Le capitalisme est en crise à l'échelle mondiale. La classe dirigeante attribue la crise au coronavirus. Mais ce virus ne fait que faire remonter à la surface les contradictions qui se sont accumulées depuis des décennies au sein du système capitaliste. Cela ouvre une nouvelle période historique de turbulences, d'instabilité et de lutte des classes intense.
Ce document a été écrit à l'automne 2019 et adopté par le Comité exécutif international de la Tendance Marxiste Internationale en janvier 2020. Bien qu'il ait été préparé bien avant l'épidémie du Covid-19, il montre toutes les contradictions sous-jacentes qui se révèlent dans la crise actuelle. Nous recommandons à tous nos lecteurs de lire ce document afin de mieux comprendre l'époque dans laquelle nous sommes entrés.
Le Manifeste communiste s’ouvre sur une phrase célèbre : « Un spectre hante l’Europe ». C’était en 1848, une année de soulèvements révolutionnaires en Europe. Mais aujourd’hui, un spectre hante non seulement l’Europe, mais le monde entier. C’est le spectre de la révolution. La révolution mondiale n’est pas une phrase vide de sens. Elle décrit avec précision la nouvelle étape dans laquelle nous entrons.
Rappelons simplement les événements des douze derniers mois. Des soulèvements révolutionnaires ont éclaté en France, en Catalogne, en Iran, au Soudan, en Algérie, en Tunisie, à Hong Kong, en Equateur, au Chili, en Haïti, en Irak et au Liban où les masses sont descendues dans la rue et où des grèves générales ont paralysé les pays. Au Venezuela, nous avons eu la défaite d’un coup d’Etat contre-révolutionnaire déterminé, soutenu par l’impérialisme américain.
En France, le mouvement des Gilets jaunes a pris tous les commentateurs bourgeois par surprise. Avant ce soulèvement de masse, tout semblait aller comme prévu pour le « Centre politique » en la personne d’Emmanuel Macron. Ses réformes (en réalité des contre-réformes) passaient sans heurts. Les dirigeants syndicaux se comportaient de manière responsable (c’est-à-dire qu’ils capitulaient). Cela a été brutalement interrompu lorsque les masses sont descendues dans les rues conformément aux meilleures traditions révolutionnaires de la France, et ont profondément secoué le gouvernement. Ce mouvement de millions de personnes semblait venir de nulle part, comme un éclair dans un ciel bleu.
C’est exactement la même chose qui s’est produite à Hong Kong. Toute personne ayant des doutes sur le potentiel révolutionnaire qui existe aujourd’hui devrait étudier attentivement ces événements. Avant cela, les dirigeants de Pékin et leurs agents locaux semblaient avoir le contrôle total. Pourtant, il y a eu un puissant mouvement de masse de millions de personnes, défiant une formidable dictature dans les rues. Et comme le mouvement en France, il semblait sortir de nulle part. Il en a été de même pour chacun des mouvements de masse qui ont éclaté dans un pays après l’autre.
Trotsky a dit un jour que la théorie est la supériorité de la prévision sur la stupéfaction. Les manifestations soudaines et violentes du mécontentement populaire prennent toujours la bourgeoisie et ses « experts » par surprise. C’est parce que les « experts » bourgeois n’ont pas de théorie (sauf celle selon laquelle toute théorie est inutile) qu’ils sont constamment étonnés lorsque les événements leur explosent soudainement au visage. Les empiristes superficiels de la bourgeoisie ne regardent que la surface des événements (les « faits »). Ils ne se donnent pas la peine de regarder sous la surface pour découvrir les processus plus profonds qui sont à l’œuvre partout.
S’il s’agissait d’un ou deux pays, on pourrait objecter qu’il s’agit de phénomènes accidentels – des épisodes transitoires dont on ne peut tirer aucune conclusion générale. Mais lorsque nous voyons exactement le même processus se produire dans un pays après l’autre, nous n’avons plus le droit de l’écarter comme un accident. Ces évolutions sont plutôt la manifestation d’un même processus général, reflétant les mêmes lois et tendances sous-jacentes.
Le processus moléculaire de la révolution
À l’avenir, la période que nous traversons sera considérée comme le moment d’un changement fondamental, un tournant dans l’ensemble de la situation. Il n’y a pas si longtemps, cette affirmation semblait être contredite par les faits. L’économie mondiale semblait avancer lentement. Mais aujourd’hui, les événements s’accélèrent à une vitesse vertigineuse. Seule la méthode dialectique du marxisme peut fournir une explication rationnelle des processus auxquels les empiristes bourgeois désespérés sont complètement aveugles.
Comment expliquer de tels phénomènes ? Et que représentent-ils ? Les observateurs superficiels et les empiristes sont frappés par des événements qu’ils n’ont pas anticipés et pour lesquels ils n’ont aucune explication. La dialectique nous apprend que, tôt ou tard, les choses se transforment en leur contraire. La Grande-Bretagne en est un excellent exemple. Il y a six ans à peine, la Grande-Bretagne était considérée comme le pays le plus stable d’Europe, voire du monde – aujourd’hui, la situation est inversée et elle est probablement le pays le plus instable d’Europe. La « mère des parlements » était autrefois célèbre pour sa sérénité tranquille, mais elle a soudainement été secouée par la crise, la division et le chaos absolu.
Pour parvenir à une réelle compréhension de ces processus souterrains, la méthode d’analyse dialectique est absolument nécessaire. Les bourgeois n’ont naturellement aucune compréhension de la dialectique ; les réformistes en ont encore moins, si cela est possible. Il n’est pas nécessaire de mentionner les sectes à cet égard, car elles ne comprennent rien du tout. Leur absence totale de perspectives est la principale raison pour laquelle elles sont toutes en crise.
Trotsky a formulé une phrase vraiment remarquable : « Le processus moléculaire de la révolution ». Il est utile de réfléchir à cette phrase. Trotsky faisait référence à la dialectique, et sans une compréhension de la dialectique, on ne peut rien comprendre. Le processus de changement de conscience dans les masses se fait normalement de manière progressive. Il se développe lentement, imperceptiblement, mais aussi inexorablement, jusqu’à ce qu’il atteigne un point de basculement où la quantité se transforme en qualité et les choses en leur contraire.
Sur de longues périodes, il s’exprime comme une lente accumulation de mécontentement, de colère, de rage et, surtout, de frustration sous la surface. Ici et là, il y a des symptômes, de petits signes qui ne peuvent être compris que par un observateur entraîné qui peut voir ce qu’ils signifient. Mais c’est un livre scellé de sept sceaux à l’empiriste têtu, qui, tout en insistant toujours sur « les faits », est aveugle aux processus sous-jacents plus profonds.
Le philosophe Héraclite a exprimé son mépris pour les empiristes, lorsqu’il a écrit de façon sarcastique : « Les yeux et les oreilles sont de mauvais témoins pour les hommes s’ils ont des âmes qui les interprètent mal ». Peu importe le nombre de faits et de statistiques qu’ils accumulent, ils passent toujours à côté de l’essentiel.
Depuis la crise de 2008-2009, il y a eu un processus lent, une accumulation progressive de mécontentement. Cette crise a représenté une rupture fondamentale dans l’ensemble de la situation internationale. Et ce fut une rupture dans tous les sens du terme. Maintenant, nous pouvons voir le processus moléculaire de la révolution dont Trotsky parlait. C’est un processus silencieux et invisible. C’est quelque chose d’intangible sur lequel on ne peut pas poser le doigt, car il se déroule sous la surface. Mais il est là tout le temps, creusant son chemin comme une taupe.
En France, depuis octobre 2018 et le début du mouvement des Gilets jaunes, nous avons vu clairement comment un potentiel révolutionnaire existe. Même le Brexit, d’une manière particulière, montre le même processus. En Italie, le même état d’esprit existe, un profond ressentiment contre l’establishment. Mais nous avons également vu comment la soi-disant gauche n’a absolument pas réussi à articuler une expression organisée de ce sentiment révolutionnaire.
Des changements brusques et soudains sont implicites dans la situation. Ces explosions soudaines sont un symptôme du courant sous-jacent de rage et de mécontentement accumulés chez des millions de personnes, qui est en fait dirigé contre le système. Elles sont un symptôme clair du fait que le système capitaliste est entré dans une crise profonde à l’échelle mondiale. Ce sont les secousses qui annoncent l’imminence du tremblement de terre.
« De l’économie concentrée »
Lénine a dit que la politique est de l’économie concentrée. En dernière analyse, l’économie est le facteur décisif. S’il y avait la perspective d’un boom prolongé et soutenu, qui changerait la situation, les bourgeois auraient de la marge de manœuvre pour faire des concessions à la classe ouvrière. Mais ce n’est pas la perspective.
La question économique a été largement traitée dans les documents précédents, nous nous limitons donc ici à une brève mise à jour. La discussion sur l’économie est bien sûr très importante, mais ce n’est pas le seul facteur.
Pour les marxistes, l’importance de l’économie réside dans ses effets sur la conscience. Mais la conscience est une chose très élastique. En général, elle est très conservatrice, façonnée non seulement par les conditions actuelles, mais aussi, très fortement, par le passé. Prenons la conscience des travailleurs des pays capitalistes avancés, comme l’Europe et l’Amérique du Nord. Elle a été façonnée par des décennies d’essor économique capitaliste.
Bien sûr, il y a eu des hauts et des bas même pendant cette période. Mais les ralentissements (ou « récessions », comme on les appelait) étaient peu prononcés et ne duraient pas longtemps, et étaient suivis d’une véritable reprise. Ce sont ces conditions matérielles – le quasi-plein emploi, la hausse du niveau de vie et les réformes importantes des retraites, de la santé et de l’éducation – qui ont énormément renforcé les illusions dans le capitalisme. C’est la raison fondamentale pour le retard de la révolution socialiste dans les pays capitalistes avancés et pour l’isolement de l’avant-garde révolutionnaire marxiste pendant toute une période historique.
C’était particulièrement vrai aux Etats-Unis, où le capitalisme semblait assurer la prospérité. Par conséquent, les travailleurs ont regardé la situation et se sont dit « Eh bien, ce n’est pas si mal » et lorsqu’ils ont regardé les régimes bureaucratiques et totalitaires de Russie, d’Europe de l’Est et de Chine, ce qu’ils ont vu les a repoussés. Les capitalistes pouvaient dire : « Regardez ! C’est à ça que ressemble le socialisme – vous voulez aller là-bas ? » Et les travailleurs secouaient la tête en disant « Mieux vaut s’en tenir au diable que tu connais... »
Les concessions faites à cette époque expliquent également l’énorme force du réformisme en Europe occidentale. Les réformistes ont mené d’importantes réformes, comme le National Health Service en Grande-Bretagne. Mais maintenant, tout s’est dialectiquement transformé en son contraire. La crise du capitalisme est aussi la crise du réformisme.
Une « reprise » anémique
Les journaux financiers nous informent que la reprise actuelle est la plus longue de l’histoire. Mais ils omettent d’ajouter qu’elle est aussi la plus faible de l’histoire. Selon le FMI, l’économie mondiale est passée d’une situation où, il y a deux ans, 75 % de l’économie mondiale était dans un état de croissance synchronisée à une situation où 90 % se trouvent aujourd’hui dans un ralentissement synchronisé, le niveau de croissance le plus faible depuis une décennie.
Bien que l’économie semblait aller de l’avant et que tout semblait être en ordre, les articles des économistes bourgeois et des économistes politiques sérieux faisaient état d’une profonde inquiétude, qui s’est rapidement transformée en une alarme générale. La reprise était en tout cas très faible et fragile, et tout choc pouvait faire basculer l’économie. Pratiquement tout peut provoquer une panique : une hausse des taux d’intérêt aux Etats-Unis, le Brexit, un affrontement avec la Russie, l’aggravation de la guerre commerciale entre les Etats-Unis et la Chine, une guerre au Moyen-Orient entraînant une hausse des prix du pétrole, et même un tweet particulièrement stupide de la Maison-Blanche (et on n’en manque pas).
L’Allemagne est la principale force motrice de l’économie européenne. Mais en juin 2019, la production industrielle allemande a enregistré sa plus forte baisse annuelle depuis près d’une décennie, ce qui montre clairement la gravité de l’effondrement du secteur manufacturier dans la plus grande économie européenne. On observe également un ralentissement économique en Chine et aux Etats-Unis. Cette situation reflète à son tour la faiblesse de l’économie mondiale, où le commerce mondial, selon l’OMC, ne devrait croître en 2019 que de 1,2 %, soit seulement la moitié de ce qui avait été prévu à l’origine.
Maintenant, tous les économistes sérieux chantent une autre chanson. Le mot « récession » est écrit sur chaque page. « L’économie mondiale est au bord du gouffre », écrit le Financial Times. L’extrême volatilité des marchés boursiers est une indication de la nervosité des capitalistes. Il est bien sûr impossible de prédire avec précision la date du prochain effondrement. Mais il y a une chose dont nous pouvons être sûrs : un nouvel effondrement est inévitable et il sera probablement bien pire que le précédent.
Il est vrai que la classe dirigeante dispose de certains instruments pour atténuer les effets d’un effondrement une fois qu’il a eu lieu. Quels sont ces mécanismes ? Ils sont fondamentalement au nombre de deux : abaisser le coût de l’emprunt afin de stimuler l’investissement et la demande et renforcer la « confiance ». L’autre arme consiste à augmenter les dépenses de l’État.
Le problème est qu’ils ont épuisé tous ces instruments pour maintenir en vie la faible reprise. Lors de la crise de 2008, ils ont réduit les taux d’intérêt dans tous les pays dans une tentative désespérée de relancer l’économie, ce qui a échoué. En 2014, la Réserve fédérale américaine avait à elle seule injecté 3 600 milliards de dollars de crédit bon marché dans l’économie par le biais du programme d’assouplissement quantitatif, c’est-à-dire en imprimant de l’argent. Les grandes entreprises américaines et d’autres pays ont été alimentés par un approvisionnement continu en crédits bon marché. Mais en général, les fonds obtenus ne sont pas utilisés pour des investissements productifs (la productivité est soit stagnante, soit en baisse). Ils l’utilisent plutôt pour les fusions, les rachats d’actions, la spéculation, etc.
Dette
Cette reprise est bâtie sur une montagne de dettes. Tôt ou tard, les montagnes connaissent des avalanches. Les économistes bourgeois sont terrifiés par la crise à venir, car une fois qu’elle aura commencé, ils ne pourront plus l’arrêter. Et l’énorme endettement signifie que le deuxième instrument pour sortir d’une crise (les dépenses de l’État) n’est plus une option possible.
Les timides tentatives pour limiter l’assouplissement quantitatif aux Etats-Unis ont fait augmenter les taux d’intérêt et la valeur du dollar, exerçant une énorme pression sur les dettes libellées en dollars. Dans des pays comme la Turquie et l’Argentine, cela a déjà provoqué de graves crises économiques, mais une crise similaire se prépare dans le monde entier, en particulier dans les pays moins avancés.
La dette mondiale atteint un niveau sans précédent, dont la moitié est détenue par le Japon, les Etats-Unis et la Chine. À ce stade, la bourgeoisie est confrontée à une contradiction insoluble. D’une part, elle lutte pour réduire le fardeau de la dette. Mais, d’autre part, elle commence à comprendre les graves conséquences sociales et politiques d’une décennie de réductions et de baisse des conditions de vie. La patience des masses s’épuise et la cohésion sociale est en train d’être minée à un degré qui commence à menacer la stabilité sociale.
Une partie de la classe dirigeante, craignant une intensification de la lutte des classes, est favorable à un assouplissement de l’austérité, même au prix d’une augmentation des emprunts publics. Et face à une recrudescence de la lutte des classes, il est probable qu’ils commenceront à faire des concessions. Mais cela ne fera qu’accroître les contradictions et, à long terme, cela conduira à de futures crises et à une forte réduction des dépenses de l’Etat et à l’assèchement du crédit. Ainsi, quelles que soient les politiques économiques mises en œuvre, tous les chemins mènent à une nouvelle récession.
Depuis le krach de 2008, les banques centrales ont essayé de promouvoir la croissance en maintenant les taux d’intérêt à un niveau historiquement bas. Cela s’est souvent traduit par 0 % d’intérêt voire moins. L’objectif était de stimuler le crédit et d’encourager les investissements. Mais cela n’a pas donné les résultats escomptés. Le crédit bon marché agit comme une dépendance à la drogue : plus on y a recours, moins il a d’effet. Des obligations totalisant plus de 15 000 milliards de dollars s’échangent avec des rendements négatifs.
En 1960, selon une évaluation, la dette totale à l’échelle mondiale représentait environ 90 % du PIB mondial. Elle était un peu plus élevée aux États-Unis, où elle se situait autour de 140 %. Aujourd’hui cependant, la dette mondiale globale a atteint le niveau record de 253 000 milliards de dollars, soit 322 % du PIB mondial et 355 % aux Etats-Unis (chiffres de 2019). La dette a permis aux capitalistes de sortir de la crise des années 1970 et 1980, mais elle a maintenant préparé la voie à une crise encore plus grave. Plus ils retarderont la crise en développant le crédit (et donc la dette), plus la situation sera grave lorsque les mauvais jours arriveront enfin – et ils arriveront.
La menace d’une guerre commerciale
Plusieurs bombes à retardement font tic-tac simultanément : les guerres commerciales, la crise de la dette, le ralentissement en Chine, la crise du Brexit et de l’euro, les tensions internationales et les menaces de guerre au Moyen-Orient. Comme nous l’avons vu, n’importe laquelle de ces crises peut être l’étincelle qui provoque une explosion. Les bourgeois seront laissés sans défense, entre le marteau et l’enclume. Certaines choses découlent inévitablement de ces faits.
Dans les décennies précédant 2008, la forte croissance économique de la Chine a stimulé l’économie mondiale. C’était à la fois un marché pour les produits occidentaux et un terrain d’investissement rentable. Mais maintenant, tout se transforme dialectiquement en son contraire. En 2018, la croissance en Chine était de 6,6 %, bien que de nombreux économistes pensent qu’elle était en réalité plus faible. Le chiffre de 6,1 % pour 2019 était la plus faible croissance de l’économie chinoise depuis 1992.
La croissance de la Chine peut sembler encore élevée si on la compare aux taux de croissance misérables de l’Europe et même des Etats-Unis, mais elle est bien inférieure aux taux de croissance atteints au cours des dernières décennies. Il est généralement admis que la Chine doit atteindre un taux annuel moyen de 8 % – et créer de 15 à 20 millions de nouveaux emplois chaque année – juste pour absorber la migration des campagnes vers les villes. Jusqu’à récemment, les consommateurs en Chine et aux Etats-Unis continuaient à dépenser, peut-être encouragés par les rumeurs d’une reprise. Mais cette tendance touche à sa fin. L’effondrement record des ventes de voitures en Chine est un signe avant-coureur. Pour la Chine, le ralentissement prépare donc des convulsions sociales.
Avec l’introduction de l’économie de marché, la Chine a également importé toutes les contradictions du capitalisme. Ses succès mêmes dans la production de grandes quantités de marchandises ont créé les conditions pour une crise de surproduction, puisque ces marchandises doivent trouver un marché et que le marché intérieur chinois est trop étroit pour les absorber.
La Chine souffre de surproduction – avec d’énormes usines pour la production d’acier, de voitures et de nombreux autres produits – et la seule issue est l’exportation.
La Chine a exporté de grandes quantités d’acier excédentaire vers l’Europe, ce qui contribue à miner l’industrie sidérurgique européenne. L’acier chinois bon marché a été un facteur majeur dans la destruction de l’industrie sidérurgique en Grande-Bretagne. Des usines géantes qui fournissaient du travail à des communautés entières, comme Port Talbot dans le sud du Pays de Galles, qui était autrefois connue comme la ville de l’acier, sont menacées de fermeture. C’est ce qui est à l’origine des tensions croissantes qui ont abouti à la guerre commerciale entre l’Amérique et la Chine. Il ne serait d’ailleurs pas correct d’attribuer cela à Donald Trump. Bien qu’il ait fait le plus de bruit sur la question, la suspicion et la méfiance envers la Chine sont assez générales au Congrès, y compris dans les rangs des démocrates.
Trump a une réponse simple à tout cela. Il fait valoir la puissance des Etats-Unis. L’impérialisme américain fléchit ses muscles, menaçant d’écraser ses rivaux, à commencer par la Chine. Mais l’Europe est également dans sa ligne de mire. Son champ de bataille est le protectionnisme, l’arme qu’il a choisie, l’augmentation des tarifs douaniers. Mais ce chemin glissant a conduit à une escalade de la guerre commerciale qui pourrait avoir un effet dévastateur sur l’économie mondiale.
Des économistes inquiets commencent déjà à élaborer des scénarios de « jeu de guerre » sur la façon dont une récession pourrait se produire. Leurs craintes sont principalement centrées sur la menace que représente l’augmentation des droits de douane pour l’économie mondiale. Il est vrai que dans l’immédiat, les coûts directs de ces droits pourraient bien être faibles, mais l’incertitude créée par une nouvelle escalade de la guerre commerciale aurait un effet négatif sur les investissements, l’embauche et, en fin de compte, la consommation, ce qui entraînerait une contraction de la demande. La cause devient l’effet, et l’effet devient la cause, produisant une spirale descendante à l’échelle mondiale. L’ensemble du processus de mondialisation, qui a été un facteur majeur de la croissance de l’économie mondiale pendant toute une période, serait inversé, avec des conséquences catastrophiques.
Les économistes de Morgan Stanley prédisent que si les Etats-Unis imposent des droits de douane de 25 % sur toutes les importations chinoises pendant quatre à six mois et que la Chine prend des mesures de rétorsion, alors une contraction de l’économie mondiale est probable en l’espace de trois trimestres. Les vagues créées s’étendraient bien au-delà des Etats-Unis et de la Chine, frappant l’Asie, l’Europe et entraînant l’ensemble de l’économie mondiale dans la récession. C’est une évolution très alarmante pour les bourgeois. Elle menace de déchirer le tissu très fragile du commerce mondial, qui a été le principal moteur de la croissance de l’économie mondiale pendant des décennies.
On ne sait pas du tout comment va se terminer la prise de bec actuelle avec la Chine. Les économies chinoise et américaine sont étroitement liées depuis de nombreuses années. Une partie de la classe capitaliste américaine, en particulier ceux qui produisent directement en Chine, s’opposera à une escalade. Mais il est difficile de prévoir les actions d’un président qui n’a pas de stratégie à long terme, et qui semble prendre plaisir à passer d’une crise à l’autre. Trump est imprévisible. C’est une des raisons qui explique que les bourgeois ne l’aiment pas. Il souffle le chaud et le froid au gré de son humeur, ce qui accroît l’instabilité générale dans les questions mondiales.
