En novembre 1847, une organisation dénommée Ligue Communiste chargeait Marx et Engels de rédiger un document résumant ses idées et son programme. Le Manifeste du Parti Communiste a été publié quelques semaines avant l’éclatement de la révolution de 1848. La traduction française est parue à la veille de l’insurrection des ouvriers parisiens, en juin de la même année.
Quiconque défend les idées du Manifeste s’est vu rétorquer que, depuis le XIXe siècle, la société a évolué, et qu’il faut donc leur préférer des idées plus modernes. Ceux qui parlent ainsi ont l’impression de dire quelque chose de très profond. Mais il n’en est rien. Personne ne nierait que le monde a changé depuis la rédaction du Manifeste. Dans la préface de 1872, déjà, Marx et Engels notaient qu’après les révolutions de 1848 et la Commune de Paris, les principes généraux du Manifeste conservaient leur exactitude, mais que certaines parties étaient à revoir. Il ne suffit pas de dire que des choses ont changé depuis 1848. Si l’on veut sérieusement traiter la question de la pertinence du Manifeste, il faut déterminer précisément quels changements ont eu lieu et en quoi ces changements sont de nature à invalider les idées de Marx et Engels.
En 170 ans, certaines parties du texte ont inévitablement vieilli. Mais les idées fondamentales du Manifeste sur les caractéristiques et le mode de développement du système capitaliste, ainsi que sur les éléments essentiels du programme pour en finir avec ce système, sont toujours d’actualité. A vrai dire, elles le sont même beaucoup plus qu’à l’époque de Marx. En 1848, les rapports de production capitalistes prenaient forme à travers le continent européen et bien au-delà. Mais il n’y avait qu’un seul pays au monde – la Grande-Bretagne – où ces rapports capitalistes avaient complètement supplanté le mode de production et les relations sociales préexistantes.
C’est justement de ce point de vue qu’on prend la mesure de la valeur théorique du Manifeste et du génie de ses auteurs. Marx et Engels ne voyaient pas la société existante comme quelque chose de figé et immuable. Au contraire, dans le Manifeste, ils expliquent les bouleversements constants que le capitalisme impose à la société. Ils pointent les caractéristiques essentielles de ce nouveau mode de production et s’efforcent de prévoir son développement ultérieur. Or, si la vision de l’avenir capitaliste présentée dans le Manifeste était erronée, si ses auteurs s’étaient trompés, non pas sur tel ou tel aspect secondaire, mais sur les traits essentiels de ce développement, le Manifeste n’aurait aujourd’hui qu’un intérêt anecdotique, à l’instar de la plupart des ouvrages d’écrivains bourgeois produits à la même époque. Mais le fait est que les auteurs du Manifeste – qui, encore une fois, écrivaient à l’aube du développement mondial du système capitaliste –, ont vu juste, incroyablement juste. 170 ans après la rédaction de ce remarquable document, n’importe quel salarié « moderne » y trouvera une description des réalités du capitalisme qui correspond très largement à ce qu’il vit et à ce qu’il voit autour de lui.
A bien des égards, les perspectives présentées dans le Manifeste se sont réalisées à un point que Marx et Engels eux-mêmes ne pouvaient pas imaginer. Prenons par exemple le phénomène de concentration des moyens de production entre les mains d’une minorité toujours plus restreinte. Aujourd’hui, quelques milliers d’individus, à la tête d’entreprises gigantesques, disposent d’une puissance économique colossale. L’entreprise pétrolière hollandaise Royal Dutch Shell a réalisé un chiffre d’affaire de 458 milliards de dollars en 2008. Cela représente un quart du PNB de la France, plus que la totalité du PNB de la Belgique et deux fois le PNB de la Finlande. La même année, l’entreprise de grande distribution américaine Walmart a réalisé un chiffre d’affaire de 405 milliards de dollars. L’entreprise Chevron a réalisé 263 milliards de dollars, soit 22 milliards de plus que le PNB de la Grèce et 8 milliards de plus que le PNB de l’Afrique du Sud. Le groupe Carrefour, qui est à la 25e position sur le palmarès mondial des grandes entreprises, emploie près de 500 000 salariés et a réalisé, en 2008, un chiffre d’affaire de 129 milliards de dollars, soit six fois le PNB du Kenya. Clairement, en ce qui concerne la concentration du capital, la marche de l’histoire n’a pas invalidé l’analyse du Manifeste !
