Avant 2008, la bourgeoisie française menait ses « réformes » progressivement et prudemment, car elle craignait la réaction des travailleurs. Mais depuis la crise, la liquidation de toutes les conquêtes sociales est devenue une urgence vitale pour la classe dirigeante. Macron et ses attaques tous azimut incarnent ce besoin. Et l'enseignement supérieur n'y a pas échappé.
Sélection insidieuse ou déclarée
Auparavant, l’inscription à l’université contenait une part de tirage au sort pour accéder aux filières « sous tension », car la sélection était formellement interdite par le Code de l’éducation. Jugeant cette méthode « injuste », le gouvernement a proposé de sélectionner de façon « impartiale » grâce à une nouvelle plateforme : Parcoursup.
La critique gouvernementale de l’ancienne formule, l'Admission-Post-Bac (APB), visait évidemment à détourner les regards du vrai problème : le manque de places à l’université. Il n'était pourtant pas difficile de prévoir l'évolution des besoins ; il suffisait de se baser sur des données démographiques. Mais au lieu de cela, les gouvernements successifs ont réduit les investissements, aboutissant à un engorgement du système universitaire.
Pour contourner insidieusement ce problème, les gouvernements précédents ont permis la fusion d’universités en Grands Etablissements, lesquels furent autorisés à déroger au Code de l'éducation, et donc à sélectionner les étudiants et à augmenter les frais d’inscription. Macron, lui, a décidé de « régler le problème » en introduisant la sélection. L'excuse du gouvernement était toute trouvée : face au manque de places, il faut les réserver aux plus « méritants ». Pour autant, chaque lycée, université ou école a été autorisé à choisir ses propres critères pour trier les candidats, aboutissant à un système très inégalitaire. Par exemple, certaines universités handicapent les candidats ayant redoublé durant leur cursus, ou alors favorisent les jeunes qui viennent des lycées les plus côtés. En région parisienne, la priorité est donnée aux lycéens parisiens sur les lycéens de banlieue. La sélection s'effectue donc aussi sur des critères de classe – loin de la « méritocratie » vendue par le gouvernement.
Université « rentable »
La propagande mensongère du gouvernement peut bien tenter de cacher la vérité, le résultat est là. Fin août, plus de 100 000 candidats n'avaient toujours pas d'affectation pour la rentrée ; plusieurs dizaines de milliers n'avaient même pas une seule proposition. On imagine l'angoisse des concernés. D'autant qu'une rentrée universitaire suppose toute une série de longues démarches qui ne peuvent pas se faire au dernier moment, comme trouver un logement ou s'inscrire à la CAF. Le gouvernement a l’air de s'en moquer comme de ses premières chaussettes.
Ajoutons à cela que la plateforme Parcoursup ne permet pas de hiérarchiser ses vœux, ce qui fait qu'un très grand nombre d'étudiants va se retrouver dans une filière non choisie mais ajoutée à la liste de vœux par obligation. Cela ne peut qu'aggraver le taux d’échec en première année. Mais pour le gouvernement, l’essentiel est ailleurs. De son point de vue, cette réforme est une étape importante dans la transformation de l’université issue de Mai 68 – qui était relativement accessible, même si elle demeurait largement inégalitaire – en un modèle libéral, avec des licences et des masters à plusieurs milliers d’euros par an. Pour rester compétitive, la classe dirigeante française ne peut plus payer d’études au « tout-venant » et ne financera donc que les filières « rentables » pour elle.
Mobilisations
Le gouvernement refuse de reconnaître qu’il a mis en place une procédure de sélection, malgré les preuves évidentes du contraire. Par exemple, il a fait retirer du Code de l'éducation l'article qui interdisait la sélection !
La réticence du gouvernement à assumer sa politique est compréhensible : il connaît la réaction qu'a pu provoquer ce type de réformes chez les étudiants, par le passé. Ceux-ci se sont régulièrement mobilisés contre des mesures antisociales – et, parfois, ont entraîné la classe ouvrière avec eux, comme en Mai 68, mais aussi en 1986 contre la loi Devaquet (qui tentait déjà d’instaurer la sélection) et en 2006 contre le Contrat Première Embauche (CPE).
Au printemps dernier, les étudiants ont montré une nouvelle fois qu'ils n'ont rien perdu de leur combativité. On a vu se tenir, sur les facs, les plus importantes Assemblées Générales depuis 2006, avec également la participation de délégations de travailleurs grévistes, notamment des cheminots. Cette jonction étudiants-travailleurs était un pas immense en avant, le mouvement étudiant seul ne pouvant contraindre le gouvernement à reculer. Le mouvement étudiant a renoué avec ses meilleures traditions.
Il n'est pas exclu que, dès cette année, la lutte contre Parcoursup soit relancée, à présent que les travers de ce système injuste sont clairs et documentés. Les lycéens pourraient bien entrer dans le mouvement. Ce serait logique – et sèmerait la panique dans les rangs du gouvernement.