D’abord, Trump dénonce le « petit homme fusée » et menace de rayer la Corée du Nord de la surface de la Terre. L’instant d’après, il embrasse Kim Jong Un et le salue comme un homme de paix et un grand ami. D’abord, il essaie de conclure un accord avec la Chine, l’instant d’après, il annonce de nouveaux droits de douane sur tous les produits chinois. Le problème avec une guerre commerciale, c’est qu’elle est facile à commencer, mais pas si facile à finir. Elle a tendance à s’envenimer, comme on le voit avec les représailles chinoises.
Si la mondialisation est stoppée par la propagation du nationalisme économique et des guerres commerciales, la tendance à la hausse peut facilement se transformer en une spirale descendante brutale, avec des conséquences catastrophiques pour le monde entier. Nous avons souligné que c’est la montée des tendances protectionnistes – semblables au genre d’approche du « chacun pour soi » de Donald Trump aujourd’hui et aux dévaluations compétitives – qui a transformé le krach de Wall Street de 1929 en la grande dépression des années 1930. Il n’est pas du tout impossible qu’un scénario similaire puisse se reproduire aujourd’hui.
Les Etats-Unis
L’économie américaine était le dernier pilier maintenant l’économie mondiale. En apparence, il semblerait que l’économie américaine se porte plutôt bien. Le Dow Jones est à un niveau record. Le S&P 500 a augmenté de 334 % et le NASDAQ de près de 500 %. Mais les apparences peuvent être trompeuses. En réalité, l’économie américaine est très fragile. Rien n’a été résolu depuis 2008 et les capitalistes ne faisaient que préparer le terrain à une crise encore plus dévastatrice.
L’économie commence à vaciller. En décembre 2007, le pic qui a précédé le krach de 2008, le taux d’utilisation des capacités industrielles s’élevait à 81 %. En juin 2009, dans le creux du dernier cycle croissance-récession, on était descendu à 66 %. Aujourd’hui, 10 ans plus tard, on n’en est qu’à 78 %. En d’autres termes, même après la « plus longue reprise » de l’histoire, le taux d’utilisation des capacités industrielles n’est toujours pas revenu à son niveau d’avant-crise. Dans le même temps, le moral du consommateur est tombé à son plus bas niveau en huit ans. L’industrie américaine est tombée dans le rouge. Les exportations sont à leur plus bas niveau depuis avril 2009. Même si la Fed baissait les taux de 50 points, ce serait toujours trop tard pour éviter une récession.
La croissance du PIB américain n’était que de 2,9 % en 2018, alors même qu’elle était stimulée par le déficit budgétaire. Elle n’était que de 2,2 % l’année précédente, stimulée cette fois-ci par les réductions d’impôts de Trump pour les riches. La dette nationale a désormais atteint les 22 000 milliards de dollars, soit plus du double de 2008. Elle représente 68 000 dollars par citoyen américain, ou 182 000 dollars par contribuable. C’est près de quatre fois le salaire médian, et elle augmente au rythme de mille milliards par an.
Les baisses d’impôts et les taux d’intérêt historiquement bas de la Fed ont été utilisés pour stimuler l’économie afin d’éviter la prochaine récession. Mais en utilisant ces moyens pour prolonger artificiellement la croissance, ils ne pourront plus être utilisés lors de la prochaine crise, et nous pouvons être sûrs que la volonté des masses pour le renflouement des entreprises sera considérablement réduite.
Désormais, tous les indicateurs économiques annoncent une prochaine crise, qui est inévitable. Il n’est bien entendu pas possible de dire quand elle arrivera – l’économie n’est pas une science exacte. Mais le fait est qu’une nouvelle crise n’est pas du tout nécessaire pour l’intensification de la lutte des classes. De notre point de vue, il serait préférable que la situation actuelle se poursuive. Ils parlent d’une reprise, mais ça n’y ressemble pas. Personne n’y croit.
Combien de travailleurs américains disent que tout va bien aujourd’hui ? Il est vrai que les salaires augmentent pour certains, mais il en va de même pour les heures de travail nécessaires pour payer les factures. Et les augmentations actuelles ne compensent pas toute une période de baisse des salaires. La plupart des travailleurs américains ne pouvaient pas subvenir à leurs besoins, ni à ceux de leur famille avec un seul travail. Ils doivent travailler de longues heures, et ils doivent cumuler deux ou trois emplois pour survivre. La colère et la frustration des travailleurs ne cessent de grandir.
Beaucoup de travailleurs américains ne ressentent absolument pas les effets de la « reprise ». Ce qu’ils constatent, c’est l’explosion des inégalités, le gouffre qui sépare la minorité des ultra-riches, de la grande majorité qui lutte pour garder la tête hors de l’eau. Au cours des trois dernières décennies, la fortune des 1 % les plus riches a augmenté de 21 000 milliards de dollars, tandis que les 50 % les plus pauvres ont vu leur valeur nette tomber de 900 milliards de dollars. (Selon les données de la Fed.)
78 % des Américains vivent au jour le jour. Le salaire minimum fédéral est de 7,25 dollars de l’heure. Une mère célibataire, avec deux enfants gagnant le salaire minimum fédéral devrait travailler près de 24 heures par jour, six jours par semaine, soit 144 heures par semaine, pour gagner un salaire décent. C’est absolument dément et insoutenable – et c’est la situation quand « tout va bien. »
Le phénomène Trump
Selon un vieil adage, un peuple a le gouvernement qu’il mérite. Dans son brillant article, Classe, parti et direction, Trotsky remarquait que cette affirmation est trompeuse. Un même peuple peut souvent connaître différents types de gouvernement, ce qui reflète simplement différentes étapes dans le développement de la conscience. Toutefois, on pourrait dire de façon parfaitement justifiée qu’à l’heure actuelle, la bourgeoisie a les dirigeants qu’elle mérite.
Lorsque la bourgeoisie américaine se regarde dans le miroir, elle y voit le visage de Donald Trump et se détourne avec horreur. Elle n’aime pas ce qu’elle voit, mais c’est un reflet fidèle de sa dégénérescence propre et de celle de son système. Les bourgeois d’aujourd’hui n’ont pas de grandes idées, ni de perspectives à long terme. Ils ne peuvent voir au-delà du dernier bilan les informant de leurs marges de profit.
Cette image répugnante résume non seulement Donald J. Trump, mais également la classe à laquelle il appartient et dont il représente les intérêts. La seule chose qui le distingue est qu’il exprime ouvertement, effrontément, et sans rougir les préjugés de sa classe, alors que d’autres, qui partagent exactement le même point de vue et défendent exactement les mêmes intérêts de classe, sont plus circonspects, plus diplomatiques, c’est-à-dire plus lâchement hypocrites et trompeurs.
L’élection de Trump aux Etats-Unis a bien sûr été un phénomène réactionnaire. Il n’y a pratiquement aucun intérêt à faire cette déclaration. Mais il y a autre chose. Trump n’était pas le candidat de la classe dominante. On ne lui faisait pas confiance – il fut pourtant élu malgré l’opposition implacable de la bourgeoisie.
Par le passé, la bourgeoisie avait pour habitude de contrôler le jeu politique. Or, ce n’est plus le cas. Ce que nous voyons actuellement est une situation sans précédent, dans laquelle la bourgeoisie a, en effet, perdu le contrôle de son propre système. A quel moment, dans toute l’histoire des Etats-Unis, y a-t-il jamais eu une situation où la CIA et le FBI étaient publiquement opposés à un président élu et manœuvraient constamment pour le destituer ?
Il ne s’agit pas seulement d’une crise politique. Il s’agit d’une crise du régime lui-même. Elle signifie une scission ouverte au sein de la classe dirigeante. Et la première condition de Lénine pour une révolution est précisément cela. Le mécontentement des masses peut s’exprimer de façon très particulière et contradictoire. D’une manière très particulière et déformée, même l’élection de Trump a été en partie l’expression d’un mécontentement massif d’une partie importante des couches les plus pauvres et les plus dépossédées de la classe ouvrière blanche. Trump a fait appel aux mineurs et aux métallurgistes au chômage, s’attaquant démagogiquement à l’élite privilégiée à Washington et promettant un changement. Ce message reçut un écho puissant. Mais la popularité de Trump est mise à rude épreuve.
Le socialisme et les Etats-Unis
Il n’est pas certain que Trump sera réélu. Bien qu’il conserve encore une base de soutien importante, il a également aliéné de nombreuses personnes avec sa rhétorique ouvertement raciste, misogyne et xénophobe. Les « renvoyez-les chez eux » ont suscité un tollé national. Et sa réaction aux fusillades de masse à El Paso et à Dayton, dans l’Ohio, lui a causé encore plus de dommages.
Un rapport du Groupe d’étude des électeurs du Fonds pour la démocratie (Voter Study Group – VSG) a révélé que même les électeurs enclins à des opinions anti-immigration ne sont pas nécessairement favorables à Trump. Ils sont divisés entre ceux qui prônent moins d’intervention gouvernementale dans l’économie et ceux qui ont une vision économique interventionniste plus à gauche. Selon le sondage, ces différences se sont accentuées depuis l’élection de Trump. L’économie reste la question clé. Trump a revendiqué le plein succès de ses politiques économiques. En fait, sa gestion de l’économie est le seul domaine où il a plus de 50 % d’approbation (55 %). Cependant, le revers de la médaille est qu’il sera aussi en grande partie responsable si et quand les choses tourneront mal.
Les effets temporaires de ses baisses d’impôts pour les riches ont déjà fait leur temps. Désormais, les gens peuvent voir qu’il y a un ralentissement de l’économie et des signes croissants que sa guerre commerciale avec la Chine n’aboutira pas à l’accord historique qu’il avait promis lors de sa campagne présidentielle de 2016. Une récession économique enclencherait l’éclatement d’une bulle. Mais le moment où cela se produira est incertain. Par-dessus tout, les démocrates ne peuvent fournir une alternative efficace à Trump.
Au cours des trois dernières décennies, le nombre annuel de grèves a considérablement diminué aux États-Unis, de pair avec une forte baisse du nombre de syndiqués. Mais ce processus atteint désormais ses limites. Il y a même eu une poignée de grèves et débrayages politiques pour protester contre le harcèlement sexuel, l’écart de rémunération entre les sexes, la collaboration avec la branche du gouvernement chargée de la détention des immigrés, et la législation visant à privatiser l’éducation. Et ce n’est que le début, quoique ce ne sera pas un processus linéaire.
À la fin de 2018, le nombre de travailleurs américains impliqués dans des arrêts de travail majeurs, y compris des grèves et des lock-out, était le plus élevé depuis 1986. Vingt arrêts de travail ont concerné 1 000 travailleurs ou plus, contre sept seulement en 2017. Plus de 90 % du quelque un demi-million de travailleurs impliqués l’étaient dans les secteurs de l’éducation, de la santé et de l’assistance sociale. Des milliers d’autres ont participé dans des grèves et des luttes de moindre envergure qui ne sont pas reflétées dans ces chiffres. Toute une série de grèves d’enseignants se sont propagées de la Virginie occidentale à l’Oklahoma, l’Arizona, la Californie et au-delà, tandis que les luttes et les victoires des autres ont inspiré des actions similaires dans tout le pays. Cela a été suivi par la grève très importante des travailleurs de l’automobile.
Sur le plan politique, nous avons vu la montée de Sanders et la popularité croissante du socialisme parmi une couche de plus en plus importante de la population américaine, en particulier les jeunes. Sanders, malgré son maintien au sein du Parti démocrate et sa capitulation devant Clinton lorsqu’il a été empêché de se présenter aux élections de 2016, bénéficie toujours du soutien de beaucoup avec ses attaques contre la « classe des milliardaires ». Sanders attire toujours des dizaines de milliers de personnes à ses rassemblements. Mais lui, et d’autres comme Alexandria Ocasio-Cortez, ont l’illusion qu’il est possible de faire avancer la cause du socialisme par le biais du Parti démocrate. Ce sont au mieux des réformistes. Cependant, leur popularité reflète, de manière déformée, la recherche d’une alternative de gauche au système.
Lorsque l’économie ralentira, il y aura une grande réaction contre Trump, et vers quoi se tourneront-ils alors ? Ils verront que le socialisme fait partie de la réponse. Ce n’est pas un hasard si Trump attaque maintenant le socialisme et le communisme. Selon des sondages récents (résultats de l’enquête nationale de 2019 sur le bien-être, le travail et la richesse du Cato Institute) : a. 50 % des jeunes Américains (moins de 30 ans) sont favorables au socialisme ; b. 70 % des milléniaux (23 à 38 ans) voteraient pour un candidat socialiste ; c. 36 % des milléniaux ont une opinion favorable du communisme (contre 28 % en 2018) ; d. 35 % des milléniaux ont une opinion favorable du marxisme.
Environ un millénial sur cinq pense que la société se porterait mieux si toute propriété privée était abolie. (Attitudes américaines envers le socialisme, le communisme et le collectivisme, octobre 2019). Et presque un cinquième (17 %) des Américains sont d’accord pour dire que les cas où « les citoyens prennent des mesures d’action violente contre les riches » sont parfois justifiés – ce chiffre s’élevant à 35 % pour les moins de 30 ans. Ces statistiques ne sont que la partie émergée de l’iceberg. Elles montrent très clairement qu’il existe une profonde radicalisation dans la société américaine.
Si Trump est réélu – ce qui ne peut être exclu –, cela ouvrirait une période nouvelle et encore plus turbulente pour les Etats-Unis. Nous ne doutons pas que cela serait accueilli avec désarroi par les sectaires stupides qui ne cessent de délirer sur le prétendu danger du « fascisme ». Mais les capitalistes les plus intelligents ont une bien meilleure compréhension de la situation réelle. Ils sont vaguement conscients que leur système est intenable, mais ils ne peuvent rien y faire, car ils ne peuvent accepter que la seule façon de résoudre les contradictions du capitalisme soit de mettre fin au capitalisme même.
Même avant la prochaine crise, les individus les plus riches du monde sont profondément préoccupés par le potentiel de troubles sociaux. Par exemple, Ray Dalio, 79e fortune mondiale, aurait déclaré : « Je suis un capitaliste et même moi je pense que le capitalisme est brisé ». Il a ajouté : « Le capitalisme ne fonctionne pas pour la majorité des gens... Nous sommes à la croisée des chemins. Nous pouvons le faire [le réformer] ensemble, ou nous le ferons dans le conflit, et il y aura un conflit entre les riches et les pauvres. ». Ces mots expriment très bien la situation.
Un profond changement a eu lieu dans la psychologie des Américains. Les gens s’identifient désormais en tant que classe ouvrière, alors que durant des décennies, ils ne parlaient que de « classe moyenne ». Cela fait partie de ce que Trotsky signifiait lorsqu’il parlait du processus moléculaire de la révolution.
La crise du capitalisme européen
En 1997, nous avons écrit un document de perspectives pour l’Union européenne dans lequel nous prédisions que l’euro pourrait survivre pour un temps, mais que dans l’éventualité d’une récession profonde, toutes les contradictions nationales se retrouveraient au premier plan. C’est précisément ce que nous voyons se mettre en place maintenant.
Malgré les années d’austérité, rien n’a été résolu en Europe au cours de la dernière décennie. La zone euro en général est dans l’impasse et fait désormais face à la perspective d’une contraction économique aiguë, qui aura les conséquences sociales et politiques les plus sérieuses, mais envers laquelle elle est impuissante. Ses banques centrales ne disposent plus des instruments pour la combattre. Cela signifie que la récession mondiale à venir ne sera pas une affaire ordinaire, mais un ralentissement bien pire que celui qui a suivi le krach économique de 2008-2009.
L’UE est confrontée d’une part au choc du Brexit, mais aussi aux autres chocs frappant ses industries. La contraction du commerce mondial frappe l’Europe plus durement que bien d’autres en raison de sa dépendance chronique envers la demande mondiale pour la maintenir à flot. Cela vaut particulièrement pour l’Allemagne, qui vient à peine d’éviter de glisser dans la récession en 2018.
L’Europe a été durement touchée par les guerres commerciales de Donald Trump. Les biens chinois frappés par ses tarifs sur le marché américain sont déversés sur l’Europe. Et la situation est aggravée par la dévaluation du yuan, qui rend les exportations chinoises encore moins chères, sapant les industries européennes. Une invasion que l’Europe ne peut pas repousser. La Banque centrale européenne est impuissante à contrer les effets du ralentissement en Chine et de la baisse de la demande pour les produits européens.
Nous voyons comment Macron a été contraint par la révolte des gilets jaunes de faire des concessions – mais qui va payer ? La France a un grand déficit budgétaire. Macron a un plan pour l’Europe, qu’il appelle par euphémisme un « budget planifié ». Son plan est très simple : l’Allemagne va payer les dettes de tout le monde – y compris celle de la France, bien sûr. Malheureusement, la Bundesbank a des idées différentes. Et elle n’est pas la seule. La crise du Brexit a également agit en tant que catalyseur, exacerbant énormément les forces centrifuges qui menacent de déchirer l’Union européenne.
Nouvelles lignes de fracture
La crise de l’UE a débuté à sa périphérie dans les économies plus faibles, mais affecte actuellement les Etats plus puissants en son cœur même, comme l’Allemagne. A son tour, cela ouvre désormais de nouvelles lignes de fracture, la Hongrie et la Pologne défient l’UE quant à l’admission des réfugiés et d’autres questions.
Au début de 2018, une nouvelle « Ligue hanséatique » a été formée, composée des pays les plus prospères du nord de l’Europe : le Danemark, la Finlande, les Pays-Bas et la Suède ; et leurs satellites baltes, l’Estonie, la Lettonie et la Lituanie. L’Allemagne se tient derrière elle, résistant à tout paiement significatif aux pays les plus pauvres du sud de l’Europe. Certains d’entre eux (notamment l’Italie) ont entre-temps, tenté de contrebalancer la puissance du capital allemand en cherchant à conclure des accords économiques avec la Chine. Ces fissures, quoique petites en ce moment, menacent de faire s’écrouler tout l’édifice chancelant de l’euro, et peut-être de l’UE elle-même.
Toutefois, la bourgeoisie allemande, qui domine l’UE, doit maintenir l’union économique à tout prix. L’Allemagne à elle seule serait un nain – par rapport aux grands blocs économiques – sur le marché mondial. Elle compte environ 80 millions d’habitants, soit environ un quart des Etats-Unis et moins de 1/17e de la Chine. Le PIB de l’Allemagne est inférieur au tiers de celui de la Chine et au cinquième de celui des Etats-Unis. Elle n’a pas de pouvoir militaire à proprement parler. Pour pouvoir jouer un rôle sur la scène mondiale, elle a donc besoin du levier de l’Union européenne.
Pendant la période d’expansion du libre-échange et lorsque l’UE – en surface du moins – était plus ou moins unie, l’Allemagne était capable de frapper largement au-delà de ses capacités sur le marché mondial – en particulier dans les secteurs intensifs en capital tels que les machines-outils, l’industrie automobile et la production aéronautique et aérospatiale – ce qui lui a permis d’être pour un temps le principal exportateur mondial. Cependant, dans une situation de ralentissement économique, de conflits économiques croissants et avec les Etats-membres de l’UE constamment en conflit les uns avec les autres, à la fois politiquement et économiquement, la situation se transforme lentement en son contraire.
L’Allemagne, qui était le moteur et l’économie la plus forte du capitalisme européen, est désormais en crise. L’inégalité et la chute du niveau de vie sont maintenant la norme – ce ne sont que les commandes internes qui soutiennent l’économie allemande tandis que les commandes étrangères déclinent rapidement.
Cela explique pourquoi la bourgeoisie allemande pousse fortement à l’unification de l’UE sous sa direction politique plus directe, même au prix de faire quelques concessions économiques, quoique très étroites et temporaires, aux pays plus faibles de l’Europe, principalement à travers sa politique monétaire, afin de les amener à accepter une subordination politique. Le choix de la nouvelle présidence de la Banque centrale européenne (BCE) en est une indication. Initialement, il y avait beaucoup de spéculations sur le fait que la nouvelle tête de la BCE serait l’ancien chef de la Bundesbank, mais c’est finalement la Française Lagarde qui a obtenu le poste. L’Allemagne a préféré opter pour la position politiquement plus centrale à la tête de la Commission européenne et a fait élire Ursula Von der Leyen. Et, au moins depuis avant les élections européennes, la bourgeoisie allemande a orchestré une campagne assourdissante contre le soi-disant « populisme » – en particulier contre ces partis nationalistes au gouvernement qui avaient une posture démagogique anti-UE, concentrant surtout ses tirs sur Salvini en Italie et le FPÖ d’extrême droite en Autriche, qui jusqu’à récemment étaient tous deux au gouvernement.
Le but de tout cela est clair. L’Allemagne, confrontée au spectre de son propre effondrement, est forcée de travailler à transformer l’UE en un bloc économique fort face à ses concurrents extérieurs. Dans une situation de conflits commerciaux toujours plus nombreux, la bourgeoisie allemande fait pression pour resserrer les frontières autour de l’Europe, non seulement contre les réfugiés, mais aussi contre les marchandises et le capital étrangers. Par exemple, la Commission européenne, sous l’égide de Von der Leyen, fait pression en faveur d’une « taxe européenne sur le carbone », principalement pour protéger l’industrie allemande, mais aussi pour garder l’Europe sous contrôle en rendant plus difficile pour les pays de l’UE de conclure unilatéralement des accords avec la Chine ou les Etats-Unis.
Mais en fin de compte, cela ne fait que retarder l’inévitable. Dans l’éventualité d’une nouvelle crise profonde, l’Allemagne ne peut et ne va pas renflouer le reste de l’Europe. Cela signifie qu’il sera impossible d’empêcher les profondes contradictions politiques et économiques qui se manifestent déjà aujourd’hui d’éclater ouvertement. Cela souligne le fait que l’UE est le maillon faible de la chaîne des blocs économiques impérialistes du capitalisme mondial.
Cette tendance est renforcée par l’instabilité politique croissante au sein même de l’Allemagne. Merkel a démissionné de la présidence du Parti chrétien-démocrate, bien qu’elle soit toujours à la tête du gouvernement. Le Parti social-démocrate (SPD) a été au gouvernement durant 17 de ces 20 dernières années et le résultat a connu une forte baisse de son soutien lors des dernières élections. Or, le Parti de gauche (Die Linke) n’en a pas profité. C’est parce que ses dirigeants cherchent à montrer qu’ils sont aptes à rejoindre n’importe quel gouvernement. Ils ont accepté une politique de réduction de la dette, ce qui signifie en pratique des coupes dans les dépenses publiques. C’est là une recette pour une crise du parti.
