En mai 2024, une Conférence nationale de Révolution a pris la décision de fonder le Parti Communiste Révolutionnaire. A cette occasion, une discussion s’est tenue sur le thème : « Leur communisme et le nôtre ». Ce texte est la reprise de l’exposé introductif.


En fondant le Parti Communiste Révolutionnaire, nous disons aussi clairement que possible ce que nous sommes et ce pour quoi nous luttons. Cependant, nous sommes loin d’être les seuls à nous réclamer du communisme. Toutes sortes d’organisations et d’individus s’en réclament. En France, il y a d’abord le PCF, bien sûr, mais aussi les staliniens, les « communistes libertaires », diverses organisations « ultra-gauchistes » et, enfin, les « marxistes académiques ».

Quelles sont les différences fondamentales entre notre conception du communisme – celle de Marx, Engels, Lénine et Trotsky – et les conceptions des autres tendances ? C’est la question que j’aborderai dans cet exposé. Mais d’abord, il faut souligner la chose suivante : la diversité interne au mouvement communiste ne va pas se résorber au cours des prochaines années. La lutte idéologique ne se développe pas dans un laboratoire coupé du monde et qui permettrait aux idées les plus solides, les plus cohérentes, les plus scientifiques, de s’imposer mécaniquement et spontanément au détriment des autres. Si c’était aussi simple, notre conception du communisme l’aurait emporté de longue date.

Nous sommes matérialistes ; nous savons que les idées reflètent la réalité matérielle, et notamment les différents intérêts de classe. Nous savons aussi que, sous le capitalisme, la classe ouvrière est constamment soumise aux pressions de la bourgeoisie et de la petite bourgeoisie. Par ailleurs, la classe ouvrière elle-même n’est pas totalement homogène du point de vue de ses conditions matérielles d’existence. Ses couches supérieures – « l’aristocratie ouvrière » – pèsent de tout leur poids sur les organisations des travailleurs. Elles constituent la principale courroie de transmission du réformisme dans l’ensemble de la classe ouvrière.

Ce qui vaut pour les organisations réformistes vaut aussi pour les organisations qui se réclament du communisme. Elles ne sont pas immunisées contre les pressions qui viennent de l’aristocratie ouvrière, de la petite bourgeoisie et de la bourgeoisie. C’est ce qui explique l’existence d’organisations « communistes » dont les idées, les méthodes et le programme portent la marque d’autres classes et couche sociales. Et comme celles-ci ne vont pas disparaître à court terme, elles continueront d’exercer leurs pressions sur l’ensemble du mouvement ouvrier, y compris sur le mouvement communiste.

A présent, venons-en à la caractérisation des principales tendances du mouvement communiste.

 

Le Parti « Communiste » Français

En France, le PCF reste la plus grande organisation associée à l’idée du communisme. Mais en réalité, ce parti n’a plus de communiste que le nom. C’est désormais un parti réformiste, social-démocrate, qui d’ailleurs se tient sur la droite de la France insoumise.

Ceci dit, il arrive que les dirigeants du PCF soient interpellés sur ce nom de Parti Communiste. Il arrive qu’un journaliste leur demande : « Au fait, c’est quoi votre conception du communisme ? » En général, les dirigeants du PCF bottent en touche et répondent que le communisme est un « idéal de fraternité, d’égalité, de justice sociale », etc. Et si le journaliste insiste pour obtenir une réponse plus concrète, les dirigeants du PCF annoncent que le communisme doit être… « réinventé ».

Ceci soulève deux objections. Premièrement, s’il fallait « réinventer » le communisme, il ne serait pas judicieux d’en confier la tâche à Fabien Roussel ! Mais deuxièmement, il n’est pas du tout nécessaire de « réinventer » le communisme, de même qu’il n’est besoin de réinventer la roue.

A ce jour, le communisme a reçu sa formulation scientifique la plus aboutie dans les écrits des grands marxistes – et en particulier de Marx, Engels, Lénine et Trotsky, dont les idées ont parfaitement résisté à l’épreuve des événements. Il n’est donc pas nécessaire de les « réinventer », ou de les « dépasser », ou de les « combiner » avec d’autres idées, comme on ne cesse de nous y inviter (et pas seulement les dirigeants du PCF). Ce qui est nécessaire, c’est de bien étudier ces idées, de façon à les appliquer concrètement à l’analyse des événements actuels et à la réalisation des tâches politiques qui en découlent.

