Pigasse, Niel et Bolloré

Face à la progression électorale du Rassemblement National, nombre de personnalités et d’organisations de gauche pointent la responsabilité des médias – et en particulier de « l’empire Bolloré ». Le collectif Désarmer Bolloré appelle ainsi à « vir[er] ses chaînes de la TNT » et à « souten[ir] la création et l’assise de contre-pouvoirs médiatiques puissants ».

Le virage à droite des médias français

Il est vrai que les médias de Vincent Bolloré (CNews, C8, Europe 1, le Journal du Dimanche), qui ont ouvertement fait campagne pour Jordan Bardella lors des législatives de 2024, attisent à longueur de journée le racisme, le sexisme et passent leur temps à calomnier le mouvement ouvrier et ses représentants. Le milliardaire breton ne s’en cache pas : « Je me sers de mes médias pour mener mon combat civilisationnel », déclarait-il en 2022.

Au-delà de Bolloré, on observe effectivement un virage à droite dans les médias depuis quelques années. La mort de Jean-Marie Le Pen a d’ailleurs donné lieu à un festival d’hommages – à peine nuancés par de vagues remarques sur ses « outrances » – dans la plupart des grandes publications bourgeoises, de Paris Match au Figaro.

Mais soyons clairs : si ce phénomène accompagne l’essor du RN et joue un rôle dans son accélération, il n’en est pas pour autant la cause fondamentale. Comme nous l’avons expliqué plusieurs fois, le parti des Le Pen a émergé, et s’est renforcé, en raison de la crise du capitalisme et des trahisons successives de la gauche réformiste.

La presse capitaliste « de gauche »

Contre Bolloré et l’extrême droite, le banquier Matthieu Pigasse proposait récemment de « mettre les médias [qu’il] contrôle [...] au service d’une conception ouverte du monde, progressiste. » Qu’entend-il par là ?

Le Monde, quotidien dont il est co-actionnaire, accusait l’an dernier Mélenchon d’« encourager l’antisémitisme » et de « cautionner le terrorisme islamiste » pour « renforcer sa base électorale dans les quartiers ». En 2019, le même journal condamnait les « velléités insurrectionnelles choquantes » des Gilets Jaunes et donnait des conseils à Macron pour désamorcer leur mobilisation.

Pigasse sait comment défendre ses intérêts de classe. Son « progressisme » et sa « conception ouverte du monde » s’arrêtent aux portes de la propriété bourgeoise. S’il cultive une différence d’image avec Bolloré et l’aile droite de la classe dirigeante, il les rejoint sur toutes les questions essentielles et partage leurs méthodes – de même que Patrick Drahi (Libération), Xavier Niel (Le Nouvel Obs) et tous les patrons de la presse dite « de gauche ».

Toute tentative de lutter contre l’extrême droite en s’alliant avec les tenants du système – que ce soit en formant des « fronts républicains » ou en s’en remettant aux millionnaires « progressistes » – est non seulement vouée à l’échec, mais surtout nuisible à la classe ouvrière.

Censure et liberté d’expression

Les écologistes Marine Tondelier et Sandrine Rousseau appellent carrément à interdire les médias contrôlés par l’extrême droite, comme CNews ou le réseau social X, propriété du milliardaire réactionnaire Elon Musk. D’autres réclament davantage de sanctions de l’ARCOM ou de rendre le « fact-checking » obligatoire.

Cela reviendrait à renforcer le contrôle de l’Etat bourgeois sur la liberté d’expression, ce qui serait une menace directe pour le mouvement ouvrier. Alors que de nombreux militants sont actuellement poursuivis pour leurs déclarations de soutien à la Palestine, il n’est pas difficile d’imaginer comment ces mesures de « lutte contre l’extrême droite » pourraient très facilement se retourner contre la gauche.

Les médias d’Etat (France Télévision, Radio France) ne sont d’ailleurs pas les derniers à pratiquer la censure et la désinformation. Le 25 janvier, France Info a même suspendu un journaliste qui avait osé parler d’« otages » (et non de « terroristes ») pour qualifier les prisonniers palestiniens détenus par Israël.

Pour une véritable liberté de la presse !

Quant à la formation de « contre-pouvoirs médiatiques puissants » comme le propose (entre autres) le collectif Désarmer Bolloré, ce projet est en contradiction avec les lois mêmes du capitalisme. Dans une économie de marché, seuls ceux qui disposent de grandes sommes d’argent (ou de l’appui de l’Etat) ont les moyens de diffuser leurs idées à grande échelle.

Comme l’expliquait Lénine, « la “liberté de la presse”, dans la société bourgeoise, c’est la liberté, pour les riches, de berner, de pervertir, de mystifier […] à des millions d’exemplaires, les pauvres, les masses populaires exploitées et opprimées. »

La seule façon pour les travailleurs d’obtenir une véritable liberté de la presse, c’est d’arracher les médias au contrôle des capitalistes – « de gauche » comme d’extrême droite. Cela veut dire nationaliser les moyens de production et de diffusion de l’information sous le contrôle démocratique de la classe ouvrière, pour qu’ils soient accessibles au plus grand nombre. Cela ne peut se faire sans arracher à la bourgeoisie l’ensemble des grands leviers de l’économie, de l’industrie et du transport. C’est exactement le programme que défend le Parti Communiste Révolutionnaire !