Et maintenant, la crise de légitimité de la démocratie bourgeoise a également atteint l’Allemagne. Dans l’après-guerre, la CDU et le SPD ensemble recevaient 70 à 90 % des voix pour le Bundestag. Aujourd’hui, ils obtiennent un vote combiné autour de 40 %, le SPD ayant enregistré un creux historique compris entre 13 et 15 %. Pendant ce temps, l’AfD d’extrême droite a grandi. Temporairement, les Verts en ont aussi bénéficié, même si cela risque d’être de courte durée.
Grèce : rien n’a été résolu
Pendant la majeure partie de la dernière décennie, le maillon le plus faible de la chaîne du capitalisme européen a été la Grèce, le pays où la crise du capitalisme a eu ses conséquences les plus catastrophiques. Pendant dix ans, la population de ce pays n’a rien connu d’autre que des attaques sauvages, des coupes constantes et une chute brutale du niveau de vie – en fait, un effondrement total. Maintenant, ils se vantent que la crise est terminée. Mais c’est loin d’être la vérité. En 2009, le ratio de la dette par rapport au PIB de la Grèce était de 126,7 % et il s’élève désormais à 181,1 %. Comme nous le voyons, rien n’a été résolu en Grèce.
Les travailleurs et la jeunesse grecs ont fait tout ce qui était en leur pouvoir pour combattre l’austérité capitaliste et résister aux vicieuses contraintes de l’UE. Il y a eu grève générale après grève générale, manifestation après manifestation. Au moment du référendum de 2015, Tsipras avait toutes les occasions de s’appuyer sur le rejet massif des termes du plan de sauvetage imposé par la Troïka et de défier l’UE et la bourgeoisie. La classe ouvrière – et même de larges pans de la petite bourgeoisie – étaient prêts à tout. Mais, au moment critique, Tsipras a capitulé.
Cette trahison a causé une immense démoralisation et s’est soldée par la défaite de SYRIZA aux dernières élections et la victoire de Nouvelle Démocratie. Pourtant, SYRIZA a tout de même obtenu 31 % et pourrait se rétablir. Mitsotakis s’est engagé à mener de nouvelles attaques envers la classe ouvrière. Sa popularité disparaîtra aussi vite qu’elle est apparue. Les travailleurs grecs n’ont pas d’autre choix que de se battre. C’est une question de vie ou de mort. A un certain point, une nouvelle période de lutte des classes s’ouvrira en Grèce.
L’Italie : le maillon le plus faible
L’Italie a maintenant pris le relais de la Grèce en tant que maillon faible de la chaîne du capitalisme européen. Son économie a pris du retard, et elle ne peut plus concurrencer l’Allemagne ni même la France. La dette publique record de l’Italie s’élève à environ 132 % du PIB. Le capitalisme italien est aujourd’hui en grave difficulté. D’un point de vue révolutionnaire, l’Italie est le pays clé en Europe. La Grèce est un petit pays à la périphérie de l’Europe, mais l’Italie est la troisième économie de la zone euro et se trouve au cœur même de l’Union européenne.
La seule solution pour la classe dirigeante italienne est de couper et de couper encore. Ils ont déclaré la guerre à la classe ouvrière italienne – une bonne recette pour une explosion sociale. L’Italie ayant largement dépassé les limites budgétaires autorisées par l’UE, la Commission européenne voulait la condamner, mais elle a fait marche arrière. Ils avaient déjà fait une exception pour Macron, mais ce n’était pas la seule raison – l’effondrement des banques italiennes allait déclencher une crise bancaire européenne. Mais plus encore, le risque d’une explosion sociale en Italie est inhérent à la situation.
Dans le passé, la bourgeoisie italienne disposait de puissantes bases de soutien dans la société. Son parti, les démocrates-chrétiens, avait une base de masse et le soutien de l’Eglise catholique. Mais cela s’est effondré. Sa deuxième ligne de défense était les partis communiste et socialiste. Mais ceux-ci ont aussi été relégués dans la poubelle de l’histoire. Du point de vue de la bourgeoisie, l’absence d’un parti réformiste de masse n’est pas une évolution positive, mais une évolution très dangereuse. C’est la différence entre une voiture qui descend une colline raide avec des freins défectueux, et une voiture qui n’a pas de freins du tout.
En Italie, il n’existe pas de parti réformiste de masse des travailleurs et les dirigeants des syndicats sont pourris. Le Parti démocratique, un parti bourgeois, est délégitimé aux yeux des travailleurs : tous ses dirigeants ont participé à des coupes pendant des années. Le mouvement 5 étoiles est un autre exemple de formations petites-bourgeoises qui ont surgi de nulle part. Il est très confus et son soutien est aujourd’hui en forte baisse après qu’il ait été exposé, d’abord dans le gouvernement de coalition avec la Ligue, puis en entrant dans une coalition avec le Parti démocratique. Il existe un vide colossal à gauche, et ce vide doit être comblé par quelque chose tôt ou tard.
Le dirigeant de la Ligue, Salvini, est un démagogue bourgeois de droite, très semblable à Donald Trump. Dans ses discours, il s’efforce de ressembler à « l’homme du monde » ou, plus exactement, à un lumpenprolétariat italien. C’est une tentative délibérée de donner l’impression qu’il représente quelque chose de nouveau et de radical. Il s’adresse à des millions de personnes mécontentes qui détestent l’establishment politique qu’elles identifient aux anciens partis et dirigeants. Il dit : « Regardez ! Je ne suis pas comme eux. Je suis l’un des vôtres. Si vous m’élisez, les choses vont changer en Italie. Je peux faire bouger les choses ! » Cela rencontre un écho.
Bien que Salvini ait été le ministre de l’Intérieur dans le gouvernement de coalition avec le Mouvement 5 étoiles, il a continué à agir comme s’il était dans l’opposition. Il utilise sa position pour faire des discours belliqueux contre les « ennemis extérieurs » (l’UE et les immigrants), qu’il rend responsables de tous les malheurs de l’Italie. En conséquence, il semble s’opposer aux limites fixées par l’establishment. L’étoile de Salvini s’est élevée aussi vite que le Mouvement 5 étoiles a coulé. Il a choisi son moment et s’est débarrassé de ses alliés temporaires, brisant la coalition, pensant qu’il gagnerait les élections suivantes.
Mais la bourgeoisie, craignant les conséquences d’un gouvernement de Salvini sur l’économie italienne et la zone euro, décide de le contrer. Le moyen qu’ils avaient choisi consistait en une nouvelle coalition instable du Mouvement 5 étoiles avec le Parti démocratique. Mais le mouvement avait déjà fait naufrage en entrant dans le gouvernement de coalition avec la Ligue. Faire partie d’une coalition avec le Parti démocratique, encore plus discrédité, sera pour lui le dernier baiser de la mort.
Le revers actuel des ambitions de Salvini ne durera cependant pas longtemps. En fait, en l’excluant du gouvernement par une manœuvre évidente, ils lui ont rendu service. Les démagogues ont toujours tendance à fleurir dans l’opposition. Salvini tente de détourner l’attention des masses en criant sur l’immigration, mais une fois qu’il se trouvera à la tête du gouvernement, il constatera bientôt qu’il s’agit d’une politique à rendements décroissants. Il n’a pas de véritables solutions aux problèmes du capitalisme italien, et une fois qu’il sera mis à l’épreuve, Salvini apparaîtra à tous comme le politicien bourgeois réactionnaire qu’il est. Cela préparera la voie à un énorme basculement vers la gauche.
Il en demeure que le seul moyen pour les bourgeois de faire avancer les choses est de couper et d’attaquer le niveau de vie. Afin de prendre les mesures économiques nécessaires, la bourgeoisie italienne a besoin d’un gouvernement fort. Mais un tel gouvernement n’existe pas. Il n’y a pas non plus de possibilité d’en assurer un dans un avenir prévisible. La perspective est celle d’une série de gouvernements de coalition instables, dont chacun se terminera par une crise et un effondrement. Il y aura de violentes oscillations à gauche et à droite, alors que les masses mettront à l’épreuve différents dirigeants et programmes. Et l’un après l’autre, ils seront mis à nu.
Étant donné l’extrême faiblesse de la gauche italienne, le mouvement s’exprimera inévitablement, à un moment donné, sous la forme d’actions directes de masse – similaires au mouvement des gilets jaunes en France. Ce sera une nouvelle édition de 1969, mais à un niveau beaucoup plus élevé. Une fois que le mouvement de masse en Italie aura commencé, il sera très difficile de l’arrêter. Il peut conduire à des occupations d’usines, comme celles qui ont eu lieu en 1919-1920. Cela ouvrira la voie à des développements révolutionnaires. La route sera ouverte pour une croissance explosive de notre section italienne. Mais tout dépend de notre capacité à construire une organisation forte avant que le mouvement se développe.
France : la révolte des masses
Macron se vantait de ne jamais se soumettre à « la rue ». Mais face à la révolte massive des gilets jaunes, il a dû ravaler ses paroles. Il a été obligé de procéder à une retraite humiliante. Pourtant, les manifestations de masse ont continué et sont devenues chaque jour plus audacieuses et plus radicales. La demande de démission de Macron a été soulevée. Les masses ont fait preuve d’un étonnant degré de résistance et de détermination. Sans aucune organisation ou direction sérieuse, il était vraiment extraordinaire que ce mouvement se poursuive aussi longtemps.
Mais les manifestations de masse, aussi énergiques et déterminées soient-elles, ont des limites bien définies. Lénine a expliqué il y a longtemps les limites des mouvements spontanés. L’élément spontané était à la fois la force du mouvement et sa principale faiblesse. Les gilets jaunes étaient un mouvement très hétérogène, contenant à la fois des éléments révolutionnaires et réactionnaires. Il n’y avait pas de plan d’action élaboré et aucune perspective réelle de prise du pouvoir – ce qui était la seule perspective possible.
La principale faiblesse de ce mouvement était son incapacité à se lier à la classe ouvrière organisée et à lutter pour une grève générale reconductible. Mais la principale raison pour laquelle cela n’a pas eu lieu a été le comportement des dirigeants syndicaux qui ont été effrayés par le mouvement. En fin de compte, c’est ce qui a sauvé Macron. La principale raison pour laquelle le mouvement des gilets jaunes a vu le jour est précisément la pourriture des dirigeants syndicaux français et de la soi-disant gauche qui ont collaboré avec Macron et ont accepté toutes les coupes.
Comme les masses ne trouvaient pas d’expression dans la classe ouvrière organisée, elles en ont trouvé une à l’extérieur. Plus tard, sentant la pression d’en bas et craignant un nouveau mouvement qui pourrait échapper à leur contrôle, les dirigeants syndicaux ont appelé à une grève générale en décembre 2019. Cette manifestation s’est avérée très puissante, avec 1,5 million de personnes dans les rues, ce qui indique que la classe ouvrière organisée est en train de se mobiliser.
Ce qui était le plus frappant à l’époque des gilets jaunes, c’était la façon dont les bourgeois français tiraient des parallèles gênants avec la Révolution française. Cela montre comment même les bourgeois commencent à saisir, de façon aussi vague et confuse soit-elle, les implications révolutionnaires de la situation actuelle. À cet égard, ils sont beaucoup plus sérieux et perspicaces que les réformistes et sectaires de gauche.
Il n’y a pas de place dans la politique révolutionnaire pour l’impressionnisme et le romantisme. Nous devons avoir une attitude claire envers les mouvements de ce type. Oui, nous devons voir les possibilités révolutionnaires qui y sont implicites. Oui, nous devons les saluer avec tout l’enthousiasme possible et faire tout ce qui est en notre pouvoir pour les aider à réussir. Surtout, nous pouvons les aider à atteindre la clarté politique nécessaire, sans laquelle le succès échappera toujours aux mouvements de masse les plus agités.
Cependant, le mouvement des gilets jaunes était finalement destiné à s’essouffler. Macron a donc pu se maintenir temporairement au pouvoir et reprendre l’initiative. Mais il a subi des blessures mortelles lors de cette bataille. Ses concessions ont augmenté le déficit budgétaire et de nouvelles coupes et attaques seront donc nécessaires. Le gouvernement a été sérieusement affaibli. Et la puissante grève générale du 5 décembre indique clairement que de nouveaux affrontements sont inévitables, ouvrant la voie à de nouveaux développements révolutionnaires en France.
Le problème n’est pas la force de Macron, mais l’extrême faiblesse de la gauche. Tous les partis de gauche sont en crise. La France Insoumise a commis beaucoup de fautes. Pendant le mouvement des gilets jaunes, elle est restée à la remorque du mouvement. L’une des principales revendications du mouvement était de nouvelles élections. La France Insoumise a mis beaucoup de temps avant de soutenir cette revendication.
Mélenchon, qui avait auparavant apparu comme un puissant opposant de gauche, n’a pas su tirer avantage de cette situation. Au lendemain de la grève générale de décembre, il s’est rangé derrière les dirigeants syndicaux qui, ignorant le slogan ouvrier « Macron démission », ont voulu canaliser la protestation vers des négociations avec le gouvernement, en limitant celles-ci à la « réforme » des retraites.
Mélenchon ne parle plus de la nécessité de contrôler l’économie. Il parle plutôt de la nécessité de tempérer le langage. Ce qu’il dit en réalité, c’est qu’il faut diluer la propagande du parti pour ne pas effrayer la bourgeoisie. Il refuse d’introduire des structures plus démocratiques dans la France Insoumise (FI), car cela permettrait de mettre en place les structures à travers lesquelles la critique de la direction pourrait émerger. S’il avait sérieusement structuré le mouvement, la France Insoumise aurait pris son essor. Mais il ne veut pas organiser un parti politique. Il préfère plutôt conserver la FI comme un « mouvement » amorphe et mal défini.
Vu que Mélenchon n’a pas su exploiter tout le potentiel de la situation, Marine Le Pen gagne dans les sondages. Néanmoins, la FI, bien qu’affaiblie, reste pour l’instant la seule référence viable à gauche, et pourrait regagner le terrain perdu au fur et à mesure de l’évolution de la crise. Et malgré toutes les tentatives de Macron pour récupérer sa base, son programme réactionnaire de coupes a servi à relancer le mouvement de masse d’opposition, comme on l’a vu lors de la grève générale de décembre contre la « réforme » des retraites.
La crise en Espagne
La situation sociale et économique en Espagne est extrêmement instable. La croissance économique existante est basée sur des secteurs non productifs : le tourisme et la spéculation. En revanche, la production industrielle a connu sa plus forte baisse en six ans. Cela est particulièrement vrai pour l’industrie automobile. Il existe une grave crise du logement, avec des augmentations constantes des loyers, des factures d’électricité, etc. Le mouvement de masse des retraités en 2019 a révélé un sentiment croissant de radicalisation dans la société espagnole.
Les contradictions se font sentir à tous les niveaux. Toutes les institutions du régime bourgeois sont discréditées. La question catalane n’est pas résolue. La condamnation des prisonniers politiques catalans a produit une nouvelle vague de protestations de masse, qui a acquis un caractère presque insurrectionnel. Mais, comme cela a été clairement démontré au lendemain du référendum sur l’indépendance en 2017, sous sa direction nationaliste actuelle, lâche et petite-bourgeoise, le mouvement républicain catalan ne peut pas avancer. Ce n’est qu’avec une orientation internationaliste et ouvrière claire qu’il pourra rassembler la force nécessaire pour défier le régime espagnol.
Les élections d’avril 2019 ont montré le potentiel de la gauche. Ceci était déjà préparé par la grève des femmes du 8 mars et le mouvement de masse des retraités. L’émergence d’un parti d’extrême droite, Vox – une scission du Parti Populaire – qui a adopté toute la vieille rhétorique du franquisme, a eu pour effet d’augmenter le vote à gauche, entraînant la défaite du Parti Populaire, qui a perdu des villes qu’il dirigeait depuis plus de 25 ans. Cette radicalisation s’est traduite par la plus forte participation des 30 dernières années aux élections espagnoles.
Mais ce potentiel a été gâché par les dirigeants de Podemos et de la Gauche Unie, qui ont montré qu’ils n’étaient même pas de bons opportunistes. Au lieu de proposer d’aider le PSOE à former un gouvernement (et donc de bloquer la droite) en lui apportant un soutien critique extérieur au gouvernement, ils n’ont fait que réclamer des postes ministériels à l’intérieur de celui-ci. Cela a finalement conduit à la rupture des négociations. Finalement, Sanchez a décidé de convoquer de nouvelles élections, dans l’espoir d’élargir sa propre base et de pouvoir former un gouvernement plus stable, dont la classe dirigeante a besoin pour faire face à la prochaine récession économique.
Les nouvelles élections de novembre 2019 n’ont rien résolu. Au lieu d’être renforcé, le PSOE a perdu quelques députés, tandis que Ciudadanos, son autre partenaire de coalition possible, s’est effondré. Cela a obligé le PSOE à former une coalition avec Unidas Podemos (qui a accepté la discipline gouvernementale et les plafonds de dépenses de l’UE) avec le soutien extérieur des nationalistes catalans et basques. Un tel gouvernement devra faire face à la récession économique imminente, ainsi qu’à la lutte pour les droits nationaux en Catalogne. Il sera plein de contradictions et conduira inévitablement au discrédit de Podemos et des dirigeants de la Gauche Unie.
Grande-Bretagne
Il y a quatre ans de cela, le résultat du référendum sur la sortie de l’Union Européenne a bouleversé l’establishment. Depuis, la Grande-Bretagne traverse une période de troubles sociaux et politiques inégalés. La nouveauté de la situation est le fait que la classe dirigeante a perdu le contrôle de la situation et est depuis en train de batailler pour tenter de le récupérer.
Par le passé, diriger le système n’était pas une tâche compliquée. Le Parti Conservateur (les Tories), parti principal de la bourgeoisie, était sous leur emprise. Quant au Parti Travailliste, il était dirigé par de respectables membres de la classe moyenne sur lesquels on pouvait compter pour ne pas trop déranger l’ordre établi. Et lorsque les masses se seraient lassées d’eux, on pouvait ramener les Tories sur le devant de la scène.
Dans les dernières années, néanmoins, la destruction de l’équilibre social et politique qui a surgi de l’effondrement économique de 2008 s’est reflétée par une polarisation aiguë à droite et à gauche. Dans les faits, la classe dirigeante britannique a perdu le contrôle du Parti Conservateur comme du Parti Travailliste.
Les bourgeois de Grande-Bretagne se sont alarmés des développements au sein du Parti Conservateur, sur lequel ils n’ont plus de contrôle ou presque. Mais ils ont été profondément terrifiés par ceux qui ont eu lieu dans le Parti Travailliste. L’élection de Jeremy Corbyn, malgré le caractère de gauche réformiste limité de son programme, a représenté un virage serré vers la gauche. Elle a éveillé chez des centaines de milliers de personnes, principalement dans la jeunesse, un début de conscience politique.
Le Parti a été submergé par les nouvelles adhésions, ce qui a mené à une transformation en profondeur. L’aile droite Blairiste était démoralisée. La grande majorité des branches locales se sont repositionnées bien plus à gauche, notamment après la tentative de coup d’Etat de 2016. Le changement s’est répandu dans une grande partie de l’appareil partisan après que le Blairiste McNicol a été remplacé par Formby. La chasse aux sorcières contre la gauche fut stoppée et beaucoup d’anciens membres, trop à gauche, sont revenus.
L’assemblée générale du parti est maintenant fermement dominée par la gauche et seule la direction syndicale l’empêche « d’aller trop loin ». L’influence de l’aile droite est maintenant réduite à ses dernières places fortes : la branche parlementaire et les bureaux et conseils régionaux, d’où elle continue à lutter en dernière action contre les Corbynistes.
Ces développements ont produit quelque chose de comparable à une panique dans la classe dirigeante. Étant donné la gravité de la crise, un gouvernement travailliste aurait subi énormément de pression pour appliquer son programme et prendre des mesures contre les banquiers et les capitalistes, ce qui aurait été une menace sérieuse pour la bourgeoisie.
De concert avec l’aile droite du Parti Travailliste, la classe dirigeante a fait tout ce qu’elle a pu pour l’empêcher. Les Blairistes de la branche parlementaire étaient prêts à créer une scission dans le parti si Corbyn avait gagné l’élection. Ils ont activement travaillé dans l’ombre pour une défaite travailliste et ont obtenu le résultat qu’ils avaient tant espéré.
La classe dirigeante a mobilisé toutes ses ressources pour écraser Jeremy Corbyn et empêcher une victoire travailliste. L’élection générale de 2019 fut la plus sale de notre époque. Toutes les ressources disponibles de la classe dirigeante furent utilisées, des médias de masse au grand rabbin, pour diffamer et diaboliser Jeremy Corbyn.
Néanmoins, l’élément décisif qui a déterminé le résultat fut sans le moindre doute le Brexit. Depuis 2016, ce problème a empoisonné la vie politique britannique. A la base, il s’agissait d’une scission entre deux factions de la classe dirigeante, mais ça a fini par diviser la société, non pas sur une ligne de classes, mais d’une manière complètement réactionnaire.
L’aile droite du parti blâme Corbyn pour la défaite électorale, mais choisit d’ignorer un petit détail : en poussant le Parti Travailliste à soutenir le camp de ceux qui voulaient rester dans l’UE, ils ont eux-mêmes joué un rôle très important dans la défaite travailliste. Et la supposée « impopularité » de Jeremy Corbyn était principalement due à leurs attaques constantes, leurs insultes et leurs tentatives de le détrôner comme chef du Parti Travailliste.
De manière prévisible, le jour suivant l’élection, la campagne brutale pour renverser Corbyn fut intensifiée à 1000 % et finalement obtint satisfaction – au moins partiellement – avec la démission annoncée de Corbyn et McDonnell.
La chute de Jeremy Corbyn, néanmoins, permet aussi de mettre au jour les faiblesses et limites du réformisme de gauche. Les réformistes de droite se sont montrés bien plus déterminés que la gauche. Ils sont prêts à aller jusqu’au bout pour gagner la bataille au sein du Parti Travailliste. La gauche, de son côté, a tendance à vaciller, évite le conflit et fait des compromis. C’est une erreur très grave qui mène inévitablement à battre en retraite encore et encore. Et pour chaque pas en arrière effectué, l’ennemi en demande dix de plus.
Cette adaptation politique de Corbyn a été décisive dans la défaite électorale du Parti Travailliste. Sur la question du Brexit, Corbyn soutenait l’idée d’organiser un nouveau référendum, ce qui a été vu par ceux qui ont voté pour quitter l’Union Européenne dans le référendum de 2016, comme une tentative de revenir sur une décision qui avait déjà été prise par la majorité de la population, une décision qui, de plus, contrevenait aux intérêts de l’establishment.