Une dernière remarque concernant le PCF. Il y a deux phrases de Marx que tout dirigeant du PCF qui se respecte connaît et cite régulièrement. Voici ces phrases, extraites de L’idéologie allemande (1845) : « Le communisme n’est pour nous ni un état qui doit être créé, ni un idéal sur lequel la réalité devra se régler. Nous appelons communisme le mouvement réel qui abolit l’état actuel. »

Pourquoi les dirigeants du PCF (entre autres) citent souvent ce passage de L’idéologie allemande ? Parce qu’il est assez facile de l’interpréter dans le sens du réformisme. Si le communisme n’est ni « un état qui doit être créé », ni « un idéal sur lequel la réalité devra se régler », à quoi bon un programme révolutionnaire et la perspective d’une rupture révolutionnaire avec le capitalisme ? Quant au « mouvement réel qui abolit l’état actuel », il désignerait un mouvement graduel, pacifique, linéaire, sans bouleversement, sans révolution – bref, le mouvement du réformisme.

En réalité, Marx ne voulait rien dire de tel. Les deux phrases en question visaient les philosophes idéalistes qui, à l’époque, élaboraient des plans d’émancipation humaine dans leur tête au lieu de chercher dans la réalité du capitalisme les prémisses matérielles et sociales du communisme – à savoir, d’une part, le développement prodigieux des forces productives, de l’industrie, de la science et de la technologie, et d’autre part l’énorme développement de la classe ouvrière, c’est-à-dire de la seule classe sociale qui, du fait de sa position dans les rapports de production, est capable d’exproprier la bourgeoisie et de réorganiser la société sur de toutes nouvelles bases, des bases collectivistes.

 

Le stalinisme

Le PCF n’a pas toujours été un parti social-démocrate, mais ce qu’il était avant – disons entre la fin des années 1920 et la fin des années 1980 – n’était pas mieux. C’était alors un parti stalinien. Or, historiquement, le stalinisme fut l’ennemi le plus redoutable du marxisme révolutionnaire au sein du mouvement communiste. J’en parle au passé car désormais le stalinisme, en France, n’est plus que l’ombre de ce qu’il fut. Aujourd’hui, les staliniens français sont fragmentés en une poignée de petites sectes sans influence.

Ceci dit, cela ne règle pas la question de notre attitude vis-à-vis du stalinisme. En effet, le stalinisme s’est effondré sur le plan organisationnel, en France et dans la plupart des pays, mais l’expérience du stalinisme, de ses crimes, de ses régimes dictatoriaux, de ses partis bureaucratiques – tout cela est toujours dans les têtes. L’expérience historique du stalinisme reste l’argument le plus puissant de la bourgeoisie contre les idées du communisme. Et donc nous devons expliquer ce qu’est le stalinisme, quelles furent ses causes, en quoi le marxisme s’en distingue radicalement et pourquoi le stalinisme n’a rien d’une fatalité.

Avant d’être un ensemble d’idées et de méthodes organisationnelles propres aux partis staliniens, le stalinisme est d’abord un type de régime. Un régime stalinien est un « Etat ouvrier déformé » (ou « dégénéré »). Un Etat ouvrier (et non bourgeois) parce qu’il repose sur une économie nationalisée et planifiée – bureaucratiquement planifiée, certes, mais planifiée quand même. L’économie n’est plus dominée par le marché mais par la nationalisation, la planification et la centralisation des grands moyens de production. La grande bourgeoisie a été expropriée et a perdu le pouvoir.

Mais il s’agit d’un Etat ouvrier déformé parce que le pouvoir, au lieu d’être contrôlé par la masse des travailleurs, est confisqué par une bureaucratie privilégiée et conservatrice qui cherche uniquement à défendre sa position et ses privilèges de caste dirigeante.

Ici, le propagandiste bourgeois triomphe : « Mais oui, c’est inévitable ! Le renversement du capitalisme engendre forcément la domination d’une petite minorité sur la grande majorité ! »

Encore une fois, c’est un argument puissant – à défaut d’être juste – et qu’on retrouve jusque dans l’esprit de jeunes et de travailleurs qui rejettent le capitalisme, mais n’ont pas envie de vivre sous la férule d’un nouveau Staline ou d’un nouveau Mao. Ils se posent donc à ce sujet quelques questions très légitimes.

Trotsky, Sergei Pichugin, 1923 Comment y répondre ? Il faut ici se reporter à l’analyse du stalinisme que Trotsky développe dans La révolution trahie, notamment. Trotsky y démontre que la déformation bureaucratique de l’Etat ouvrier russe était d’abord le résultat de l’isolement de la Révolution russe dans les conditions d’une effroyable arriération économique et culturelle. Dans un contexte de pénurie générale, et donc de lutte de tous pour la satisfaction de leurs besoins les plus élémentaires, les couches dirigeantes de l’Etat ouvrier russe ont abusé de leur position et capté pour elles-mêmes une fraction disproportionnée de la production nationale. Or, elles n’ont pu consolider ces privilèges qu’en éliminant la démocratie soviétique par toute une série de mesures bureaucratiques et policières, jusqu’aux emprisonnements et aux exécutions.

