvrière. Dans ses écrits de 1930 sur l’Espagne, Trotsky soulignait qu’il s’agit d’un stade absolument inévitable. Mais il soulignait également que même la plus solide des grèves ne peut rien résoudre de fondamental - sans parler d’une grève qui se solde par une défaite. Sans un changement fondamental dans la société, les grèves et les manifestations ne peuvent résoudre les problèmes de la classe ouvrière. La crise du capitalisme a atteint un tel degré que les capitalistes ne peuvent pas faire de concession sérieuse. A travers l’expérience de nombreuses luttes, la classe ouvrière, et d’abord son avant-garde, commencera à réaliser que des actions plus sérieuses, plus politiques, sont nécessaires. Ils commenceront alors à tirer des conclusions révolutionnaires.
Pour que la psychologie de la classe ouvrière change, de grands évènements sont nécessaires. Après une longue période d’inactivité, la classe ouvrière a besoin d’étirer ses muscles. Les nouvelles générations ont besoin d’apprendre de dures leçons avant de réaliser le sérieux des tâches qui les attendent. Cela va prendre du temps. C’est un processus analogue à l’échauffement d’un athlète. Les grèves générales et manifestations de masse des ces dernières années correspondent à peu près à ce genre d’exercices préparatoires. Elles ne sont que le prélude à de plus sérieux mouvements.
Le problème principal est l’extrême faiblesse du facteur subjectif - le parti et la direction. S’il existait un parti ou une tendance marxiste reconnue, les travailleurs, à commencer par la couche des travailleurs actifs dans les syndicats et les partis de masse, apprendraient beaucoup plus vite. Mais l’autorité du marxisme a été sapée par des décennies de stalinisme - puis par l’effondrement de l’Union Soviétique. Tout le mouvement a marqué un recul temporaire. Pendant des décennies, les forces du marxisme authentique ont été réduites à une petite minorité largement isolée de la classe ouvrière. C’est la principale cause de la lenteur du processus. Mais le rythme des évènements est déjà en train d’accélérer. Ce sera encore plus le cas à l’avenir. La combinaison des événements et du patient travail de la tendance marxiste nous permettra de franchir le fossé entre les travailleurs et les marxistes, et de pénétrer le mouvement de masse à tous les niveaux. C’est la seule façon de construire avec succès le mouvement révolutionnaire.
Il va sans dire que la majorité des travailleurs ne sont pas des marxistes. Même les éléments les plus avancés du mouvement syndical ne disposent pas de l’avantage d’une perspective scientifiquement élaborée. Aussi sont-ils facilement sensibles aux atmosphères de désillusion, de scepticisme et de désespoir. Il faut rester ferme face à de telles humeurs, qui parfois peuvent même affecter les marxistes. Il est nécessaire de mener une lutte idéologique implacable pour mettre le mouvement à l’abri d’idées étrangères et renforcer les fondations théoriques de la tendance révolutionnaire. C’est la condition fondamentale dont tout le reste dépend.
Il est bien évident que, dans la lutte des classes, des flux et des reflux sont inévitables. Les travailleurs ne peuvent pas être constamment en grève ! Le mouvement ne peut être maintenu dans un état d’ébullition permanent. Seules les sectes d’extrême gauche s’imaginent cela. Il y aura inévitablement des pauses, au cours desquelles les travailleurs chercheront à dresser le bilan de leurs actions et à préparer l’étape suivante. Mais l’agressivité du patronat signifie que de telles pauses ne seront que le prélude à des nouveaux et plus tumultueux mouvements.
Partout, les patrons sont à l’offensive. Les causes n’en sont pas subjectives. Cela reflète la crise du capitalisme, qui ne permet pas de faire des réformes significatives. Nous sommes entrés dans période de lutte des classes intense, au cours de laquelle la seule façon, pour les travailleurs, de gagner des concessions, sera l’action militante. Par le passé, les travailleurs des pays capitalistes avancés pouvaient assez facilement obtenir d’importantes concessions. Souvent, ils n’avaient même pas besoin de faire grève : la simple menace de grève suffisait à faire reculer les patrons. Mais ces jours sont révolus.
Il y a dix ans à peine, l’effondrement du mur de Berlin rendait la classe capitaliste euphorique. Elle rêvait d’un futur de paix, de prospérité et démocratie dans le monde entier. A présent, tous ces rêves ont été réduits à l’état de cendre. Le vieil ordre s’écroule sous nos yeux. Les crises et les chocs se succèdent à une très grande vitesse. Rétrospectivement, l’effondrement du stalinisme sera considéré comme le prélude d’un drame historique beaucoup plus vaste. Les grands évènements auxquels on a assisté en Europe de l’Est, lorsque les masses sont descendues dans la rue pour demander un changement de régime fondamental, se répéteront à une échelle beaucoup plus vaste à Londres, Paris et New York. Les conditions seront réunies pour une victoire de la révolution socialiste dans un pays après l’autre. Etant donné le degré d’interpénétration de l’économie mondiale, ce serait le signal pour des mouvements révolutionnaires à l’échelle mondiale.
L’époque actuelle est unique dans l’histoire de l’humanité. Les révolutions de 1848-49 n’ont affecté que l’Europe. La vague révolutionnaire qui a suivi la révolution bolchevique de 1917 a affecté l’ensemble de l’Europe, et a eu des échos importants en Perse, en Inde, en Egypte, en Turquie et en Chine. Mais désormais, l’unification du monde a atteint un degré inédit. Les apologues du capitalisme se félicitaient de la mondialisation. Mais la mondialisation se manifeste désormais comme crise mondiale du capitalisme. Cela crée les conditions pour de mouvements révolutionnaires de la classe ouvrière à l’échelle mondiale. L’époque actuelle est celle de la révolution mondiale.