Les tentatives de Corbyn et de McDonnell de s’accorder avec la droite de manière à préserver « l’unité » ont été un signe de faiblesse, et la faiblesse invite à l’agression. Le fait de battre en retraite sur la désélection, l’Europe et l’antisémitisme a joué le jeu de la droite et préparé la défaite actuelle. Mais une contre-révolution Blairiste dans le Parti Travailliste ne peut être effectuée sans une guerre civile au sein du parti. Or le parti est déjà en pleine guerre civile ouverte.
La démission de Corbyn représente sans le moindre doute un coup dur pour la gauche et c’est ce qui était prévu. Les changements qui ont eu lieu au sein du Parti Travailliste se sont profondément étendus, particulièrement au niveau de la base, mais aussi de manière assez large dans l’appareil du parti, ce qui fait que le phénomène connu sous le nom de Révolution Corbyn ne peut pas être annulé facilement, comme l’ont compris les analystes bourgeois les plus réalistes. Le 13 décembre, The Economist a publié un article sous le titre « La défaite écrasante de Jeremy Corbyn » qui se concluait sombrement par « Le Blairisme restera dans sa tombe ».
Les médias prostitués au système tentent de présenter cette défaite comme le début de la fin pour les travaillistes. Rétrospectivement, cela sera vu comme un développement épisodique qui se transformera en son opposé. Quand la réalité du Brexit finira par être comprise par le peuple, il y aura une réaction violente contre Boris Johnson et toute son œuvre. Son gouvernement deviendra le gouvernement le plus impopulaire de l’histoire récente.
Le résultat de l’élection n’est pas aussi retentissant que ce qui avait été annoncé. En fait, l’augmentation des votes Tories était négligeable ; à peine 300 000 votes de plus par rapport à l’élection de 2017. Le résultat dans les zones populaires du nord-est de l’Angleterre n’est pas non plus aussi encourageant qu’ils voudraient nous le faire croire. La plupart de ceux qui ont voté pour Johnson disent qu’ils lui ont juste « prêté » leur soutien. Ils attendent de lui qu’il tienne ses promesses et n’hésiteront pas dans le cas contraire à le lui retirer.
Mais Johnson ne pourra pas tenir ses promesses. Comme dans d’autres pays, la période actuelle est caractérisée par de violents basculements de l’opinion publique, à gauche comme à droite. L’élection de 2019 en Grande-Bretagne n’est qu’un exemple de plus de ce processus. Il va introduire une nouvelle période de conflits sociaux, de lutte des classes et de retournements politiques qui vont ridiculiser tout ce que nous avons connu jusque-là, avec de profondes conséquences politiques.
Le départ de l’UE de la Grande-Bretagne, loin de mener à une nouvelle ère de prospérité et de croissance économique, va avoir des conséquences extrêmement négatives pour l’économie britannique. Si – ce qui est encore possible – la Grande-Bretagne quitte l’UE sans un accord, cela annoncera une catastrophe absolue. Mais même dans sa meilleure variante, le Brexit va résulter en une contraction de l’économie, des pertes d’emplois et la chute des niveaux de vie.
Loin de proposer un futur composé de progrès, de prospérité et de stabilité, la Grande-Bretagne est destinée à entamer la période la plus instable et turbulente de l’histoire récente. Les inévitables attaques contre le niveau de vie et les services publics vont inexorablement résulter en une explosion de grèves et de manifestations à une échelle de masse qui n’avait pas été observée en Grande-Bretagne depuis les années 70.
La situation sera d’autant plus déstabilisée par la question nationale de l’Écosse. Alors que les Conservateurs ont obtenu une majorité décisive en Angleterre, le parti nationaliste écossais (SNP) a obtenu une majorité encore plus décisive au nord de la frontière. La victoire de Boris Johnson a été pour le peuple écossais l’équivalent d’un mouchoir rouge pour un taureau. Son slogan électoral « faire le Brexit pour de bon » a été perçu comme une provocation par les Ecossais qui avaient voté en grande majorité pour rester dans l’UE.
La dirigeante nationaliste, Nicola Sturgeon, a immédiatement demandé un nouveau référendum sur l’indépendance écossaise. Boris Johnson refuse catégoriquement d’en entendre parler. La route est donc ouverte à un sérieux conflit entre l’Ecosse et Westminster. Le résultat d’un tel conflit est difficile à prédire. Mais une chose est claire : la Tendance Marxiste soutient fermement le droit du peuple écossais à décider librement de son futur, incluant le droit de faire sécession avec le Royaume-Uni. Néanmoins, nous devons expliquer aux travailleurs écossais que hors du Royaume-Uni ou non, aucune solution satisfaisante n’est possible pour la classe ouvrière écossaise dans un système capitaliste. Opposés aux bourgeois nationalistes du SNP, qui désirent une Ecosse indépendante capitaliste, nous luttons pour une République des travailleurs écossais, qui serait un tremplin puissant pour l’obtention d’une Fédération Socialiste d’Ecosse, d’Angleterre, d’Irlande et du pays de Galles. Dans toutes les luttes entre l’Ecosse et le gouvernement réactionnaire conservateur, nous nous tiendrons du côté du peuple écossais.
Le désastre qu’est le Brexit aura aussi de sérieuses conséquences en Irlande, où l’introduction de contrôles aux frontières et de droits de douane, même sous la forme altérée proposée par Boris Johnson, ne servira qu’à raviver les vieux démons qu’ils pensaient avoir enterrés avec le Good Friday Agreement. C’est une grande ironie de l’histoire que le parti officiellement connu sous le nom de « parti conservateur et unioniste » sera très probablement responsable de la destruction du Royaume-Uni, avec des conséquences que l’on ne peut prévoir pour les gens de cet archipel.
La situation sera prête pour des conflits et des luttes à grande échelle. Tout cela annoncera un virage serré à gauche dans le futur. Si la gauche garde son calme, elle en bénéficiera. Ces zones qui ont voté pour les conservateurs dans les dernières élections vont violemment virer de bord. Dans un futur proche, le parti travailliste sera dans un état d’ébullition intense. Dans un futur immédiat, la droite blairiste va tenter une dernière bataille désespérée pour tenter de reprendre le contrôle. Ils sont soutenus par la classe dirigeante qui cherche à renverser le virage à gauche du parti.
La lutte au sein du Parti Travailliste va prendre un tour plus violent et acharné. Un processus de débats et de réflexions internes sur cette élection va s’entamer. Les provocations des Blairistes vont provoquer une vague de colère et d’indignation dans les rangs du parti. Néanmoins il s’agit d’une lutte de forces vivantes et le résultat sera difficile à prédire.
L’immense majorité de la base travailliste est Corbyniste. Ils sont prêts à combattre l’aile droite. Mais dans toute lutte, la qualité et l’esprit combatif de la direction sont des éléments essentiels. Corbyn et McDonnell ont fait des concessions à l’aile droite. S’ils sont remplacés par une variété plus molle de réformistes de gauche, ces derniers risquent d’être encore plus propices à se soumettre aux demandes « d’unité », et à tomber dans le piège qui leur aura été tendu par le gang des blairistes.
La lutte au sein du Parti Travailliste est essentiellement une lutte de classes : une aile essaye de représenter la classe ouvrière, les pauvres et les indigents, l’autre est composée de carriéristes qui servent, consciemment ou inconsciemment, les intérêts des grosses entreprises. Ces deux tendances antagonistes ne peuvent demeurer indéfiniment ensemble. Si la base réussit à affirmer sa supériorité, à un certain stade, l’aile droite sera obligée de faire scission. Mais rien n’est moins sûr.
Quand Corbyn et McDonnell ont annoncé leur intention de démissionner, l’aile droite s’est sentie encouragée à passer à l’offensive. Ils ont retrouvé le moral, qui était resté au plus bas depuis 2017, et ne voient désormais aucune raison de faire scission, car ils espèrent reprendre le contrôle du parti. Au contraire, l’aile gauche est démoralisée et désorientée. Sa candidate à la tête du parti, Rebecca Long-Bailey ne possède même pas une fraction de l’autorité de Corbyn. Tout dépend de la base du parti, mais il y a aussi beaucoup de confusions à ce niveau-là.
Dans tous les cas, la Tendance Marxiste sera en première ligne dans la bataille contre l’aile droite. Cela lui fera gagner autorité et prestige aux yeux des travailleurs et de la jeunesse qui vont découvrir dans la pratique la supériorité du Marxisme, non seulement en tant qu’idée, mais en tant que tendance qui n’accepte ni compromis, ni capitulation, mais continue à porter le combat jusqu’à la fin.
L’impérialisme américain et les relations internationales
Après l’effondrement de l’URSS, il n’y avait qu’une seule grande superpuissance. Et avec une puissance colossale est venue une colossale arrogance. Après la fin de la Seconde Guerre mondiale, le monde entier était divisé entre l’impérialisme américain et la puissante Russie stalinienne. Cela a créé une relative stabilité dans les relations internationales qui a duré des décennies, ponctuée de temps à autre par des crises comme la crise des missiles cubains. Mais en général, les deux grandes puissances prenaient garde à ne pas trop interférer dans leurs sphères d’influence respectives.
Tout cela a changé après la chute de l’Union soviétique. Elle a laissé un vide, que les impérialistes américains ont exploité en intervenant, d’abord dans les Balkans, puis avec les guerres en Irak et en Afghanistan. La Russie était en position de faiblesse, et temporairement incapable de réagir. Mais cette période est désormais révolue. La Russie a finalement commencé à se redresser et à s’affirmer, en commençant par la Géorgie, puis l’Ukraine, et la Syrie. En Irak et en Afghanistan aussi, les Etats-Unis ont essuyé une défaite face aux Talibans, qui sont aujourd’hui dans une phase ascendante en Afghanistan, tandis que l’Iran s’est imposé en Irak.
Dans tous les cas, l’impérialisme américain a été contraint d’accepter une défaite humiliante. Le résultat de ces défaites a été une augmentation massive de la dette publique et une profonde lassitude de la population vis-à-vis de la guerre. Associé à la crise mondiale du capitalisme, à la montée de la lutte des classes et aux divisions de la classe dirigeante qui en découlent, le champ d’intervention militaire de l’impérialisme américain a été sévèrement réduit. Obama n’a même pas pu faire passer une campagne de bombardement de la Syrie au Congrès. Cela montre les limites du pouvoir de l’impérialisme américain. Les Etats-Unis connaissent un déclin relatif face aux autres puissances capitalistes. Cela explique l’accroissement de l’instabilité mondiale et la crise de l’ordre mondial d’après-guerre, qui s’était construit autour de l’impérialisme américain.
Cependant, il faut faire attention à ne pas exagérer le déclin de l’impérialisme américain. Il s’agit d’un déclin relatif, mais les Etats-Unis restent toujours le pays le plus riche, et la plus formidable puissance militaire. Son évolution est au cœur de la direction de l’économie mondiale, car c’est de loin le plus grand marché. Un ralentissement de l’économie américaine conduirait à un ralentissement mondial, se terminant en récession mondiale.
Alors que Trump est un isolationniste d’un point de vue militaire, il fait tout son possible (et certaines choses qui sont impossibles) pour affirmer ce pouvoir dans le domaine économique. On peut le résumer par son slogan : « Rendre sa grandeur à l’Amérique », auquel il oublie d’ajouter la seconde partie : aux dépens du reste du monde. Comme nous l’avons expliqué, cela provoque des conflits qui pourraient avoir de graves conséquences pour l’économie mondiale.
La Chine, le dragon endormi
Grâce au développement industriel des dernières années, la Chine est devenue l’un des pays les plus importants au monde. Les contradictions s’y accumulent de manière impressionnante. La croissance de l’industrie est allée de pair avec la croissance de la classe ouvrière. Napoléon a dit un jour : « La Chine est un dragon endormi. Quand ce dragon s’éveillera, le monde tremblera. » Nous faisons nôtres ces mots prophétiques en les paraphrasant légèrement : « Quand le prolétariat chinois s’éveillera, le monde tremblera. » Le colossal potentiel révolutionnaire de la Chine s’est révélé lors des événements hongkongais.
Ceci est très positif de notre point de vue, mais constitue un problème important pour la classe dirigeante chinoise. Maintenant, toutes les contradictions émergent au grand jour. Malgré le nombre limité d’informations statistiques, il apparaît clairement qu’il y a eu une augmentation du nombre de grèves et d’autres formes de protestations. Xi Jinping essaye de tout centraliser et d’éradiquer toute voix dissidente avant qu’elle ne soit hors de contrôle.
La Chine dépense désormais plus en sécurité intérieure que dans le secteur de la défense. Puisqu’il s’agit d’un Etat totalitaire, l’information sur ce qui s’y déroule est filtrée. On crée ainsi l’illusion que la société est calme, que rien ne se passe, mais ce n’est qu’une impression. La Chine est comme une gigantesque cocotte-minute, où l’accumulation de la pression, en l’absence de tout moyen légal d’expression, aboutira à une énorme explosion. Ceci se produira alors que personne ne s’y attendra, exactement comme à Hong-Kong.
A ses débuts, ce mouvement avait des éléments de conscience de classe et des idées de gauche. Un des dirigeants avait même déclaré être contre l’hégémonie capitaliste. Dans les rues, l’atmosphère était révolutionnaire et les jeunes ont fait preuve d’un grand héroïsme. Le mouvement hongkongais aurait pu s’étendre à la Chine continentale. Avec une direction correcte, le potentiel aurait été énorme.
Néanmoins, rien de tout ceci n’avait la moindre chance de se produire sous une direction petite-bourgeoise. En l’absence de toute direction de gauche, les éléments pro-occidentaux ont occupé le devant de la scène et leurs appels à l’aide lancés aux Etats-Unis et à l’Ouest ont été utilisés par les médias chinois comme propagande pour noircir l’image des protestataires dans l’esprit de millions de Chinois ordinaires. L’héroïsme de la jeunesse sera inutile tant que les dirigeants entretiendront l’illusion d’une solution au sein du capitalisme. C’est une recette parfaite pour l’échec.
La confusion des leaders du mouvement a été aggravée par leurs tentatives répétées de négocier une solution avec les dirigeants de Pékin. Xi n’avait aucune intention de négocier avec eux, ni avec qui que ce soit d’autre. Il a essayé de les faire taire. La raison en est claire : les masses de Hong-Kong constituent un exemple qui pourrait s’étendre à la Chine continentale, où un terrible mécontentement bout sous la surface. Les hommes de Pékin sont terrifiés.
Quel que soit le résultat de la situation actuelle, ceci ne sera pas le dernier acte, mais seulement le prélude à des événements encore plus grands. Un recul à Hong-Kong ne ferait que retarder le processus révolutionnaire en Chine, cela ne l’arrêtera pas. Au cours des prochaines années, les mobilisations de masse que nous avons vues à Hong-Kong se produiront à Pékin et Shanghai, et partout en Chine, à un niveau bien supérieur. Voilà la véritable perspective. L’une des plus importantes tâches de l’Internationale est de construire une section en Chine.
Russie
Le régime de Poutine est au pouvoir depuis deux décennies. Sur la scène internationale, il donne l’impression d’être un homme fort exerçant un contrôle total sur la Russie. Mais c’est une vision très partielle de la situation en Russie. L’« homme fort » est un géant aux pieds d’argile. Au cours de la première période de son règne, Poutine a bénéficié d’un rebond économique principalement fondé sur les prix élevés du pétrole et du gaz, les principales exportations et sources de richesse de la Russie.
En conséquence, Poutine a joué la carte du nationalisme russe dans la crise ukrainienne, menant à l’annexion de la Crimée et à une intervention militaire dans la région du Donbass. Mais aujourd’hui, l’euphorie nationaliste s’est dissipée, l’économie stagne, et, dans les sondages, le soutien envers Poutine décroît constamment. Aussi bien les travailleurs que les bourgeois le mettent sous pression. Poutine essaye de faire croire qu’il prend des mesures décisives contre la corruption, alors que la clique du Kremlin en est massivement responsable. En 2018, des officiers des services secrets ont été arrêtés sur cette base. Mais ces mesures n’ont pas amélioré le moins du monde la situation économique.
Le rythme lent du développement économique a forcé le Kremlin à couper dans les dépenses d’Etat. En retour, cela veut dire que le « contrat social » s’effondre. Le chômage a augmenté, tout comme les emplois précaires et temporaires. Ces attaques se sont accélérées au cours de la période récente. Un bon exemple en est la réforme des retraites, qui a constitué une sérieuse attaque contre des millions de travailleurs russes, et qui a été confrontée à des protestations de masse.
Comme il est incapable de freiner le déclin économique, Poutine essaye de resserrer son emprise sur le front politique. Il cherche à imposer un contrôle total sur le système juridique et politique, sur les communications et les médias. Son parti, Russie Unie, garde fermement tous les leviers politiques, mais fait face à un mécontentement grandissant qui s’est exprimé dans une série de protestations de masse contre le gouvernement, en particulier à Moscou.
Néanmoins, la campagne menée par Alexei Novalny est fortement marquée par la présence de la classe moyenne, en dépit de ses tentatives de joindre les travailleurs. En parallèle, le Parti Communiste de la Fédération de Russie (PCFR), sous la direction de Zyuganov, ne fait rien pour donner une direction aux manifestations. Dans les faits, ils ont conclu un accord secret avec le Kremlin pour éviter toute opposition sérieuse à Poutine.
Il y a dix ans, le PCFR constituait une force puissante en Russie. Aujourd’hui, même s’il reste un acteur important, il n’a rien pu tirer de la situation politique actuelle et traverse une crise profonde. La direction du parti est totalement en faillite ; elle a complètement embrassé le système capitaliste. De nombreux candidats du PCFR sont des hommes d’affaires, et le parti est dirigé par une clique d’autocrates, en conflit permanent avec d’autres cliques bureaucratiques rivales.
Dans la plupart des cas, ces batailles de cliques n’ont absolument aucun contenu politique, malgré l’habituelle accusation lancée contre l’opposition d’être « néo-trotskyste ». Il y a eu des vagues répétées d’exclusions, y compris de branches entières d’organisations locales du parti. Pour toutes ces raisons, un travail au sein du PCFR n’est pas une option viable actuellement. Néanmoins, ce serait une erreur d’ignorer complètement le PCFR : il porte encore le nom de parti communiste, ainsi que les insignes du communisme (drapeau rouge, faucille, marteau, etc). Malgré tout, et à cause du grand vide qui existe à gauche, le PCFR pourra rassembler de nouveaux soutiens dans le futur, en particulier lors d’une crise sociale et politique.
Bien qu’à l’heure actuelle Poutine ait réussi à garder le pouvoir, cette situation ne durera pas éternellement. L’économie russe dépend fondamentalement des prix du pétrole et du gaz, qui seront inéluctablement touchés par la prochaine récession mondiale. Les protestations qui ont déjà eu lieu se reproduiront à plus grande échelle et mineront complètement la base soutenant Poutine. Il ne pourra plus jouer la carte nationaliste, car les masses sont déjà fatiguées par ses aventures à l’étranger et réagissent contre.
Ce qui manque surtout en Russie est la mise en mouvement de la classe ouvrière. Une fois que cela sera le cas, toute la situation se transformera rapidement, comme nous l’avons vu en janvier 1905. Les travailleurs russes ont de fortes traditions révolutionnaires et leur conscience bondira une fois la situation changée.
Nous avons désormais construit une solide section en Russie, avec des bases dans plusieurs régions. Des retards dans le processus révolutionnaire jouent en notre faveur, car nous avons besoin de temps pour consolider nos forces, qui peuvent croître rapidement une fois que la situation sera en cours de changement. L’émergence d’un véritable parti des travailleurs est à l’ordre du jour, et nous devons être au centre de ce processus. Cela pourrait se produire à travers un changement fondamental de régime au sein du PCFR ou, si la crise interne mène à la destruction du parti, cela pourrait impliquer la création d’un parti complètement nouveau. Nous nous inscrivons dans les pas d’un bolchévisme-léninisme authentique (trotskysme). Ceci nous donne une force considérable, de l’autorité et de la confiance. Par un travail patient au sein des franges les plus avancées des travailleurs et de la jeunesse, nous pouvons poser les jalons pour la construction d’une future force révolutionnaire de masse au pays d’Octobre.
L’Afrique
L’Afrique a une population de 1,3 milliard de personnes, dont la grande majorité vit dans une pauvreté abjecte, dans un continent assis sur d’immenses ressources minières et un grand potentiel agricole encore inexploité. Preuve de cette pauvreté : le PIB total de l’Afrique atteint seulement 2 200 milliards de dollars (chiffres de 2017) ; en comparaison, le PIB des Etats-Unis pour 2017 – un pays avec seulement 327 millions d’habitants – était de 19 400 milliards de dollars, soit près de dix fois le PIB de toute l’Afrique. Ceci montre de manière flagrante le rôle de l’impérialisme – passé et présent – dans l’exploitation du continent et dans les limites mises à son développement.
Il n’est pas surprenant que cet océan de misère humaine produise une vague massive de réfugiés, cherchant désespérément une issue à leurs conditions de vie cauchemardesques qui résultent du pillage de leur pays par des multinationales voraces et par l’impérialisme. Ce dernier continue à les dominer à travers les mécanismes inégaux du commerce mondial et les remboursements de dettes écrasantes, qui drainent les ressources du continent, ainsi qu’à travers des « aides » véreuses qui ne servent qu’à masquer de manière hypocrite la poursuite de l’exploitation.
A ce retard historique s’ajoute la crise mondiale du capitalisme. Toute l’Afrique est dans la tourmente, et des crises sociales et politiques affectent de nombreux pays. Nous avons été témoins d’une récente vague de mouvements de masse, chacun avec des caractéristiques similaires. Des dictateurs depuis plusieurs décennies, ou des présidents en fonction depuis plusieurs mandats, ont refusé de partir. A chaque fois, les masses ont identifié la personne en fonction avec l’austérité draconienne qui leur a été imposée, et ceci a déclenché des mouvements de masse de dimensions révolutionnaires à travers tout le continent.
Au Burkina Faso en 2014, des protestations ont eu lieu contre les plans du président de l’époque, Compaoré, de changer la loi pour pouvoir rester au pouvoir. Confronté à une opposition massive, il a dû se retirer après 27 ans en fonction. Au Burundi, en 2015, une lutte a eu lieu pendant plusieurs semaines contre le président Nkurunziza qui prévoyait de rester au pouvoir pour un nouveau mandat ; ces protestations ont profondément secoué le régime. Des foules ont envahi les rues chaque jour pour demander un changement ; des quartiers entiers se sont soulevés contre le régime.