Je n’ai pas le temps d’entrer dans les détails de l’analyse de Trotsky, mais disons qu’il y montre concrètement comment le faible niveau de développement des forces productives en Russie, et donc le faible rendement des travailleurs russes, se sont répercutés à tous les niveaux de la société et de la vie politique. C’est le fil conducteur de l’analyse de Trotsky. Marx, déjà, soulignait qu’on ne pouvait pas construire une société communiste en socialisant la misère. La transformation socialiste de la société suppose un très haut niveau de développement des forces productives, ce qui à son tour suppose le développement international de la révolution, car aucun pays au monde – pas même les Etats-Unis, de nos jours – ne dispose des bases productives lui permettant de mener à bien la transition vers le communisme à l’échelle nationale.

C’est pourquoi Lénine et Trotsky considéraient la Révolution russe de 1917 comme le point de départ de la révolution mondiale. C’est aussi pourquoi Trotsky a combattu la « théorie » stalinienne du « socialisme dans un seul pays », qui en réalité n’avait rien d’une théorie : c’était surtout une expression de l’aspiration de la bureaucratie soviétique à jouir paisiblement de ses privilèges, sans risquer de les sacrifier dans le feu de la révolution mondiale.

La bureaucratisation de la Révolution russe a entraîné la dégénérescence bureaucratique de tous les partis de l’Internationale Communiste (IC). A partir du milieu des années 1920, Staline et sa clique ont transformé l’IC en un instrument docile de la politique étrangère de l’Union Soviétique, qui était dictée non par les intérêts de la classe ouvrière mondiale, mais par les intérêts de la bureaucratie soviétique.

Cette bureaucratie a pesé de tout son poids – et de toute son autorité – pour placer à la tête de tous les PC, en Europe et ailleurs, des dirigeants disposés à obéir aux zigzags dictés depuis Moscou, en fonction des circonstances. Ces dirigeants, qui se distinguaient surtout par leur médiocrité et leur capacité à obéir aux ordres du Kremlin, ont étouffé la démocratie interne des PC en même temps qu’ils piétinaient les idées fondamentales du marxisme et du léninisme. Ils ont fini par transformer les PC en de monstrueux obstacles sur la voie de la révolution socialiste.

Un dernier mot sur le stalinisme. On doit expliquer que les conditions objectives de la révolution socialiste – c’est-à-dire le développement de l’industrie et de la classe ouvrière – sont beaucoup plus mûres aujourd’hui, à l’échelle mondiale, qu’elles ne l’étaient en 1917. Ceci réduit considérablement la possibilité qu’une révolution socialiste victorieuse ne dégénère de la même façon que la Révolution russe – à une condition : que nous ayons construit à temps l’Internationale capable d’œuvrer au développement mondial de la révolution. Car même de nos jours, si une révolution socialiste restait trop longtemps isolée, elle serait exposée aux risques d’une dégénérescence bureaucratique.

 

L’ultra-gauchisme

J’en viens maintenant aux diverses organisations que l’on classe dans la catégorie des sectes ultra-gauchistes. Ces organisations nous reprochent souvent, d’ailleurs, cette façon qu’on a de les ranger toutes dans le même sac, car chacune est très attachée à ce qui fait sa « singularité ». Mais si on les jette dans le même sac, ce n’est pas par arrogance ou par paresse intellectuelle. C’est parce qu’elles partagent la même tare fondamentale, même si cette tare prend diverses expressions.

Contrairement à ce qu’on entend parfois, le problème n’est pas que ces organisations refusent d’intervenir dans les grands partis réformistes du mouvement ouvrier. Il est vrai que la plupart s’y refusent par principe – mais pas toutes, ou pas tout le temps. Elles sont capables de faire des virages de 180 degrés dans ce domaine, comme on le voit par exemple aujourd’hui dans le cas du POI – qui est une secte ultra-gauchiste, ô combien, mais qui s’est jetée à corps perdu dans la France insoumise, d’une façon totalement opportuniste.