Au Congo en 2015, des mouvements ont eu lieu à travers le pays, demandant la démission du président Joseph Kabila. Il essayait alors d’étendre la durée de son mandat au-delà de la date limite de 2016. Finalement, Kabila a quitté le pouvoir et un nouveau président a été élu en 2018 grâce à une fraude massive convenue au sommet de l’Etat. Pendant ce temps, le pays est resté dans un état social et économique catastrophique et fait face à une nouvelle guerre civile, qui menace de le plonger dans la barbarie, avec des massacres à un niveau inimaginable.
La Gambie en 2016 s’est trouvée au milieu d’une crise profonde provoquée par la décision du président-dictateur Yahya Jammeh de ne pas quitter le pouvoir, malgré sa défaite aux élections de décembre 2016. L’année suivante, au Zimbabwe, le départ de Robert Mugabe après 37 ans au pouvoir a eu des répercussions dans toute la région sud de l’Afrique. Sa chute a été accueillie avec jubilation dans tout le continent, ce qui indique que les masses sont épuisées et exaspérées par ces vieux régimes nécrosés. Néanmoins, rien de fondamental n’a changé après son départ, comme l’ont montré les nouveaux mouvements de masse qui se sont déclenchés début 2019, contre de nouvelles mesures d’austérité, et qui ont engendré spontanément une grève générale contre le gouvernement.
Le Libéria est aussi en ébullition, avec des mouvements de masse d’étudiants et de travailleurs en 2019. Le régime a résisté, mais est incapable d’empêcher la colère des masses de se transformer en mouvements plus larges. Le président Weah, arrivé au pouvoir il y a tout juste deux ans, alors que les masses s’étaient levées contre le précédent gouvernement, a déjà provoqué le soulèvement des foules et pourrait bien tomber prochainement. Nous pouvons nous attendre à plus de mouvements de ce type en Afrique, des vagues de lutte des classes appartenant à la marée montante des soulèvements révolutionnaires qui secouent le monde.
Nigéria
Le Nigéria est un des pays clefs d’Afrique, de même que l’Egypte et l’Afrique du Sud. C’est le plus grand pays du continent, avec une population de plus de 200 millions de personnes et un PIB de 375,8 milliards de dollars américains, soit un sixième de tout le PIB d’Afrique. Néanmoins, l’espérance de vie au Nigéria est la plus basse de toute l’Afrique de l’Ouest.
Depuis la fin du régime militaire de 1999, la classe dirigeante nigérienne a gouverné à travers deux partis bourgeois : d’abord le PDP, puis l’APC. Mais les masses ont bientôt atteint leur limite de tolérance, comme l’ont révélé les élections de 2019 : 43 millions d’électeurs potentiels n’ont pas voté, faisant de l’abstention le premier choix électoral ! Les votants ne représentent que 35 % de la population ; à Lagos, le département le plus développé, seuls 18 % ont participé. Cela révèle de manière frappante l’immense vide qui persiste à la tête de la classe ouvrière.
La classe dirigeante nigérienne est incapable de fournir les biens de première nécessité à la majorité de la population, poussant sans cesse les masses sous leurs niveaux de vie actuels, déjà proches de la barbarie. La classe dirigeante est consciente que les conditions actuelles pourraient donner naissance à des explosions sociales.
Afrique du Sud
Vingt ans après la fin de l’apartheid, aucun des problèmes fondamentaux des masses sud-africaines n’a été résolu. La pauvreté et le chômage sont omniprésents, et les inégalités ont atteint des niveaux encore plus élevés que sous l’apartheid. Les seuls à avoir bénéficié du changement de régime sont une mince couche de Sud-africains noirs, comme le président milliardaire Cyril Ramaphosa, qui ont rejoint la classe capitaliste.
Tout en freinant les masses, le régime de l’ANC a mené des politiques pro-capitalistes les unes après les autres. Un vaste sentiment de désillusion envers le système s’est propagé. Plus de 51 % de l’électorat n’a pas voté lors des dernières élections et l’abstention a été particulièrement élevée parmi la jeunesse. C’est une préoccupation sérieuse de la classe dirigeante. Le gouvernement de l’ANC est entré dans une crise profonde, qui transparaît avec une scission ouverte à son sommet. L’opposition officielle, le DA, est aussi en crise.
En parallèle, l’impasse capitaliste a provoqué un grand mouvement à gauche dans la société sud-africaine. Au cours des vingt dernières années, les mobilisations se sont succédé en continu. Les travailleurs, les jeunes et les pauvres du pays ont participé à d’innombrables grèves et manifestations. Ceci a mené à la montée d’une nouvelle fédération syndicale, la SAFTU, qui a été mise en place par le syndicat des métallos NUMSA, fort de 364 000 affiliés. C’est maintenant la fédération syndicale la plus puissante d’Afrique du Sud, fondée sur un programme qui appelle à la fin du capitalisme, du moins sur le papier.
Les dirigeants de la NUMSA ont aussi eu une opportunité historique de mettre en place un parti des travailleurs, mais les bureaucrates ont traîné les pieds et gâché cette chance. Pour l’instant, le Parti Révolutionnaire des Travailleurs mis en place par le syndicat n’est presque rien de plus d’une coquille de parti. Le vide politique a donc été rempli par les Combattants pour la Liberté Economique (Economic Freedom Fighters, EFF), qui sont devenus un point de référence pour de larges couches de la jeunesse et même des travailleurs. Le succès des EFF est principalement dû à leur rhétorique radicale, dénonçant la corruption gouvernementale, mobilisant les jeunes dans la rue, appelant à l’expropriation sans compensation, à la nationalisation des banques, des mines, et d’autres secteurs stratégiques, et demandant la gratuité de l’éducation, de l’accès aux soins et au logement, etc.
Ces demandes entrent clairement en résonance avec celles des franges urbaines de la classe ouvrière, ainsi que de plusieurs pans plus ruraux. Néanmoins, plus le parti s’est établi dans le jeu politique quotidien, plus il s’est déplacé vers la droite, en particulier après l’élection de Cyril Ramaphosa. Sur la question agraire, le parti a fait plusieurs concessions importantes à l’ANC. Toutefois, tant que l’EFF n’est pas au pouvoir, les masses ne se rendront pas compte de cette tendance. Tout ce qu’elles voient est un parti menant la bataille contre les riches. A la lumière de la crise du capitalisme et de l’ANC, l’EFF continuera à grandir.
Le Moyen-Orient
Le destin du Printemps arabe montre à quel point les révolutions et les contre-révolutions sont organiquement liées. Il est impossible de faire la moitié d’une révolution. Soit la classe ouvrière se place d’elle-même à la tête du mouvement et prend le pouvoir entre ses mains, ou tout peut se dérouler à l’envers, préparant le terrain à la contre-révolution. C’est précisément ce qui s’est passé en Egypte.
Cela souligne l’importance vitale du facteur subjectif. Les masses égyptiennes n’ont pas fait une révolution, mais dix. Mais à la fin, tous leurs efforts furent réduits à néant à cause du manque de direction. Le vide fut rempli par la contre-révolution, avec la prise du pouvoir par les militaires.
Cependant, la révolution arabe n’est pas terminée. Toutes les contradictions qui ont mené aux révolutions de 2011 se sont renforcées. Sous l’impact des nouveaux soubresauts de l’économie mondiale, le niveau de vie de la classe moyenne s’effondre, tandis que les travailleurs et les pauvres sont poussés encore davantage vers un état de pauvreté chronique, de chômage ou au mieux de salaires payés irrégulièrement. Pendant ce temps, la classe dirigeante a perdu toute légitimité et est partout suspendue à un fil.
Pendant un moment, les crédits bon marché venant de l’Ouest ont permis aux gouvernements d’acheter la paix sociale. Mais à mesure que cette méthode s’épuisait, une nouvelle crise se répandait dans la région. La crise mondiale du capitalisme se fait elle-même sentir, et s’exprime par des explosions révolutionnaires dans un pays après l’autre : Liban, Algérie et Soudan. La Turquie, la Jordanie et l’Egypte ne sont pas loin derrière.
Au fur et à mesure que les crédits bon marché s’épuisent, tous les pays devront réaliser des coupes sévères dans les conditions de vie, ce qui mènera à son tour à de nouvelles révoltes. Après quelques années d’interruption et de désorientation, le mouvement est en train de reprendre pied. Chacun de ces régimes est dans une crise profonde. Cela s’applique aussi à Israël, où la classe dirigeante est complètement divisée, ce qui est un reflet de l’accroissement des divisions dans la société israélienne. Enfin, la crise commence à secouer les fondations des régimes réactionnaires d’Arabie saoudite et des Etats du Golfe.
En 2018, une grève générale et des manifestations de masses en Jordanie ont mené à la chute du Premier ministre Hani Moulki. En Tunisie, les différentes vagues de manifestations de masses ont ébranlé le pays. En Algérie, un puissant mouvement révolutionnaire a renversé Bouteflika et a secoué le régime de la tête aux pieds. En Turquie, Erdogan a souffert de sérieux revers lors d’élections municipales, perdant le contrôle d’Istanbul, Ankara et trois autres villes majeures. Il a essayé de distraire l’attention des masses en se lançant dans une aventure militaire contre les Kurdes en Syrie. Mais la détérioration constante de la situation économique crée les conditions pour une nouvelle explosion des mouvements de contestation, à l’image des mobilisations du Parc Gezi en 2013, mais à une bien plus grande échelle.
Iran et Irak
En Iran, les manifestations continuent, attirent de nouvelles couches de travailleurs et de pauvres conscientisés, et ont secoué le régime durant toute l’année 2018. Elles ont été momentanément maitrisées par la menace de guerre avec les Etats-Unis, Israël et les Etats du Golfe, mais ont repris en novembre 2019, après que le régime a introduit des coupes dans les subventions au gaz. De nouvelles et plus larges explosions sociales se préparent.
Au Liban, les masses ont investi les rues après l’introduction d’une soi-disant « taxe WhatsApp », qui n’était qu’une mesure parmi d’autres d’un paquet austéritaire. Au plus fort, ce puissant mouvement a entrainé plus de deux millions de personnes – sur une population totale de 4,5 millions (6 millions si on compte les réfugiés syriens). Ce fut une réaction à des années de corruption et d’abus de pouvoir flagrants par les barons de la guerre civile dans les années 1980, qui sont devenus des politiciens.
Pendant des années, ces éléments ont organisé le sectarisme pour diviser la population, mais ça ne fonctionne plus désormais. Face à la vague révolutionnaire venant d’en bas, ceux d’en haut ont joint leurs mains pour défendre le régime. Ils essaieront de faire dérailler le mouvement en attisant les feux du sectarisme. La seule voie pour le mouvement est de mobiliser la classe ouvrière dans une grève générale massive pour faire tomber le régime et empêcher la contre-révolution de reprendre l’initiative.
En Irak, un puissant mouvement révolutionnaire, issu des zones chiites, et dirigé contre les élites, a balayé le pays. C’était aussi dirigé contre tous les dirigeants et les partis politiques – incluant Moqtada al-Sadr, le dirigeant radical chiite. Il avait appelé à des manifestations les années précédentes, mais a récemment rejoint le gouvernement. L’establishment a réagi par une répression brutale. Mais les manifestations ont continué, et sont devenues de plus en plus radicales, se répandant parmi les étudiants et la classe ouvrière, ce qui a mené à plusieurs vagues considérables de grèves.
Le mouvement irakien a mené à des divisions profondes au sein de la classe dirigeante. Les factions pro-iraniennes ont demandé d’accélérer la répression, pendant que des couches autour du chef chiite Ali Al-Sistani ont préconisé des concessions superficielles dans le but de détourner l’attention du mouvement. A la fin, la ligne iranienne semble avoir gagné. Mais les centaines de morts et les milliers de blessés mettront fin à l’illusion démocratique du passé de la conscience des masses.
Par le passé, les groupes chiites en Irak et au Liban qui soutenaient l’Iran pouvaient cacher leur nature réactionnaire derrière leur lutte contre l’EI, les Etats-Unis et l’impérialisme saoudien. Ils affirmaient être les défenseurs de la démocratie, des pauvres et des opprimés. Mais désormais ils ont été découverts. Au Liban, le Hezbollah, qui a mené à un gouvernement d’unité nationale depuis les élections de 2018, a mené des politiques d’austérité et a été en première ligne des attaques contre la révolution. En Irak, les groupes contrôlés par les Iraniens ont resserré leur emprise sur l’appareil d’Etat, évinçant la plupart des éléments pro-américains. Le rôle de l’Iran en Irak est de plus en plus vu par les masses comme une force d’occupation brutale et tyrannique. Qassem Soleimani, le chef de la force Al-Qods des Gardiens de la révolution, était la figure clé coordonnant la répression contre la révolution.
Cela aura d’importantes conséquences en Iran, où le régime s’est partiellement basé en représentant sa politique étrangère en tant que force progressiste, non sectaire et démocratique, en lutte contre l’impérialisme et le fondamentalisme religieux dans la région. Les scènes de manifestants irakiens prenant d’assaut l’ambassade iranienne en Irak – font penser à l’attaque de l’ambassade américaine après la révolution iranienne – serviront sans aucun doute à dissiper les illusions anti-impérialistes que le régime iranien a cultivées.
Le Soudan
De tous les mouvements de ces dernières années au Moyen-Orient, la révolution soudanaise est allée le plus loin, fournissant d’importantes leçons pour les masses de la région. Le courage et la détermination de la jeunesse, et en particulier de jeunes femmes soudanaises, étaient très enthousiasmants. Au plus fort du mouvement, la vaste majorité des travailleurs des ministères du gouvernement ont suivi l’appel du comité de grève pour une grève générale, qui a posé la question du pouvoir.
Mais à cause de la confusion et des hésitations de la direction, l’occasion a été perdue. Dans une telle situation, l’idée qu’il était possible d’obtenir un accord avec les officiers réactionnaires de l’armée était complètement stupide. Dans une telle situation, les mots ne servent à rien, si ce n’est à tromper et désarmer les masses face à la violence contre-révolutionnaire.
Les réactionnaires, soutenus par les impérialismes égyptien et saoudien, étaient lourdement armés, mais les masses avaient l’avantage du nombre et la volonté de combattre jusqu’à la mort, si nécessaire. Elles avaient le soutien des soldats. Mais ce soutien resterait passif à moins que les masses ne montrent qu’elles étaient prêtes à aller jusqu’au bout. C’est seulement là qu’il aurait été possible pour la masse des soldats de retourner leurs armes contre leurs officiers afin d’écraser les forces contre-révolutionnaires.
C’était le seul moyen d’écraser la contre-révolution et d’assurer la victoire. Mais les réactionnaires ont eu le temps de se regrouper et de lancer des contre-offensives sanglantes. Le résultat au Soudan fut tragique. Les prétendus-chefs révolutionnaires du SPA ont rejoint le gouvernement réactionnaire, leur rôle principal étant de retenir l’action révolutionnaire des masses permettant à la contre-révolution de gouverner.
Les Etats-Unis et l’Iran : bombarder ou non ?
Les limites de la puissance des Etats-Unis ont été largement révélées au Moyen-Orient. Ils ont subi défaites et revers en Irak, en Syrie ainsi qu’en Afghanistan. Et les conflits dans la région ont servi à dévoiler et aggraver la crise du régime saoudien, qui n’a pu survivre aussi longtemps que grâce au soutien des impérialismes britannique et américain. Aujourd’hui, le régime est déchiré par des divisions internes, avec les Al-Saoud, le mouvement wahhabite, la famille royale et son ensemble de tribus, tous mettant en avant leur propre programme, tandis que le mécontentement bouillonne parmi les chiites opprimés, la jeunesse et la classe ouvrière.
Tant que l’économie allait bien et que l’impérialisme américain la soutenait, la maison des Saoud pouvait maintenir une base fragile pour le régime. Mais avec l’effondrement des prix du pétrole, les réseaux cruciaux de patronage qui maintenaient le royaume intact cèdent la place aux divisions. Mohammed ben Salmane a essayé de consolider sa position en menant une guerre sauvage contre le Yémen.
Trump est étroitement lié à la droite républicaine, au prince héritier saoudien et à la clique dirigeante saoudienne. Pour leur adresser un signal, il a déchiré l’accord sur le nucléaire iranien et s’est embarqué dans sa campagne pour mettre un « maximum de pression » à l’Iran. L’offensive économique lancée par Trump contre l’Iran a donné le feu vert aux attaques israéliennes et saoudiennes contre l’Iran et ses alliés dans la région. Par conséquent, l’Iran et l’Arabie saoudite sont en conflit ouvert pour le contrôle de la région.
La guerre sanglante au Yémen a trainé pendant quatre ans. Mais malgré toute leur richesse et leur matériel informatique militaire, l’offensive saoudienne a échoué à prendre le port stratégique d’Hadida et les Houthis ont lancé plusieurs attaques contre les oléoducs à l’intérieur même du territoire de l’Arabie saoudite. Les forces des Emirats arabes unis ont joué un rôle clé dans la guerre au sol (appuyées par des frappes aériennes saoudiennes inefficaces). Mais maintenant, sentant la défaite, elles ont décidé de battre en retraite. Ce fut un coup fatal aux ambitions saoudiennes au Yémen.
Les tensions dans le Golfe ont de graves conséquences pour l’économie mondiale. 30 % du pétrole passe par le Golfe persique. N’importe quel obstacle à ce stade serait catastrophique pour l’économie mondiale. Quand deux pétroliers ont été attaqués en juin 2019, Washington a immédiatement accusé l’Iran. Trump a ordonné à ses forces d’attaquer, mais 10 minutes plus tard, il a annulé son ordre. Ce fut la preuve de profondes divisions au sein de l’administration, confirmées plus tard par le licenciement sans préavis de Bolton.
En septembre 2019, il y a eu une série d’attaques contre les installations pétrolières saoudiennes, qui fut un coup sévère porté à l’Arabie saoudite, qui attendait que les Américains viennent à leur aide. Ce fut une grosse erreur.
Trump savait très bien qu’une attaque contre l’Iran s’avèrerait très coûteuse, non seulement d’un point de vue militaire, mais aussi d’un point de vue économique et politique. Les Américains n’ont décidé d’envahir l’Irak qu’après que son armée ait été sérieusement affaiblie par des années de sanctions. Mais les forces armées iraniennes sont intactes et invaincues. Elles ont acquis plusieurs années d’expérience au combat en Syrie, desquelles elles sont sorties victorieuses. En se battant dans une guerre défensive contre une invasion étrangère, elles seraient une force formidable.
Une invasion terrestre de l’Iran est exclue. Mais une campagne de bombardements n’aurait que des répercussions limitées sur le programme nucléaire iranien. Il peut être retardé, mais pas arrêté. Cependant, les conséquences politiques à l’échelle mondiale seraient considérables. L’opposition aux Etats-Unis grandirait, en particulier dans le monde musulman, où le spectacle d’une alliance agressive de l’Arabie saoudite avec les impérialismes américain et israélien provoquerait un scandale. Un tel développement serait aussi très impopulaire aux Etats-Unis, où après l’Irak et l’Afghanistan, la population est fatiguée des aventures militaires à l’étranger.
Il y aurait des manifestations de masse dans chaque capitale occidentale. Cela aggraverait aussi les divisions qui existent déjà dans la soi-disant alliance occidentale, qui étaient déjà flagrantes quand Trump a unilatéralement rejeté l’accord avec l’Iran, au grand dam de ses alliés européens.
Dernière chose, mais non la moindre, une guerre au Moyen-Orient – même très courte – aurait un effet dévastateur sur la fragile reprise de l’économie mondiale. Elle provoquerait une crise sur tous les marchés du monde, les prix du pétrole s’envoleraient à des niveaux inégalés et les investisseurs prendraient peur. Le système capitaliste ferait face à une nouvelle récession mondiale, qui serait bien plus grave que celle de 2008.
Pour toutes ces raisons, une guerre n’est pas dans l’intérêt de la classe dirigeante, ni d’ailleurs de Donald Trump, qui est plus soucieux de gagner l’élection présidentielle que de larguer des bombes sur Téhéran pour plaire à l’Arabie saoudite et à Israël. Donc après tout le baratin et les menaces de feu et de sang, il n’y a eu aucun signe de représailles militaires, que ce soit de la part des Etats-Unis ou de l’Arabie saoudite elle-même. Ce fait, plus que tout au monde, révèle la faiblesse chronique du régime saoudien ainsi que les limites du pouvoir des Etats-Unis.
Il n’est pas impossible que, puisque son bluff a échoué, Trump puisse à nouveau faire un virage à 180 degrés et arriver à une sorte d’accord avec l’Iran. Des choses bien plus étranges sont arrivées dans la Maison-Blanche de Donald J. Trump !
Pakistan
Au Pakistan, la crise culmine à des niveaux jamais atteints. Ceux-ci se trouvent marqués par une désintégration économique, sociale et politique sans précédent. Des fractures sont ouvertes au sein de toutes les structures de l’Etat pakistanais - une aile cherchant le soutien de l’impérialisme américain et une autre cherchant le salut de la Chine. Les Etats-Unis négocient avec les Talibans dans le but de quitter l’Afghanistan, et veulent que l’Etat pakistanais les aide à conclure cet accord. Cependant, depuis plusieurs années, l’Etat pakistanais a perdu le contrôle sur les fondamentalistes islamiques (lorsqu’il ne les soutient pas). En réponse, Trump a coupé l’aide américaine, engagé un blocus économique et forcé le FMI à suspendre l’aide au Pakistan.
Cette situation a accru la sape de l’Etat pakistanais et exacerbé ses divisions internes. Durant des décennies, la région pachtoune au nord du Pakistan a fourni la principale rampe de lancement des talibans. Le peuple pachtoune en a payé le prix fort. Les maisons ont été bombardées et la population déplacée. De nombreuses personnes ont été tuées ou « portées disparues ». Ces terribles conditions ont donné naissance au PTM, qui s’est développé comme mouvement de masse il y a quelques années.
Le système politique a été plongé dans une profonde crise, avec la formation d’un nouveau parti politique et une guerre qui s’installe au sein même de l’Etat. Des scandales à répétition ont débouché sur l’emprisonnement de toute une couche de politiciens de l’establishment et de hauts responsables de l’Etat. De nouveaux scandales éclatent chaque jour. L’économie se dégrade de plus en plus. L’inflation est endémique et l’ère est à la privatisation. Les grèves et manifestations d’étudiants, de docteurs, d’infirmières et d’autres secteurs sont en augmentation.
Les différents partis du spectre politique ont perdu leurs soutiens dans leurs circonscriptions respectives et ne peuvent constituer une voie à suivre pour les masses. La classe ouvrière n’a pas d’alternative. Elle ne peut compter sur sa direction politique traditionnelle, alors que sa direction syndicale s’est effondrée. Dans la période à venir, le Pakistan se trouvera dans une situation comparable à celle du Soudan. De grandes opportunités s’ouvriront alors pour notre organisation.
Inde
En Inde, la crise politique et économique s’aggrave de jour en jour. Lors des élections générales de mai 2019, le Premier ministre Nerendra Modi a été réélu, avec une majorité sans précédent. Modi s’appuie sur le chauvinisme hindou le plus réactionnaire qui soit. Sa première victoire, en 2014, était basée sur les mots d’ordre de « Vikas » (développement) et d’emploi pour tous, en évitant les slogans droitiers du fondamentalisme hindou. Mais cette année, Modi a montré son vrai visage : il a attisé la rhétorique anti-pakistanaise et l’hystérie sur la question du Cachemire, en abrogeant le statut spécial de la région – qui a été reléguée comme territoire « d’union » sous contrôle direct du gouvernement central.
En plus de servir l’agenda réactionnaire de Modi, cette agression montre les ambitions régionales de l’Inde, celles-ci étant basées sur la croissance de son économie et sa relation étroite avec l’impérialisme américain, faisant contrepoids à la Chine. Néanmoins, la suppression brutale des droits du Cachemire ne s’est pas déroulée comme prévu.
Malgré la répression brutale de la population et la présence d’environ 600 000 militaires dans la vallée, l’Etat indien n’a pu contrôler le mouvement de masse au Cachemire – qui combat la domination indienne depuis de nombreuses années. A l’inverse, ces mesures draconiennes ont lié le mouvement national du Cachemire – auparavant isolé – au mouvement de lutte des classes qui traverse l’Inde. Pour la première fois, des manifestations et des rassemblements ont eu lieu dans tout le pays en soutien au peuple opprimé du Cachemire.
Le régime attaque également les droits fondamentaux des nationalités opprimées et des minorités religieuses. Il attise sciemment la haine religieuse et les disparités nationales et linguistiques afin de contenir la lutte des classes. Dans l’Etat oriental d’Assam, le gouvernement a déchu 2 millions de personnes de leur nationalité et se prépare à les transférer dans des prisons spéciales.
Le chauvinisme enragé de Modi ne constitue qu’un versant de sa nature réactionnaire, l’autre étant perfidement anti-ouvrier. Il se présente comme « l’homme fort » qui peut vaincre le mouvement ouvrier, afin de gagner le soutien des capitalistes indiens et étrangers. Cependant, les choses ne se dérouleront pas aussi facilement qu’il ne le pense. L’économie est dans un état désastreux, rien qu’entre 2016 et 2018, 5 millions d’Indiens ont perdu leur emploi.
A mesure que la crise s’aggravera, de plus en plus d’emplois seront perdus. Afin de stimuler la croissance, le régime de Modi renforce ses attaques et poursuit agressivement son programme de privatisation et de libéralisation. Ces éléments ouvrent la voie à une éruption de la lutte des classes. L’appel à la grève générale du 20 janvier à l’échelle nationale, qui devrait être suivi par 300 millions de travailleurs, en est un signe éloquent.
Le problème central n’est pas la force de Modi. Comme Poutine, ce « colosse » a aussi des pieds d’argile. Le vrai problème, c’est l’absence d’une alternative politique sérieuse qui pourrait contrer cette rhétorique d’extrême droite. La raison pour laquelle il a pu gagner les élections est la faillite totale de la soi-disant opposition. Après plusieurs décennies au pouvoir, le parti du Congrès est définitivement discrédité et corrompu.
De nombreux libéraux avaient espoir dans le Congrès. Mais il a été décimé par la « vague » Modi lors des dernières élections. En fait, le Congrès s’est déplacé vers la droite pour tenter vainement d’apaiser les électeurs hindous fondamentalistes. En réalité c’était contre-productif ; les électeurs enclins au chauvinisme hindou ont préféré l’original à la copie, incarné par Modi. Pourquoi auraient-ils voté pour une pâle imitation ? Le Congrès a logiquement subi une défaite écrasante et méritée. Naturellement, ils n’ont pas tiré les leçons de cette défaite et continuent sur cette voie. Dans le Maharashtra, Etat important, ils construisent une alliance avec le quasi-fasciste Shiv Sena.
Les choses se passent encore plus mal avec les anciens staliniens. Ils ont dominé la gauche indienne pendant des générations et sont aujourd’hui complètement dégénérés. Les partis communistes ont été punis par les électeurs pour leurs trahisons. Ils ont récolté les pires résultats électoraux de leur histoire et ont été anéantis dans les Etats du Bengale-Occidental et de Tripura, alors qu’ils y régnaient depuis 3 décennies. C’est le résultat direct des méthodes pourries qu’ils ont utilisées, menant politiques libérales et anti-ouvrières lorsqu’ils étaient au pouvoir.
Bien qu’ils conservent une influence sur les mouvements ouvriers, paysans et étudiants, ils ne jouissent plus de la même autorité que par le passé. Les partis communistes ont capitulé devant la bourgeoisie indienne, pourrie et corrompue, et ont abandonné toute transformation socialiste de la société. C’est pourtant le seul moyen de sortir de l’impasse dans laquelle se trouve la société indienne. Cette perte d’autorité laisse la voie ouverte pour que les idées révolutionnaires et authentiques du marxisme gagnent un écho parmi des couches toujours plus larges d’étudiants et de travailleurs.
Indonésie
L’Indonésie était autrefois saluée comme l’une des économies miracles d’Asie, mais désormais elle ralentit conformément à la tendance mondiale. Face à un ralentissement et au déficit budgétaire qui en a résulté, le gouvernement a été contraint de poursuivre les mesures d’austérité. Vingt ans après la chute de Suharto, le système économique et politique oppressif qui constituait les fondements de l’ancien régime reste intact, et par conséquent la même oppression des travailleurs continue.
Le désir populaire d’un changement radical a été systématiquement contrecarré par la classe dirigeante. L’arrivée au pouvoir de Jokowi il y a cinq ans était déjà une indication du désir de changement des masses, mais il n’a apporté aucune amélioration fondamentale à la vie quotidienne de la population. Avec sa réélection, le régime est maintenant passé à l’offensive avec toute une série de lois et de mesures réactionnaires attaquant la classe ouvrière et bénéficiant à la couche la plus corrompue de l’establishment.
Il y a eu toute une série de mouvements d’étudiants du secondaire et de l’université, qui ont manifesté par dizaines de milliers contre une réforme considérée comme un retour aux « pratiques de l’Ordre Nouveau » (concernant la corruption, l’intervention de l’État dans les affaires personnelles et la répression politique) et contre l’oppression du peuple papou. Il s’agissait des plus grandes manifestations étudiantes depuis le mouvement, il y a vingt ans, qui a renversé le dictateur haï Soeharto. Elles se sont rapidement propagées dans toutes les grandes villes du pays.
Les manifestations ont subi une répression brutale de l’État et plusieurs étudiants ont été tués lorsque la police a tiré sur la foule. Les mouvements étudiants se sont propagés à la classe ouvrière et les syndicats ont appelé à des manifestations. Ce n’est qu’en octobre 2012 que l’Indonésie a connu sa première grève générale depuis 1965. Mais le « succès » économique de l’Indonésie a énormément renforcé la classe ouvrière, et la crise mondiale du capitalisme pousse cette classe ouvrière sur la voie de la lutte des classes.
« Horreur sans fin »
Après la Seconde Guerre mondiale, la reprise gigantesque de la révolution coloniale a contraint les impérialistes à abandonner le contrôle militaire direct des colonies. Mais le pillage des anciennes colonies se poursuit, même s’il est masqué par les mécanismes du commerce mondial. Les impérialistes ont mis au point de nouvelles méthodes d’exploitation qui ont épuisé les ressources du prétendu tiers monde, le rendant encore plus esclavagé et appauvri qu’auparavant.
Les propagandistes bourgeois affirment qu’ils aident les pays pauvres grâce à l’aide humanitaire. Mais une étude a montré que c’est exactement le contraire. La Global Financial Integrity (GFI), le Centre pour la Recherche Appliquée de l’Ecole Norvégienne d’économie et une équipe d’experts internationaux ont publié une étude montrant que 16 300 milliards de dollars ont été transférés des pays pauvres aux pays riches depuis les années 80. Cela représente un vol important et une énorme augmentation des coûts sociaux supportés par les pauvres des pays dits en développement.
L’étude montre comment les pays pauvres ont effectivement servi de créanciers au reste du monde. Les pays riches ne développent pas les pays pauvres ; les pays pauvres développent les pays riches. En quoi consistent ces importants débits d’argent ? Certains d’entre eux sont dus à des remboursements de dettes. À eux seuls, les remboursements d’intérêts ont privé les pays débiteurs de plus de 4200 milliards de dollars depuis 1980. Ces énormes transferts aux grandes banques de New York et de Londres éclipsent toute aide qu’ils auraient pu recevoir au cours de la même période.
Le revenu tiré des investissements dans les pays dits en développement, qui est ensuite « rapatrié » par les impérialistes, est une autre source importante de pillage. Il suffit de mentionner les vastes bénéfices que British Petroleum tire des réserves de pétrole du Nigeria, par exemple, ou les fortunes que les Anglo-américains ont amassées grâce aux mines d’or d’Afrique du Sud.
Mais la plus grande partie du butin n’est pas documentée, car presque tout est illégal et porte le joli nom de « fuite des capitaux ». Selon les estimations de GFI, les « pays en développement » ont perdu un total de 13 400 milliards de dollars en raison de la fuite de capitaux depuis 1980.
Ces fuites de capitaux toujours plus importantes privent les pays en développement d’une importante source de revenus et de financement pour le développement et sont directement responsables de la baisse du niveau de vie. Elles ont également sans aucun doute contribué au ralentissement de la croissance économique dans ces pays, même si la cause principale reste la crise générale du capitalisme mondial.
La misère et la souffrance causées par cette rapine impitoyable ont détruit des nations entières, les plongeant dans la famine, la dislocation sociale et la guerre. Des millions de personnes désespérées fuient leur maison, cherchant désespérément à échapper à ces horreurs, pour se retrouver bloquées hors d’Europe et des États-Unis par des barbelés et des murs. Des dizaines de milliers d’hommes, de femmes et d’enfants se sont noyés dans la mer Méditerranée.
Cet exode massif n’a pas d’équivalent dans l’histoire à part les mouvements de masse des peuples provoqués par l’effondrement de l’Empire romain. Cela vient nourrir le caractère convulsif de la crise. Et il n’y a pas de solution à ce terrible cauchemar tant que le système pourri qui l’a créé continue d’exister. Lénine disait que le capitalisme est « une horreur sans fin ». Le début du XXIe siècle montre à quel point il avait raison.
Argentine : la chute de Macri
Quand Macri a remporté les élections argentines en 2015, ça a été annoncé comme une nouvelle preuve de la « vague conservatrice » qui a balayé l’Amérique latine et de « la mort de la gauche. » Mais bien loin d’être fort et stable, chaque tentative du gouvernement d’introduire les attaques dont la classe dirigeante a besoin, a fait face à la féroce résistance des travailleurs. La réforme des retraites de Macri a entrainé des manifestations de masse et des affrontements avec la police. A la suite de quoi, il a abandonné son projet d’introduire une contre-réforme du travail.
L’instabilité des marchés monétaires internationaux a conduit à l’effondrement de la monnaie argentine, plongeant la politique économique de Macri en plein désarroi. Un prêt d’urgence du FMI n’a pas suffi à rétablir l’équilibre. L’aggravation de la crise économique a mené à une sérieuse défaite aux élections d’août 2019, qui n’ont fait qu’aggraver la crise.
S’il y avait eu une direction du mouvement ouvrier, le gouvernement de Macri aurait pu être renversé par un mouvement révolutionnaire issu de la base. Mais c’était la dernière chose que les dirigeants syndicaux et les kirchneristes voulaient. Leur perspective était celle d’un transfert ordonné du pouvoir après les élections.
Au final, le soi-disant puissant gouvernement de Macri a subi une défaite dans les urnes. Mais un gouvernement kirchneriste devra faire face à la profonde crise du capitalisme argentin. Ce sera dès le départ un gouvernement de crise. De telles conditions sont faites sur mesure pour la croissance de la gauche. Malheureusement, la gauche argentine est dominée par des groupes sectaires qui vont du réformisme au sectarisme, incapables de s’implanter sérieusement dans les masses.
Brésil
L’élection de Bolsonaro a marqué une nouvelle étape pleine de convulsions de la crise du Brésil. Bolsonaro n’était pas le candidat préféré de la majorité de la bourgeoisie brésilienne, et son élection n’a servi qu’à exacerber les contradictions de la société brésilienne, sans répondre à aucun des problèmes fondamentaux. Comme on pouvait s’y attendre, de nombreuses sections de la gauche ont hurlé au « fascisme », mais c’est une forme très particulière de « fascisme ». Très loin d’être un gouvernement fasciste, comme beaucoup l’ont dit à gauche, c’est une tentative d’installer un gouvernement bonapartiste au milieu d’une crise économique profonde et d’une situation sociale et politique pleine de turbulences, qu’il a été incapable de contrôler.
En tant qu’individu, Bolsonaro, ancien officier militaire, est probablement enclin au fascisme (il a ouvertement loué la dictature brésilienne). Mais sa véritable base est très étroite. Son propre conseil des ministres est divisé. Il ne tient même pas solidement le Parlement. Sa proposition de réformer le système des retraites et ses coupes dans l’éducation ont provoqué une vague de manifestations de masse et une grève générale. Sa popularité et celle de son gouvernement se sont rapidement dégradées.
La section brésilienne de la TMI a été la seule à porter le slogan « Dehors Bolsonaro ». Cela a d’abord rencontré le scepticisme de la « gauche » et des sectes qui étaient obsédées par l’idée que le fascisme était arrivé au Brésil. Mais lors des deux premières manifestations contre les coupes dans l’éducation, ce slogan s’est répandu comme une trainée de poudre.
Alors qu’il continue de mettre en œuvre son programme de coupes et de contre-réformes, il y aura un mouvement après l’autre. Seule la faillite totale des directions syndicales peut lui donner un répit. A un certain stade, la classe dirigeante pourrait décider de le révoquer et de le remplacer par quelqu’un de plus fiable. En attendant, Bolsonaro présidera un gouvernement de crise qui s’attirera l’hostilité des travailleurs et de la jeunesse et les poussera dans la lutte.
La grève générale de 40 millions de personnes en juin 2019 – dont les dirigeants syndicaux ne savaient pas quoi en faire – est une indication du type de mouvement que l’on peut s’attendre à voir dans la période à venir. La perspective pour le Brésil dans la période à venir n’est pas le « fascisme », mais une explosion de la lutte des classes.
Venezuela
Au Venezuela, nous avons toujours souligné qu’il était impossible de faire la moitié d’une révolution. En dernière analyse, soit la révolution expropriera les banquiers et les capitalistes, soit la bourgeoisie contre-révolutionnaire détruira la révolution. Cela reste vrai encore aujourd’hui. Il est impossible de combiner des éléments de nationalisation socialiste avec une économie de marché. Le résultat a été catastrophique, comme nous l’avions anticipé il y a longtemps, et un effondrement massif du niveau de vie des travailleurs.
Afin de faire taire les inévitables protestations, Maduro utilise des méthodes bonapartistes, et cette tendance s’accélère. Le gouvernement utilise le poids de l’Etat contre n’importe quel dissident – y compris contre les chavistes et les gens de gauche. En discréditant activement la révolution, en détruisant les quelques éléments restants de contrôle ouvrier et en attaquant la gauche, la bureaucratie sabote la révolution de façon bien plus efficace que l’opposition contre-révolutionnaire ne l’aurait jamais fait. Ils agissent comme un homme qui scie la branche sur laquelle il est assis.
Dans ces conditions, il est réellement extraordinaire que la loyauté des masses envers la révolution ait duré aussi longtemps. Cependant, 22 ans après le début de la Révolution vénézuélienne, malgré la confusion et les hésitations de Maduro et la corruption de la bureaucratie, la Révolution bolivarienne n’a pas été renversée. C’est une preuve flagrante de la faiblesse de l’impérialisme américain et de l’incroyable ténacité des masses. Malgré les efforts acharnés de la contre-révolution, les représentants du capitalisme au Venezuela ont échoué à réaliser leurs buts. La tentative de coup d’Etat de 2019 a fini en farce peu glorieuse.
En surface, tous les facteurs semblaient favoriser une telle tentative : l’économie était en crise profonde et le niveau de vie s’effondrait rapidement. Cela avait sapé le soutien au gouvernement. Des gouvernements de droite ont été élus au Chili, en Argentine et au Brésil. La classe dirigeante au Venezuela et aux Etats-Unis concluait – non sans raison – que c’était le bon moment pour une offensive générale afin de renverser Maduro.
Mais la tentative de changement de régime au Venezuela a échoué et nous devons comprendre pourquoi. Il y a un certain nombre de raisons. Premièrement, les organisateurs du coup d’Etat et leurs commanditaires à Washington ont sous-estimé les puissants sentiments anti-impérialistes des masses vénézuéliennes, qui ont réagi à cette tentative. Ils ont aussi mal évalué dans quelle mesure les sommets de l’armée avaient été achetés par toutes sortes d’affaires de corruption qui leur ont donné un intérêt à l’ordre existant.
Un autre facteur a été la stupidité de l’opposition vénézuélienne. Guaido a suscité des espoirs qu’il ne pouvait pas honorer. La petite-bourgeoisie, qui constitue la base sociale principale de Guaido et de sa clique, est une force intrinsèquement instable. Ils ont besoin de voir un mouvement qui avance constamment d’une victoire à une autre. Quand ils ont vu que le coup d’Etat ne progressait pas, ils ont été démoralisés et tout s’est très rapidement effondré.
Malgré les déclarations dures de Trump, le Pentagone n’avait aucunement l’intention de s’impliquer dans une intervention militaire au Venezuela, pas plus que les armées colombienne et brésilienne. Leur bluff a échoué et Trump est passé pour un imbécile. Une fois cette menace retirée de l’équation, il n’y avait aucune raison pour que les sommets de l’armée à Caracas changent de camp. En voyant cela, la Russie et la Chine, qui avaient initialement adopté une position neutre, sont intervenues de manière plus décisive du côté du gouvernement et Trump a soudainement perdu tout intérêt dans cette affaire.
Cependant, le danger de la contre-révolution n’a pas disparu. Le Venezuela a désormais été touché par de nouvelles sanctions. Cela a aidé à forcer le gouvernement à venir à la table des négociations, où il sera contraint de faire des concessions. Pendant ce temps-là, le processus qui avait déjà pris place s’est accéléré. Les Chinois veulent récupérer leur argent. Tout cela signifie que d’une politique folle d’expansion monétaire, Maduro devra tendre vers une politique monétaire d’équilibre budgétaire et d’austérité, en faisant payer les travailleurs.
La dernière tentative de coup d’Etat a échoué, non pas en raison de la solidité du gouvernement que de la pure incompétence de ceux à l’origine de cette tentative. Il est vrai qu’une partie des masses a répondu, mais un bien plus grand nombre est resté inerte et indifférent. C’est le danger principal auquel doit faire face la révolution. La prochaine fois, Maduro pourrait ne pas être aussi chanceux. Quoi qu’il arrive, l’équilibre instable actuel ne peut pas durer éternellement, et le temps ne joue pas en faveur de Maduro.
Bolivie
En Bolivie, les événements se sont déroulés très différemment. Evo Morales a été renversé par un coup d’Etat réactionnaire en novembre 2019. Le MAS est arrivé au pouvoir après l’échec des soulèvements révolutionnaires de 2003 et 2005, lorsque les travailleurs auraient pu prendre le pouvoir, s’il n’y avait pas eu leur direction. L’ensemble du mouvement s’est alors exprimé à travers un vote pour Evo Morales, qui a utilisé son autorité pour rétablir la légitimité de l’Etat bourgeois.
Son vice-président Garcia Linera a théorisé la nécessité de développer un « capitalisme ando-amazonien » avant que quiconque ne parle de socialisme. Pendant que le gouvernement finançait des programmes sociaux basés sur le prix élevé des matières premières, et menait aussi quelques nationalisations, sa politique était celle de trouver un terrain d’entente avec les capitalistes, les propriétaires fonciers et les multinationales.
Cela a conduit à l’aliénation de nombreuses sections de la base de soutien du MAS, qui a provoqué un effondrement dans les votes, de 60-64 % à son plus haut, à perdre le référendum constitutionnel en 2016, à 47 % à l’élection de 2019. C’était ce moment précis que l’oligarchie avait attendu pour renverser Evo Morales, à travers une combinaison de mobilisations de masses, une mutinerie policière et l’intervention de l’armée – un coup d’Etat réactionnaire.
L’exemple de la Bolivie est un avertissement très clair de ce à quoi on peut s’attendre lorsqu’un gouvernement parle de révolution et de changement social, mais reste dans les limites du capitalisme.
Equateur, Chili, Colombie…
Cependant, l’idée qu’il y a eu un virage à droite ou une « vague conservatrice » en Amérique latine, colportée par d’anciens de gauche, des académiciens démoralisés et des sectaires, est complètement fausse. Après une période de gouvernements plus ou moins stables, soutenus par le prix élevé des matières premières, on assiste désormais à une exacerbation de la lutte des classes.
Les indications sont nombreuses, notamment : le mouvement de masse à Porto Rico en juillet-août 2019, la très longue révolte à Haïti, le soulèvement de masse en Equateur en octobre 2019, lorsque la question du pouvoir a été posée, et surtout, le merveilleux soulèvement au Chili, un pays longtemps considéré par les commentateurs bourgeois comme un triomphe et une oasis dans le continent pour son conservatisme.
Tant en Equateur qu’au Chili, nous avons vu les caractéristiques classiques d’une situation insurrectionnelle, avec des mobilisations de masse, la constitution d’embryons de soviets (cabildos, assemblées populaires et territoriales), les gouvernements ont été poussés dans les cordes, et des fissures sont apparues au sein même de l’appareil d’Etat. Même dans un pays comme la Colombie, considéré comme un rempart de la réaction, la grève générale du 21 novembre 2019 s’est clairement inspirée des événements d’Equateur et du Chili. Le fait que cette grève massive ait continué au-delà du 21 novembre est l’indication la plus claire que les travailleurs s’efforçaient d’obtenir le pouvoir. Cependant, on souhaite décrire la situation en Amérique Latine comme une « vague conservatrice », mais ce n’est absolument pas le cas.