En fait, toutes les sectes combinent des éléments d’ultra-gauchisme et des éléments d’opportunisme, car ce sont les deux faces du même manque de confiance dans la capacité de la classe ouvrière à prendre le pouvoir. C’est parfaitement net, et même caricatural, dans le cas de Lutte Ouvrière. Ses dirigeants répètent depuis des décennies que le niveau de conscience des travailleurs est très faible, qu’on traverse une longue période de profond reflux des luttes, et ainsi de suite. L’avantage d’un tel diagnostic, bien sûr, c’est qu’il permet de justifier la stagnation séculaire de Lutte Ouvrière.

Autre exemple : Révolution Permanente explique, elle aussi, que les travailleurs ne sont pas prêts à renverser le capitalisme, de sorte qu’on peut tout au mieux les mobiliser sur des revendications syndicales et démocratiques. Dans un de leurs articles théoriques [1], après avoir expliqué que le communisme est la seule issue à la crise du capitalisme, l’auteur poursuit : « Mais la réalité, c’est que nous ne sommes pas encore en condition de remplacer Macron par un gouvernement des travailleuses et des travailleurs, des classes populaires et de toutes et tous les exploités et opprimés, en rupture avec le capitalisme. La majorité des travailleurs, en dépit de leur détestation croissante des institutions existantes, se situe encore sur le terrain de la démocratie bourgeoise. L’urgence du moment passe par combattre de façon décidée le projet bourgeois d’un Etat toujours plus autoritaire, dirigé contre tous les exploités et opprimés. Mais pour reconquérir tout ce qui a été perdu dans la radicalisation autoritaire (…), nous devons nous inspirer de ce qui a fait toute la radicalité de la Révolution française, à commencer par 1793. »

Nous voici donc renvoyés au point culminant de la Grande révolution française – révolution colossale et pleine de leçons, sans doute, mais révolution bourgeoise ! L’auteur de l’article explique alors qu’il faut « s’inspirer de la Convention de 1793 », en remplaçant les institutions de la Ve République par « une assemblée unique » élue à « la proportionnelle intégrale » et « pour deux ans ». Ce « régime démocratique », plus « large » que la Ve République, « accélérerait l’éducation politique des travailleurs et des classes populaires et faciliterait la lutte pour un gouvernement des travailleurs. »

Est-il vrai qu’une nouvelle Convention (bourgeoise) sera une étape indispensable sur la voie d’un gouvernement des travailleurs ? Absolument pas. Ce qui est vrai, par contre, c’est que les travailleurs ne pourront pas prendre le pouvoir et le conserver sans un puissant parti révolutionnaire. C’est la clé du problème. Mais Révolution Permanente « oublie » cette question – celle du « facteur subjectif », du parti révolutionnaire – et lui substitue un problème objectif, moyennant une analyse formaliste et pessimiste de la conscience de classe des travailleurs.

Sur le plan théorique, ce manque de confiance dans la classe ouvrière est étroitement lié à une méthode formaliste, anti-dialectique. Et s’il faut caractériser d’un mot la tare fondamentale du sectarisme, c’est son formalisme. Cette méthode est incapable de voir les processus contradictoires qui sont à l’œuvre sous la surface de la société. En l’occurrence, les dirigeants de Révolution permanente ne comprennent pas que l’évolution de la conscience de classe des travailleurs n’est pas un processus graduel, linéaire, mais un processus dialectique, qui avance par bonds, par ruptures brutales. Aucune des diverses sectes gauchistes, par définition, ne le comprend.

 

Le « communisme libertaire »

J’aborderai rapidement la tendance des « communistes libertaires ». Ils ne sont pas très nombreux, en France, mais ces dernières années l’Union Communiste Libertaire (UCL) a tout de même gagné un certain nombre de jeunes attirés par la référence au communisme. Ces jeunes voient aussi dans l’inspiration anarchiste de cette organisation une garantie contre le bureaucratisme.

En réalité, il n’y a rien de plus bureaucratique, en un sens, qu’une organisation anarchiste, car en l’absence d’un contrôle formel de la direction par la base, les dirigeants – car il y a toujours des dirigeants – sont sélectionnés suivant des critères accidentels et ne sont pas responsables devant la base.

Pour le reste, le « communisme libertaire » est une contradiction dans les termes. On ne peut pas être à la fois communiste et libertaire (anarchiste). C’est comme boire ou conduire : il faut choisir.