Au Chili, la question d’une Assemblée constituante a été soulevée par le mouvement. Il est vrai que la constitution de 1980 contient de nombreux éléments antidémocratiques, même du point de vue de la démocratie bourgeoise formelle. Le problème est que le slogan de l’Assemblée constituante peut et sera utilisé par différentes classes avec des significations très différentes.
Lorsque les masses parlent d’une Assemblée constituante, elles veulent parler d’un changement fondamental de régime. Mais quand la classe dirigeante est confrontée à la menace d’un renversement révolutionnaire, elle soutiendra l’idée d’une Assemblée constituante précisément pour la raison opposée : essayer d’empêcher un changement fondamental en détournant le mouvement de masse le long des lignes de la constitution bourgeoise.
Nous devons expliquer qu’en fin de compte, ce dont le Chili a besoin n’est pas une nouvelle constitution, mais un changement fondamental de régime : c’est-à-dire le renversement de l’Etat bourgeois et son remplacement par un nouveau régime véritablement démocratique du pouvoir d’Etat des travailleurs. Cela signifie dresser le slogan « A bas Pinera », généraliser et coordonner les cabildos (conseils) et assemblées pour qu’ils deviennent les véritables organes du pouvoir des travailleurs.
Seule une Assemblée nationale de la classe ouvrière et du peuple (le nom est une question secondaire, tant que le pouvoir est entre les mains des travailleurs et des dépossédés) peut être confiée la tâche d’élaborer une nouvelle constitution, véritablement démocratique, qui représente les intérêts de la majorité du peuple, pas une « démocratie » formelle frauduleuse, qui ne sert que de déguisement hypocrite derrière lequel se cache la dictature des propriétaires, des banquiers et des capitalistes.
Cuba
La crise au Venezuela a un effet négatif sur Cuba. Le Venezuela a dû interrompre la majorité de ses exportations de pétrole bon marché vers Cuba, qui subit des coupures d’électricité généralisées pour la première fois depuis la « période spéciale » qui a suivi la chute de l’Union soviétique. De plus, la politique américaine vis-à-vis de Cuba s’est durcie. L’administration américaine limite désormais le montant des remises que les Cubains-Américains peuvent envoyer à leur famille. Le tourisme vers Cuba est également interdit, alors que les touristes américains constituaient une importante source de revenus pour l’île.
Les Etats-Unis ont aussi activé une section du Helms-Burton Act, qui renforce l’embargo et le blocus. Cette attaque sauvage de l’économie cubaine représente une tentative de Trump – et de Bolton avant lui – applaudie par les émigrés cubains réactionnaires de Miami, d’étouffer la révolution cubaine. D’un point de vue impérialiste, c’est une politique court-termiste et stupide, typique d’une administration court-termiste et stupide.
La politique de semi-détente d’Obama était bien plus efficace pour saboter la révolution, en y intégrant peu à peu des éléments du capitalisme et du libre marché par l’assouplissement des restrictions sur les échanges, les investissements et le tourisme. Alors que les nouvelles mesures du gouvernement Trump vont pousser le régime cubain à se préparer au pire.
La direction cubaine parle de rationnement et envisage de revenir à une « période spéciale ». Cela arrive alors que de plus en plus de petites entreprises capitalistes voient le jour, créant pour la première fois une base sociale pour une contre-révolution capitaliste, qui a fait une démonstration de force lors du référendum constitutionnel. La marche vers le capitalisme va maintenant être ralentie, sinon complètement arrêtée.
Les marxistes cubains doivent lutter contre la restauration du capitalisme, tout en expliquant que le seul moyen de préserver les acquis de la révolution cubaine est d’établir une véritable démocratie ouvrière et de sortir la révolution cubaine de l’isolement en diffusant une politique révolutionnaire internationaliste à travers toute l’Amérique latine.
Mexique
L’élection de Andres Manuel Lopez Obrador (AMLO) à la présidentielle a marqué un changement majeur pour le Mexique. Cela a accéléré tous les processus et aggravé toutes les contradictions. Le plus intéressant dans cette situation, c’est la vitesse à laquelle se déroulent les événements. AMLO a pris des mesures contre les privilèges de la bourgeoisie mexicaine corrompue et de son Etat. Il a aussi mis en place une sécurité sociale sans précédent, qui profite à des millions de personnes. Il bénéficie donc d’un énorme soutien de la population.
Le président fait de beaux discours sur la nécessité d’une transformation profonde de l’Etat, d’une séparation des pouvoirs politique et économique. Il a l’illusion qu’il est possible de créer un Etat au-dessus des classes. Il a envoyé en prison des groupes entiers de la classe dirigeante, impliqués dans des affaires de corruption. Mais dans le même temps, il promet d’importants profits à cette même classe dirigeante grâce à des projets comme le train Maya. Pendant un temps, il a considéré une augmentation des salaires de 16 %, mais toute lutte ouvrière qui devient trop dangereuse est arrêtée par l’appareil étatique.
AMLO essaye de regarder dans deux directions à la fois. Il veut renforcer l’Etat, mais il oublie un petit détail : l’Etat qu’il veut renforcer est un Etat bourgeois, un Etat dont le but est de défendre les intérêts des propriétaires, des banquiers et des capitalistes. Il augmentera les interventions étatiques dans l’économie afin d’assurer des prêts bon marché aux entreprises. Il constitue également la garde civile, une police militaire, afin de lutter contre les « narcos ». Mais en réalité, personne ne peut dire où se termine le monde des grands barons de la drogue et où commence celui des banquiers, des capitalistes et des bureaucrates.
AMLO espère parvenir à un accord avec la bourgeoisie, mais celle-ci ne lui fait pas confiance et met tout en œuvre pour se débarrasser de lui. Malgré le fait qu’il ait annoncé ne pas vouloir toucher à la propriété des capitalistes, les médias bourgeois mènent une campagne féroce contre lui. La classe dirigeante utilise son contrôle de l’appareil étatique et judiciaire pour saboter le gouvernement. Alors que Lopez Obrador tente de réconcilier d’irréconciliables intérêts de classe. En d’autres termes, il cherche à résoudre un problème insoluble.
Sa soumission à l’impérialisme américain est un autre exemple des contradictions de sa politique. Quand Trump a menacé d’imposer des taxes sur toutes les importations mexicaines aux Etats-Unis, afin d’obliger les autorités mexicaines à appliquer sa politique migratoire, AMLO a cédé. Il a envoyé la garde nationale aux frontières nord et sud. Cela montre à quel point le gouvernement mexicain est à la botte de l’impérialisme. La situation actuelle est insoutenable. La crise économique mondiale va frapper le Mexique très violemment, alors que le gouvernement de Trump menace toujours d’instaurer des droits de douane.
Cela va aggraver la fracture entre le gouvernement de Lopez Obrador et la bourgeoisie, ainsi que les divisions au sein de Morena (le parti d’AMLO) : la bureaucratie se décale vers la droite alors que les militants de base se décalent vers la gauche. Comme il n’y a aucune alternative sérieuse à la gauche du gouvernement, ce dernier a vu sa popularité augmenter. L’effervescence de la population ouvre de nombreuses possibilités pour les marxistes mexicains, qui interviennent activement dans les débats, opposant une alternative révolutionnaire claire au réformisme confus, conjuguant le soutien à AMLO contre la droite à la critique systématique, mais fraternelle.
Fascisme ?
Le terme fascisme est souvent utilisé à tort, pour décrire tout gouvernement réactionnaire de droite, comme celui de Bolsonaro, ou même celui de Donald Trump. Cet abus de langage est scientifiquement incorrect et politiquement trompeur. C’est aussi dangereux, car lorsqu’un véritable danger fasciste sera posé, la classe ouvrière ne sera pas capable de le reconnaître. Pour cette raison, les cris hystériques et les braillements des sectes à propos du « fascisme » sont dangereusement irresponsables.
Autrefois, la situation d’une telle instabilité que nous observons dans de nombreux pays se serait traduite par un mouvement de la classe dirigeante vers la réaction fasciste ou bonapartiste. Mais c’est exclu pour le moment à cause du changement dans le rapport de force entre les classes. La classe ouvrière est plus forte que par le passé, tandis que les classes moyennes qui formaient la base de masse de la réaction (la paysannerie, les petites entreprises, les étudiants) ont été réduites ou prolétarisées.
Trotsky explique que le fascisme est une forme particulière de réaction, qui est qualitativement différente des autres formes, telle que le bonapartisme. Le fascisme est un mouvement de masse de la petite bourgeoisie et du lumpenprolétariat, dont le but est la destruction totale des organisations de la classe ouvrière. Au sein d’un régime fasciste, la classe dirigeante a tendance à perdre le contrôle de l’Etat, qui tombe entre les mains de bandits fascistes, qui gouvernent selon leurs propres intérêts, qui ne correspondent pas toujours exactement à ceux des banquiers et des capitalistes, et peuvent même entrer directement en contradiction avec eux.
La remise du pouvoir à un fou comme Hitler serait une étape très risquée, que la bourgeoisie n’envisagerait qu’en dernier recourt, quand elle se sentira menacée de renversement par la classe ouvrière. Dans le cas de l’Allemagne nazie, cela a conduit à une catastrophe. En 1944, il était clair que l’Allemagne avait perdu la guerre. La bourgeoisie aurait souhaité se rendre et passer un accord avec les Américains. Mais Hitler, qui montrait à la fin tous les signes cliniques de la folie, a refusé de se rendre, préférant voir son pays consumé par les flammes, comme à la fin d’un des opéras de Wagner.
Cette leçon n’a pas été perdue pour la bourgeoisie, qui préfère normalement un régime de démocratie bourgeoise formelle. Cette forme d’Etat est plus stable, plus fiable et plus économique qu’une dictature fasciste ou bonapartiste, qui en plus de nécessiter des dépenses colossales, comporte de nombreux dangers et peut se transformer à terme en son contraire, comme nous l’avons vu à la fois en Italie en 1943-45 et en Grèce après la chute de la junte en 1974.
Pour comprendre la situation réelle, il suffit de jeter un œil à la Grèce d’aujourd’hui. L’impossibilité d’évoluer vers le fascisme s’est manifestée le plus clairement dans le cas de la Grèce. Aube dorée, une organisation foncièrement fasciste, grandissait et devenait une force préoccupante. Il y a quelques années, ils avaient même eu l’idée de prendre le pouvoir. Mais où est l’Aube dorée aujourd’hui ?
Il se peut qu’une fraction de la classe dirigeante grecque joue avec l’idée d’une nouvelle junte pour discipliner la classe ouvrière, mais elle a été forcée de battre en retraite et de maitriser les fascistes de peur de provoquer une explosion révolutionnaire. Finalement, la bourgeoisie grecque ne pouvait pas leur permettre de prendre le pouvoir, car cela aurait signifié une guerre civile, qu’elle n’était pas certaine de gagner. Elle aurait pris le risque de tout perdre. Elle a donc agi contre Aube dorée et a mis certains de ses dirigeants en prison.
Loin de se baser sur les fascistes, qui représentent un élément insignifiant dans la plupart des pays, la classe dirigeante est contrainte de se baser sur le soutien des dirigeants des organisations ouvrières traditionnelles, des partis réformistes et staliniens et des syndicats. Mais cela a mené à un net déclin des partis ouvriers et bourgeois traditionnels – un développement qui menace de saper les fondations mêmes sur lesquelles le système de la démocratie bourgeoise repose depuis des décennies. C’est la clé pour comprendre l’énorme instabilité politique de la société d’aujourd’hui.
« Populisme »
C’est une mesure de la confusion des commentateurs bourgeois qui sont incapables de fournir une explication cohérente de ce qui se passe. Un exemple de cette confusion est l’utilisation de terminologie non scientifique. Ils utilisent le mot « populisme » pour décrire tout mouvement politique qui ne leur plait pas.
Ces soi-disant experts se regroupent sous une seule catégorie de phénomènes qui ne sont pas seulement différents, mais complètement antagonistes et mutuellement incompatibles : Hugo Chavez et Marine Le Pen, Jeremy Corbyn et Matteo Salvini – tous sont censés être la même chose – des « populistes. » Le fait qu’ils défendent des objectifs opposés et se fondent sur des forces de classe différentes, tout cela est considéré comme hors sujet par les académiciens.
La récession de 2007-2008 a eu un impact profond sur la conscience des masses à travers le monde. Après une période initiale de choc, est venu une réaction sous la forme du mouvement des Indignés en Espagne, Occupy, le printemps arabe, la place Syntagma. Elle a provoqué une remise en cause du système capitaliste et de ses institutions et partis. Dans un deuxième temps, cela a mené à la montée de partis et mouvements considérés comme de la gauche radicale (Syriza, Podemos, Corbyn, Mélenchon, Sanders). Certains d’entre eux ont finalement montré leurs limites, tandis que d’autres le feront dans la période à venir.
Dans ce contexte, il n’est guère surprenant qu’il y ait eu l’émergence de nouveaux partis et mouvements. Ce n’est pas par hasard que ces mouvements ont une composition essentiellement petite-bourgeoise. Bien qu’ils attirent l’attention des travailleurs de gauche les plus actifs, ces partis et mouvements (Podemos est un bon – ou plutôt un mauvais exemple) sont constitués de petits-bourgeois, d’universitaires et d’autres éléments accidentels. C’est particulièrement vrai des couches dirigeantes, qui affichent tous les éléments les plus négatifs des idées et préjugés petits-bourgeois.
Dire que ces gens sont confus est un euphémisme. Ils imaginent qu’ils se battent pour de « nouvelles idées », qu’ils ont inventées pour guider les gens à la Terre promise comme Moïse a guidé les israélites à travers la mer rouge. En abandonnant toutes les « vieilles idées » (c’est-à-dire le marxisme), ils imaginent qu’ils se débarrassent d’un poids mort. En réalité, ils jettent le gilet de sauvetage qui pourrait les sauver de la noyade.
Ils s’imaginent qu’étant exempts de « dogme » (c’est-à-dire des principes et de la théorie), ils sont supérieurs aux marxistes « utopiques ». En réalité, ils sont infiniment inférieurs, non seulement aux marxistes, mais même aux grands socialistes utopiques du passé, qui, malgré leurs erreurs, étaient de gigantesques penseurs comparés aux nabots postmodernes d’aujourd’hui. En pratique, ce sont les pires dogmatistes, défendant de façon rigide tous les nouveaux dogmes « à la mode » des politiques identitaires, du post-modernisme et du reste des bêtises intellectuelles, qui sont constamment utilisées par les universités comme un moyen d’embrouiller le jeune et combatif marxisme.
La confusion idéologique désespérée de ces nouvelles formations les rend fondamentalement instables. Elles peuvent grandir rapidement, mais peu après, entrer en crise, scissionner et décliner, comme on le voit avec Podemos en Espagne. Son principal dirigeant, Pablo Iglesias, a beaucoup gagné en popularité au début parce qu’il avait fait des discours radicaux. Cela a suscité l’espoir de millions de gens qui cherchaient une alternative de gauche. Désormais, Iglesias est devenu un « réaliste ». Il a abandonné son ancien discours radical et est entré dans une coalition avec le PSOE. Sa principale revendication (qui semblait être la seule) était que Podemos devait avoir des ministres dans le gouvernement de Pedro Sanchez. C’était stupide.
En insistant pour entrer au gouvernement, les dirigeants de Podemos ont donné l’impression qu’ils n’étaient qu’un autre groupe de politiciens opportunistes, avides des « fruits du pouvoir » (une impression qui n’est pas très éloignée de la vérité) et aussi qu’ils n’étaient pas des gens très malins (ce qui est aussi une évaluation correcte). Cette image a inévitablement mené à la déception et à la démoralisation et à un effondrement de la base militante du parti et de son soutien électoral.
Il n’est pas clair si Podemos (désormais Unidas Podemos) survivra ou disparaitra, mais ce dernier est tout à fait possible, puisque ces partis sont des phénomènes instables et éphémères. Il existe une loi générale selon laquelle si les travailleurs sont confrontés à deux partis réformistes, sans différences programmatiques claires entre eux, le plus grand parti gagnera et le plus petit aura tendance à disparaitre. Le PSOE gagne maintenant aux dépens de Podemos, qui a reçu une très bonne leçon sur la valeur des « politiques pratiques ».
L’émergence de ces nouveaux mouvements est un signe précoce du fait que les masses cherchent désespérément un moyen de sortir de la crise. Elles regardent très attentivement les dirigeants des partis, d’une manière qu’elles ne faisaient pas par le passé. Elles mettent ces partis et dirigeants à l’épreuve. Elles les mettent au gouvernement – mais s’ils ne tiennent pas parole, s’ils trahissent, les masses les rejetteront sans cérémonie. Cela s’applique autant aux nouvelles formations qu’aux anciens partis réformistes. C’est ce que montre le cas du mouvement 5 Etoiles en Italie, qui a d’abord suscité les espoirs et illusions de beaucoup de gens, en décollant comme une fusée, pour finir par retomber comme une pierre. Ce ne sera pas le dernier exemple.
Ces nouveaux mouvements ne sont qu’une anticipation de l’avenir. C’est une loi qu’une radicalisation des couches moyennes, en particulier des étudiants et des intellectuels, figure parmi les premiers signes de développements révolutionnaires. C’est important, bien sûr, mais ce n’est qu’un symptôme. Le fait le plus important est que, jusqu’à présent, la masse de la classe ouvrière n’a pas commencé à bouger de manière significative, en tant que classe. Lorsque cela se produira, les éléments petits-bourgeois confus seront poussés sur le côté et toute la situation sera rapidement transformée.
Les organisations de masse
Trotsky a expliqué il y a longtemps que la trahison est inhérente au réformisme. Cela ne veut pas dire, bien entendu, que ces dirigeants ont toujours et dans tous les cas délibérément cherché à trahir la classe ouvrière. Certains d’entre eux peuvent croire sincèrement qu’ils agissent dans l’intérêt des travailleurs qui votent pour eux. Mais ce qui est commun à toutes sortes de réformistes (à « gauche » comme à droite), c’est qu’ils n’ont aucune confiance dans la classe ouvrière et ne croient pas que les travailleurs puissent diriger la société.
Le rôle historique des réformistes (et des staliniens) était de diriger le mécontentement des masses dans des canaux sûrs. Mais leur complète dégénérescence a changé l’équation. Elle a toujours été là, mais elle s’est approfondie et intensifiée au cours des 60 dernières années. Si vous acceptez le système capitaliste, vous devez alors respecter les lois du capitalisme et du marché. De ce point de vue, les réformistes de droite sont beaucoup plus cohérents que ceux de « gauche ». Ils mènent sans réserve les politiques d’austérité dictées par les banquiers et les capitalistes, afin de sauver le capitalisme.
La profondeur de la crise actuelle exclut toute possibilité de réformes significatives. Au contraire, les bourgeois disent qu’ils ne peuvent même plus se permettre de maintenir les réformes conquises par la classe ouvrière. Leur politique est : couper, couper et couper encore. Par conséquent, d’une manière ou d’une autre, un processus de radicalisation se déroule partout dans le monde. Cependant, cela ne se reflète généralement pas – à ce stade – de façon sérieuse dans les organisations de masse. Par conséquent, les dirigeants réformistes, bien que dans de nombreux cas, ils aient encore une base de masse, n’ont pas la même autorité incontestable dont ils jouissaient autrefois.
En général, les dirigeants actuels ne sont pas comme ceux du passé. Les anciens dirigeants sociaux-démocrates avaient un lien avec la classe ouvrière. Beaucoup d’entre eux venaient de la classe ouvrière, et ils en connaissaient au moins les conditions. Ils avaient un lien avec le socialisme, donnant des discours sur le socialisme le 1er mai, etc. Quelle est la situation aujourd’hui ? Les dirigeants actuels sont presque entièrement issus de la classe moyenne : professeurs d’université, avocats, notaires, économistes, etc.
La couche inférieure du petit-bourgeois est plus proche de la classe ouvrière, mais les couches supérieures sont plus proches du bourgeois et elles soutiennent naturellement les intérêts de la bourgeoisie sur toutes les questions fondamentales. Ils n’ont absolument aucune compréhension, ni même aucun contact avec la classe ouvrière. Leur mode de vie, leur niveau de vie, leur milieu social et leur psychologie les distinguent complètement. C’est un nouveau facteur important dans la situation. C’est exactement la même chose pour les staliniens, qui ont dégénéré au point de ne plus pouvoir être distingués des sociaux-démocrates.
Les ex-staliniens actuels ont fidèlement conservé tous les vices des bandits staliniens du passé, mais ils ne prétendent pas être communistes ou révolutionnaires. Ils sont issus des réformistes les plus écœurants. Et ils jouent un rôle ouvertement contre-révolutionnaire, en particulier dans les syndicats, où ils agissent comme une couverture de « gauche » pour la bureaucratie de droite.
Sur la base de ces conditions, certains partis qui étaient des partis de masse de la classe ouvrière ont été entièrement détruits – liquidés. En Italie, le PCI était le plus grand parti communiste en dehors de l’URSS (sauf l’Indonésie, jusqu’au massacre de 1965). Mais où est le Parti communiste italien aujourd’hui ? Il a été complètement détruit. Le PASOK en Grèce a lui aussi été détruit et il n’est pas sûr qu’il puisse resurgir. Dans d’autres endroits où ils ont survécu, ces organisations ont toujours une base de masse dans la classe ouvrière. C’est particulièrement le cas dans certains pays d’Europe du Nord.
Les racines du Parti Travailliste britannique dans la classe ouvrière sont profondes. En Autriche également, la social-démocratie a des racines profondes, qui ne disparaitront pas comme ça. Mais la direction est pourrie et de composition entièrement petite-bourgeoise ou bourgeoise. Cependant, lorsque Corbyn a été élu chef du parti, la situation au sein du Parti Travailliste a rapidement connu un changement radical. Les gens faisaient la queue pour rejoindre le Parti Travailliste, en particulier les jeunes.
Cela montre que l’ambiance de radicalisation était déjà présente. Corbyn ne l’a pas créée. Elle existait déjà, mais elle n’avait pas de moyen de s’exprimer. Il fallait un catalyseur, et c’est ce que Corbyn a fourni. S’il ne l’avait pas fait, cette radicalité se serait finalement exprimée, d’une manière ou d’une autre, mais pas nécessairement à travers le Parti Travailliste.
La crise du réformisme
Partout dans le monde la situation est instable et changeante. Nous devons suivre attentivement les évènements et être extrêmement flexibles sur nos tactiques pour toucher les couches les plus révolutionnaires de la société. Il n’y a pas de place pour le routinisme et le formalisme.
Dans les années 1930, Trostky a conseillé à ses militants de France et d’Angleterre de travailler dans les organisations de masse sociales-démocrates. Il a soulevé cette idée dans le contexte d’une crise sociale indéniable, d’une polarisation et d’une radicalisation des tendances « centristes » des masses de gauche dans des pays comme le Royaume-Uni, la France et l’Espagne. Mais quelle est la situation aujourd’hui ? Partout, la crise du capitalisme est synonyme de crise du réformisme. Pourtant, nulle part dans le monde, à l’exception du Royaume-Uni, cela n’a entrainé l’émergence d’une tendance de gauche sérieuse au sein des organisations traditionnelles.
Nous ne devons pas rester bloqués sur des schémas abstraits qui ne correspondent pas à la réalité. La situation actuelle dans les partis de masse n’est pas la même que celle que Trotsky décrivait. Même au Royaume-Uni, la tendance représentée par Corbyn – bien qu’elle constitue indubitablement un grand pas en avant pour la politique britannique – n’est qu’un pâle reflet de l’Independant Labour Party (Parti travailliste indépendant) d’avant la Seconde Guerre mondiale. C’est pour cela que, sur la dernière période, notre travail s’est concentré sur la jeunesse, avec d’excellents résultats.
Au Royaume-Uni, comme dans d’autres pays, le principal de notre travail est toujours orienté vers la jeunesse, dont la majorité sympathise avec Corbyn sans être activement impliquée dans le Labour.
Cela ne signifie pas pour autant qu’il faille écarter a priori la possibilité d’intervenir dans les organisations de masse si la situation évolue. Il n’est pas exclu qu’à l’avenir, dans certains pays, il puisse y voir des développements majeurs dans les organisations réformistes. Il nous faut toujours garder un œil sur elles et y intervenir si elles montrent le moindre signe de vie, comme c’est le cas au Royaume-Uni.
Notre tâche principale reste toutefois de gagner et d’éduquer les meilleurs éléments de la jeunesse et de les tourner vers le mouvement travailliste et la classe ouvrière. C’est la seule manière de rassembler la masse des forces du marxisme nécessaire à l’accomplissement de la révolution socialiste au Royaume-Uni. Avant qu’on puisse sérieusement parler de nous préparer au pouvoir, nous devons d’abord nous préparer à conquérir les masses et cela commence avant tout par la conquête de leurs couches les plus avancées.
Une nouvelle récession après l’expérience des dix dernières années aura un effet considérable sur la conscience, qui sera encore plus avancée. Nous devons être prêts à assister à des mouvements de masse, à l’émergence de courants et d’organisations de gauche, mais aussi à leur échec. La période prochaine sera celle des changements brutaux et des virages soudains, ce qui créera des conditions encore plus propices au développement de la TMI. Notre tâche est de mener une lutte déterminée pour la défense des principes du marxisme, tout en montrant une flexibilité tactique absolue dans la construction d’une organisation révolutionnaire, en agissant et en intervenant dans la lutte des classes.
La crise des sectes
Les sectes, qui maintiennent difficilement une misérable existence à la périphérie du mouvement ouvrier, jouent partout le rôle le plus pernicieux. Elles répandent la confusion, désorientent et nuisent à l’éducation de ceux qui ont le malheur de tomber sous leur influence. Les sectes discréditent les idées du trotskisme aux yeux de la classe ouvrière. Elles sont opaques à la méthode de Trotsky. Elles n’ont pas la moindre compréhension de la dialectique et sont donc ballottées d’un côté puis de l’autre à chaque retournement de situation. Ce sont des empiristes superficiels et des pragmatistes de la pire espèce.
A chaque fois que les votes en faveur des partis de droite augmentent – ce qui est inévitable dans de pareilles circonstances –, les sectaires hurlent au fascisme. Cela démontre l’irresponsabilité criminelle des gauchistes, qui ont sombré dans le désespoir en perdant la confiance en la capacité de la classe ouvrière à transformer la société. C’est le dénominateur commun des sectaires et des réformistes gauchistes.
Il est intéressant de noter que c’est en cet instant précis que les sectes sont en crise. Partout elles scissionnent et se désintègrent. Après l’effondrement de l’ISO (Organisation socialiste internationale) et l’implosion du CWI (Comité pour une internationale ouvrière), nous avons assisté à la scission entre Altamira et le Parti ouvrier (PO) en Argentine. Ce n’est pas un accident. Les sectaires n’ont aucune compréhension des processus qui sont en train de se dérouler. Ils sont désorientés et pessimistes. Ce n’est pas une coïncidence si c’est maintenant, au moment où la crise du capitalisme et du réformisme ouvre les conditions les plus favorables aux révolutionnaires, que ces groupes sont en crise, scissionnent et s’effondrent. Néanmoins, c’est un développement très positif, car il retire un obstacle de notre route.
La raison pour laquelle ils s’effondrent, c’est qu’ils n’ont rien de marxiste. Leur manque total de théorie signifie qu’ils ont succombé aux idéologies petites-bourgeoises, telles que les politiques identitaires. En résulte qu’ils sont déstabilisés par le moindre souffle d’air. Ils sont infectés par la maladie du scepticisme. Ils sont pessimistes, car ils n’ont aucune compréhension des orientations de la classe ouvrière. En revanche, notre fermeté sur les principes et notre solide connaissance de la théorie nous permettent d’élaborer des perspectives et des tactiques justes. C’est pour cela que nous nous développons et que nous touchons les meilleurs éléments des travailleurs et de la jeunesse.
La secte taaffiste (aka, le CWI) est un hybride horrible d’extrême sectarisme et d’extrême opportunisme. C’est en réalité une variante de la tendance que Lénine qualifiait d’économiste, c’est-à-dire une tendance ayant abandonné la théorie marxiste et essayant d’obtenir des succès à court terme en s’adaptant au vent dominant et en réduisant la politique au dénominateur commun le plus bas. Mais pourquoi Lénine a-t-il dit : « Sans théorie révolutionnaire, il ne peut y avoir de mouvement révolutionnaire » ?
Il y a plus de 25 ans, le CWI a exclu Ted Grant et quitté le Labour, jetant à la poubelle leur sens des responsabilités et les excellents résultats que nous avions obtenus en quatre décennies, prédisant avec assurance qu’ils connaîtraient « une croissance fulgurante ». Ils cherchaient un raccourci vers la réussite. Ted les a prévenus qu’il s’agirait d’un « raccourci vers le précipice ». La suite a prouvé à quel point il avait raison. Ils ont ensuite présenté des candidats aux élections, avec un programme complètement réformiste. Chacune de leurs campagnes ne soulevait qu’un seul problème, par exemple la lutte contre la tarification de l’eau en Irlande, etc. Ayant perdu toute compréhension de la théorie marxiste, ils sont naturellement tombés sous l’influence des idées petites-bourgeoises, notamment les politiques d’identité, très à la mode en ce moment. C’est une des principales raisons qui expliquent leur récente scission catastrophique.
Comme partout ailleurs au Royaume-Uni, les sectes se sont enfermées dans les syndicats, imaginant que c’était la seule manière d’atteindre les travailleurs. Le travail dans les syndicats est évidemment une part importante et nécessaire du travail révolutionnaire, mais comme toute tâche, il doit être mené de façon révolutionnaire, et non routinière et bureaucratique. Leur principale erreur est d’avoir essayé de gagner des places dans les syndicats sans d’abord construire une base solide. Au lieu de patiemment former des cadres révolutionnaires dans les syndicats, les sectes essayent de gagner de « l’influence ».
Trotsky avait écrit que nous ne pouvions pas « récolter ce que nous n’avions pas semé ». Le travail révolutionnaire au sein des syndicats est un travail de patience. Construire peu à peu une base solide prend du temps. Essayer de trouver des raccourcis par toutes sortes de tactiques et de combines est la recette assurée pour la dégénérescence opportuniste et bureaucratique. L’expérience de la secte taaffiste dans le syndicat britannique PCS (syndicat des services publics et commerciaux), qui s’est terminée en total fiasco, en est une preuve très claire. Avec leurs méthodes fallacieuses, ils se sont fait aspirer par l’activisme au jour le jour, au point qu’ils n’ont pas vu les importants processus qui s’activaient dans le reste de la classe ouvrière et dans la jeunesse.
Ce que les sectaires n’ont pas réussi à comprendre c’est qu’à ce stade, les éléments les plus révolutionnaires ont peu de chances de se trouver dans les syndicats. Ces derniers sont dominés par les vieux travailleurs, dont beaucoup sont pessimistes et attirés par l’opportunisme. Ces mêmes attitudes ont déteint sur les sectes, qui sont invariablement infectées par ce que Trotsky appelait du « scepticisme gangrenant », bien que maquillé sous un vocabulaire pseudo-révolutionnaire. Avec ce type de personnes, rien ne peut être accompli. Les vrais marxistes doivent suivre les conseils de Lénine : se fondre plus profondément dans la classe. Il faut voir au-delà de l’avant-garde auto-proclamée (les syndicalistes activistes) et aller chercher les couches du prolétariat les plus exploitées et les plus militantes !
Le capitalisme et l’environnement
Dans leur impitoyable recherche de profits, les capitalistes empoisonnent la nourriture que nous mangeons, l’air que nous respirons et l’eau que nous buvons. Ils tuent les océans, détruisent les forêts tropicales, et exterminent les espèces animales à une vitesse alarmante. Si le système capitaliste continue, le futur de l’humanité est menacé – et peut-être même la vie sur terre.
Il faut reconnaître que nous n’avons nous-mêmes pas prêté assez attention à ces problèmes par le passé. Nous devrions prendre des mesures immédiates pour remédier à cette carence. Cela va sans dire que nous étudions les questions environnementales d’un point de vue révolutionnaire, de classe, lié à la nécessité d’exproprier les banquiers et les capitalistes et créer une société harmonieuse, planifiée démocratiquement, au niveau national et international. Nous expliquons qu’il n’y a pas de capitalisme soutenable et nous dénonçons le fait que la bourgeoisie cherche à récupérer et détourner la lutte pour la défense de l’environnement pour ses propres intérêts de classe.
Nous devons approcher les écologistes de manière amicale, les soutenir chaque fois qu’ils font des critiques correctes de la nature destructrice du système actuel. Mais nous devons critiquer les idées réactionnaires, et néo-malthusiennes souhaitant limiter la croissance économique, la population, etc. Ces idées trompeuses, auxquelles Marx a déjà répondu il y a longtemps, seront utilisées par les réactionnaires bourgeois comme justification de leur politique de coupes budgétaires et d’austérité. (« Vous voyez ! Nous devons réduire la consommation pour sauver la planète ! »).
Les « Verts » se plaignent souvent que Marx et Engels ne se soient pas souciés de l’environnement. C’est absolument faux. Dans un excellent passage de Dialectique de la nature, Engels déclare :
« Cependant, ne nous flattons pas trop de nos victoires sur la nature. Elle se venge sur nous de chacune d’elles. Chaque victoire a certes en premier lieu les conséquences que nous avons escomptées, mais, en second et en troisième lieu, elle a des effets tout différents, imprévus, qui ne détruisent que trop souvent ces premières conséquences. […] les faits nous rappellent à chaque pas que nous ne régnons nullement sur la nature comme un conquérant règne sur un peuple étranger, comme quelqu’un qui serait en dehors de la nature, mais que nous lui appartenons avec notre chair, notre sang, notre cerveau, que nous sommes dans son sein et que toute notre domination sur elle réside dans l’avantage que nous avons sur l’ensemble des autres créatures de connaitre ses lois et de pouvoir nous en servir judicieusement. » (La dialectique de la nature, IX : Le rôle du travail dans la transformation du singe en l’homme, 1883)
Les méthodes que nous utilisons pour augmenter la productivité peuvent se transformer en leur contraire et détruire complètement le potentiel de croissance. L’évolution récente de l’agriculture en est un parfait exemple. L’utilisation aveugle d’insecticides et d’engrais artificiels a décimé les populations d’insectes, appauvrissant les sols et introduisant toutes sortes de substances nocives dans la chaine alimentaire.
Ce n’est pas un argument contre l’innovation technologique dans l’agriculture (nous ne souhaitons pas retourner à l’âge de pierre), mais c’est un argument imparable en faveur de la planification socialiste, et de l’utilisation rationnelle et contrôlée de la science au bénéfice de toute l’humanité, et non à l’avidité de quelques-uns.
Le potentiel révolutionnaire de la jeunesse
Dans sa lutte contre les dérives économiques, Lénine a également insisté sur le fait que le prolétariat ne devait pas seulement se battre pour des revendications économiques (salaires et conditions de travail), mais devait aussi se battre pour des revendications politiques, qui reflètent les problèmes et aspirations des autres couches de la société. De nos jours, beaucoup de gens non organisés se radicalisent sur des questions qui ne sont pas directement économiques. La révolte des lycéens sur la question environnementale en est un parfait exemple.
Un symptôme clair de la radicalisation de la jeunesse a été les grèves pour le climat, qui ont amené des centaines de milliers d’écoliers dans les rues. C’était un développement absolument nouveau, avec de grandes possibilités pour le futur. Ces nouvelles couches ne s’embarrassent pas de l’état d’esprit pessimiste et sceptique qui a touché beaucoup de la vieille génération.
L’atmosphère obsolète de routine qui existe dans de nombreux secteurs des organisations réformistes et des syndicats ouvriers est complètement absente ici. Ces jeunes ne sont pas intéressés par de petites réformes. Ils veulent une transformation radicale de la société. Ils veulent changer le monde. En un mot, ils veulent une révolution. Ces conditions permettront à la Tendance Marxiste de grandir bien plus rapidement et facilement que par le passé.
Les vieux sceptiques décrépits (incluant ceux qui se font passer pour des gens de « gauche » et même des « marxistes ») traitent la jeunesse avec condescendance. Ils leur tapotent la tête et disent : « C’est très bien, mais quand tu seras plus âgé et plus sage, tu réaliseras que tu ne peux pas changer le monde. C’est en fait le monde qui te changera. La révolution est un rêve et une illusion. Nous devons nous limiter à ce qui est possible. »
Nous, au contraire, disons à la jeunesse : « ce n’est pas vrai que les gens deviennent plus sages avec l’âge. La plupart des gens vieillissent et deviennent plus stupides. Vous avez raison de dire que le monde doit changer. Il faut une révolution, et si nous n’y arrivons pas, les conditions de la barbarie seront là. En fait, si les travailleurs échouent à prendre le pouvoir quand l’occasion se présentera, l’avenir même de la planète sera en grand danger. »
Il y a un sentiment de rébellion très répandu parmi la jeunesse. La situation objective évolue rapidement et les revendications du mouvement sont radicales, mais il manque le facteur subjectif. Il y a un énorme vide à gauche, mais personne ne fournit à la jeunesse les idées qu’elle réclame. C’est pourquoi des personnages accidentels, comme Greta Thunberg, peuvent temporairement combler ce vide.
On peut dire la même chose des mouvements contre l’oppression des femmes. Dans un pays après l’autre (Espagne, Argentine, Suisse, Irlande, Pologne, Italie, etc.), nous avons assisté à des mobilisations de masse pour les droits à l’avortement, contre les violences faites aux femmes, pour l’égalité salariale et contre les discriminations. A chaque fois, la jeunesse y a joué un rôle clé. Ce sont principalement des couches récentes qui entrent dans la lutte pour la première fois. Nous devons intervenir énergiquement dans ces mouvements, en apportant une alternative révolutionnaire claire, tout en combattant les idées féministes bourgeoises et petites-bourgeoises qui dominent dans la direction.
De toutes les couches qui entrent en lutte, la jeunesse est la plus ouverte aux idées révolutionnaires. C’est une priorité urgente de l’Internationale que d’intervenir dans ce milieu. Les attitudes routinières et conservatrices à l’égard de cet important travail sont totalement inacceptables. L’approche correcte a été montrée par un jeune camarade russe, qui a pris une initiative très audacieuse en lançant une fraction de gauche au sommet d’août 2019 des Fridays for Future (FFF) en Suisse.
Cela a immédiatement entraîné une réaction parmi les jeunes radicalisés de nombreux pays, qui sont mécontents du programme réformiste anémique des tendances de la classe moyenne telles que Greenpeace. La TMI doit apporter son soutien total à cette initiative et la poursuivre énergiquement. Ce sera une excellente façon de gagner les éléments les plus combatifs et les plus révolutionnaires de la jeunesse. En intervenant audacieusement avec des mots d’ordre révolutionnaires, en adoptant des initiatives opportunes pour stimuler les manifestations de masse, la Tendance marxiste peut gagner les meilleurs éléments et former une nouvelle génération de cadres révolutionnaires qui sera capable de prendre une position de direction dans cet important mouvement.
La situation actuelle et les tâches des marxistes
Par le passé, des crises politiques comme celles que nous connaissons partout aujourd’hui, n’auraient pas duré longtemps, quelques mois, peut-être quelques années. Elles se seraient terminées soit par le fascisme ou le bonapartisme, soit par la victoire de la classe ouvrière. Mais en développant l’économie, la bourgeoisie a aussi développé la classe ouvrière. La société a été prolétarisée comme jamais auparavant. Par conséquent, toute tentative de repousser la classe ouvrière et de reprendre les conquêtes du passé provoquera une résistance farouche.
Aujourd’hui, la bourgeoisie fait face à un grave problème. Les réserves sociales de masse du fascisme se sont effondrées, tandis que la classe ouvrière est plus puissante que jamais. La paysannerie, qui était très nombreuse avant la Seconde Guerre mondiale en Europe, est désormais réduite à une petite minorité. Les réserves sociales de la réaction se sont affaiblies.
Il s’agit d’un nouvel élément vital dans l’équation. Les 50 années de croissance sans précédent qui ont suivi la Seconde Guerre mondiale ont bouleversé l’équilibre des forces en faveur de la classe ouvrière. Cela crée un développement extrêmement favorable du point de vue de l’équilibre des forces de classe.
La trahison des dirigeants staliniens et sociaux-démocrates, qui ont freiné la lutte des masses contre le capitalisme après la Seconde Guerre mondiale, était la condition préalable pour une longue période de redressement économique. Cela a créé de graves problèmes pour les marxistes dans les pays capitalistes développés. Cela a eu tendance à repousser la lutte des classes pour un long moment, nourrissant des illusions dans le capitalisme et le réformisme. Mais il y a désormais un changement fondamental. Dialectiquement, tous les facteurs qui ont créé une base de stabilité se sont transformés en leur contraire. Le système capitaliste se dirige vers une crise historique, qui explique l’instabilité politique et sociale actuelle.
D’ici 2050, 66 % de la population mondiale vivra en ville – contre seulement 30 % en 1960. Ce seul fait montre un important changement dans l’équilibre des forces dans le monde. En Chine, la population urbaine est passée de 15 % au début du XXe siècle, à 60 % aujourd’hui. Au Soudan, les chiffres équivalents sont de 5 % dans les années 60 et de 33 % aujourd’hui. Cette croissance numérique s’accompagne d’une croissance élevée du poids social de la classe ouvrière. Les pays qui étaient autrefois ruraux et agricoles se sont rapidement industrialisés.
Objectivement parlant, la classe ouvrière n’a jamais été aussi puissante. Cependant, le sentiment de mécontentement parmi les masses, ne se reflétant pas dans les organisations de masse traditionnelles, s’exprime de différentes manières selon les pays. Mais ce qui est fondamental, c’est le processus irrésistible de radicalisation des masses à l’échelle mondiale qui se traduit par de violentes oscillations à droite et à gauche. Le processus de radicalisation s’intensifiera à mesure que la crise continuera, provoquant une polarisation encore plus nette entre les classes, et préparant la voie à des explosions révolutionnaires encore plus importantes.
Conclusion : pour un optimisme révolutionnaire !
Les marxistes sont optimistes par nature, mais notre optimiste n’est pas quelque chose d’abstrait ou d’artificiel. Il est basé sur une analyse et des perspectives sérieuses. Nous nous basons sur le roc solide de la théorie marxiste. Notre organisation peut être fière du fait que nous sommes restés absolument fermes sur les principes fondamentaux et la méthode dialectique, qui nous permet de pénétrer sous la surface des choses et de voir les processus profonds qui y sont à l’œuvre.
A bien des égards, la situation actuelle ressemble au déclin et à la chute de l’Empire romain. Les banquiers et les capitalistes font constamment étalage de leur richesse et de leur luxe. Les 1 % les plus riches sont en passe de contrôler jusqu’à 2/3 de la richesse mondiale d’ici 2030, alors qu’ils sont assis sur des milliers de milliards de dollars, qu’ils n’investissent pas dans l’activité productive. La classe dirigeante est parasitaire et complètement dégénérée. Cela attise partout les feux de la colère et du ressentiment.
Il y a un énorme potentiel de diffusion des idées marxistes. C’est la principale chose sur laquelle nous devons nous concentrer. Nous devons discuter des fondamentaux, non pas des incidents, mais de la tendance générale. Quel est le fil conducteur dans toutes ces situations ? Une polarisation politique et sociale extrême. La lutte des classes progresse partout.
Nous grandissons et nous nous développons – mais nous sommes trop petits pour être un facteur décisif dans le déroulement des événements dans un futur immédiat. De notre point de vue, il ne serait pas une mauvaise chose que des situations révolutionnaires décisives soient reportées pour un moment, pour la simple raison que nous ne sommes pas encore prêts. Nous avons besoin de temps pour construire l’alternative révolutionnaire.
Pour les raisons exposées dans ce document, nous aurons du temps, mais nous n’aurons pas tout le temps au monde. L’histoire avance à son rythme, et elle n’attendra personne. Dans la période actuelle, des événements gigantesques peuvent arriver avant que nous soyons prêts. Des changements brusques et soudains sont implicites dans cette situation. Nous devons être prêts à relever de grands défis.
Les meilleurs travailleurs et jeunes sont déjà largement ouverts à nos idées. Nous devons trouver le chemin vers ces couches et tourner définitivement le dos aux éléments anciens, fatigués et démoralisés. Toutes les traces de scepticisme et de routine doivent être éliminées de nos rangs, qui doivent être imprégnés d’un esprit d’urgence de haut en bas.
C’est une course contre la montre. De grands événements peuvent nous dépasser. Nous devons être prêts. Par conséquent, nous devons construire notre organisation et recruter et former des cadres dès que possible. C’est le seul chemin vers la réussite. Nous sommes déjà dans cette voie.
Rien ne doit nous détourner de cette tâche. Nous avons toutes les raisons pour être pleins de confiance envers la classe ouvrière, dans les idées du marxisme, en nous-mêmes, dans la Tendance Marxiste Internationale.
Turin, le 29 janvier 2020