Je prendrai juste un exemple. Dans le Manifeste de l’UCL, on trouve ceci à propos de la société que cette organisation veut construire, une fois le capitalisme reversé : «La planification démocratique signifie que la production n’est plus guidée par la course au profit, mais par les besoins de la population. (…) Cependant, (…) la diversité des besoins appelle la coexistence d’un mécanisme de planification générale et d’une sphère d’échanges de biens, à l’initiative des individus et des communautés. (…) De façon ni concurrente ni contradictoire, la sphère d’échanges spontanés doit permettre l’accès de chacune et de chacun à des commerces et services de complément. »

Autrement dit, l’UCL est « communiste », donc pour la planification – mais aussi anarchiste, donc pour le maintien d’un secteur marchand, c’est-à-dire d’une production privée en vue de l’échange marchand. D’un point de vue théorique, c’est absurde. On ne voit pas du tout pourquoi dans une société communiste, c’est-à-dire dans une société d’abondance, il y aurait des besoins qui ne pourraient être satisfaits que par le maintien d’un secteur marchand. Je précise que cet extrait du Manifeste de l’UCL ne parle pas d’une phase de transition entre le capitalisme et le communisme. Non : il parle du communisme tout court, d’un communisme étonnamment accablé d’un secteur marchand.

Cela ne tient pas debout, mais à la racine de cette bizarrerie théorique, il y a un préjugé de classe, un préjugé petit-bourgeois qui idéalise la petite production, le petit paysan, le petit artisan. Marx et Engels, déjà, faisaient remarquer que l’anarchisme était une tendance petite-bourgeoise, l’une des expressions politiques de la petite bourgeoisie. C’est toujours le cas.

 

Le « marxisme académique »

Enfin, je termine par les « marxiens », c’est-à-dire les soi-disant « marxistes académiques ». Là aussi on a une belle contradiction dans les termes. Le marxisme, par nature, n’est pas académique ; c’est « un guide pour l’action », comme l’écrivait Marx. L’académisme, c’est tout le contraire : c’est un guide pour l’inaction, pour la passivité. C’est la théorie pour la théorie, coupée de l’action. C’est le commentaire indéfini des textes, et le commentaire des commentaires, jusqu’à plus soif.

Les « marxiens » regardent de très haut les marxistes « orthodoxes » que nous sommes, parce qu’au lieu de passer notre temps à commenter les écrits de Marx, on s’efforce d’appliquer les idées et la méthode du marxisme à la lutte révolutionnaire.

On pourrait me demander : mais est-ce qu’au moins certains écrits « marxiens » ont un intérêt théorique dont on pourrait tenir compte dans notre activité pratique ? A ma connaissance, non. Soit les « marxiens » répètent dans des termes complexes et confus ce que Marx a expliqué simplement et clairement, soit ils formulent de nouvelles interprétations du marxisme qui se distinguent toujours par leur caractère formaliste et idéaliste. Et lorsqu’ils s’aventurent dans le domaine des perspectives et du programme, c’est la catastrophe, comme je l’ai montré dans la brochure sur Frédéric Lordon.

L’an dernier, j’ai assisté à une conférence intitulée : « La planification comme projet politique ». Le titre était prometteur. Hélas, le conférencier, Guillaume Fondu, était un « marxien ». En l’écoutant, je n’en croyais pas mes oreilles. Après avoir expliqué que la planification démocratique de l’économie est la seule alternative viable au système capitaliste (jusqu’ici, tout va bien), il a précisé que, du fait de la crise environnementale et de la limitation des ressources naturelles, le communisme reposerait sur une nette diminution de la consommation des masses et sur une augmentation générale du temps de travail – le tout sous la férule d’une sorte de « conseil scientifique » qui fixera le temps de travail et la ration de chacun !

Cela prête à rire, mais c’est une idée en vogue dans les milieux de gauche, et cette idée peut faire des dégâts jusque dans l’esprit des jeunes qui s’orientent vers le communisme. Nous ne devons lui faire aucune espèce de concession. C’est la planification démocratique de l’économie qui permettra, du même coup, d’en finir avec la crise environnementale, d’améliorer le niveau de vie des masses et de baisser indéfiniment le temps de travail. Pour cela, le capitalisme a développé tout le potentiel scientifique et technique nécessaire.

Ce qui manque, c’est une Internationale et un parti révolutionnaires suffisamment puissants pour porter les travailleurs au pouvoir lors des crises révolutionnaires qui ne manqueront pas d’éclater. Comme l’écrivait déjà Trotsky dans le Programme de transition, en 1938 : « La crise historique de l’humanité se réduit à la crise de la direction révolutionnaire ». Armés des idées du marxisme et d’une confiance absolue dans la classe ouvrière, nous allons construire cette direction révolutionnaire. Il n’y a pas de tâche plus urgente.


[1] « Face à la radicalisation autoritaire, pour une réponse démocratique radicale par en bas », par Juan Chingo.

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