Le rôle de la classe ouvrière
A l’époque de Marx, le capitalisme jouait encore un rôle relativement progressiste. En développant l’industrie et la productivité du travail, il préparait les bases matérielles indispensables à la société socialiste future – et renforçait sans cesse le poids social de la classe ouvrière, qui, en vertu de sa position dans la production, a la tâche historique de prendre le pouvoir et de construire le socialisme. Marx et Engels anticipaient l’émergence de la classe ouvrière – le prolétariat – comme une force révolutionnaire indépendante. Cette perspective a été brillamment confirmée par la révolution de 1848 – et surtout par celle de 1870-71. Cependant, en 1848, et donc dans le Manifeste, ils surestimaient la maturité politique de la classe ouvrière en jugeant possible une victoire révolutionnaire du prolétariat à court terme. Sur la base de l’expérience, ils ont corrigé cette erreur et expliqué que le triomphe du socialisme nécessite une « longue préparation » idéologique et organisationnelle des travailleurs, à commencer par les plus militants et politiquement conscients.
Le processus de « prolétarisation » des couches sociales intermédiaires est allé beaucoup plus loin que les auteurs du Manifeste ne pouvaient le concevoir. Mais ici, une précision s’impose. Aujourd’hui, le terme « prolétariat » provoque chez nos « intellectuels » et bon nombre de dirigeants « de gauche » un sourire narquois, comme si ce terme désignait une espèce en voie de disparition, voire déjà disparue. Il est vrai qu’aujourd’hui peu de salariés se qualifieraient eux-mêmes de « prolétaires ». Mais qu’entendaient Marx et Engels, par ce terme ? Engels l’explique très clairement dans une note de la toute première page du Manifeste : « On entend par prolétariat la classe des ouvriers salariés modernes qui, privés de leurs propres moyens de production, sont obligés, pour subsister, de vendre leur force de travail ». Dans la terminologie moderne, le prolétariat est le salariat, ni plus, ni moins. C’est cette partie de la population active qui doit « vendre sa force de travail » pour vivre.
A l’époque de Marx, le salariat était déjà la classe majoritaire en Angleterre. Mais en France et partout ailleurs dans le monde, ce n’était pas le cas. La classe dirigeante française disposait d’une base sociale massive – la paysannerie conservatrice –, sur laquelle elle pouvait s’appuyer pour écraser les mouvements insurrectionnels et révolutionnaires des travailleurs, comme ce fut le cas en 1848 et 1871. Dans leur préface de 1872, Marx et Engels se félicitent de l’industrialisation progressive de l’Europe, qui renforçait le poids social des travailleurs et réduisait les réserves sociales de la réaction. Aujourd’hui, le processus mis en évidence dans le Manifeste a abouti à une situation où le salariat, en France, constitue 86% de la population active. Un Français sur quatre vit en milieu « rural », mais seul un sur huit y travaille. Et même parmi ces derniers, les salariés sont la très grande majorité. Ainsi la société française a subi une modification profonde de sa structure sociale : une modification favorable au salariat. Les salariés assurent toutes les fonctions essentielles de l’économie et de l’administration, tous secteurs confondus. Nous savons qu’à la veille de la Révolution française, l’Abbé Sieyès écrivait que le « tiers état », considéré comme « rien » par les tenants de l’Ancien Régime, était en fait « tout » dans la société. Aujourd’hui, nous pouvons dire avec infiniment plus de justification que le salariat est « tout », dans la société. Sans lui, rien ne pourrait se faire.
Le stalinisme et ses conséquences
Pour Marx et Engels, la classe ouvrière, une classe sans propriété, est la seule authentiquement révolutionnaire. Ils insistaient sur le caractère international de cette nouvelle classe et de la lutte pour le socialisme. Toute l’activité et toute l’œuvre de ces grands révolutionnaires sont pénétrées d’un esprit résolument internationaliste. Le Manifeste proclame hardiment et sans ambages que les travailleurs « n’ont pas de patrie ». L’internationalisme et le communisme sont absolument indissociables.
Lénine, Trotsky et les autres dirigeants de la révolution de 1917 étaient des internationalistes implacables, comme Marx et Engels. Ils ne se faisaient aucune illusion quant à la possibilité de construire le socialisme en Russie sans une large extension de la révolution au-delà de ses frontières. Le dogme du « socialisme dans un seul pays », avancé pour la première fois par Staline peu de temps après la mort de Lénine, en 1924, exprimait le conservatisme de la bureaucratie qui se hissait progressivement au pouvoir, dans le contexte du reflux et de l’épuisement des masses révolutionnaires. Cette théorie marquait une rupture décisive avec les idées internationalistes qui, jusqu’alors, animaient le mouvement communiste. La dégénérescence de la révolution russe et le phénomène du stalinisme étaient la conséquence, au fond, de l’isolement de la révolution dans un pays arriéré et saigné par le carnage de 1914-18, puis par la guerre civile et les interventions impérialistes étrangères.
La dernière lutte de Lénine fut menée contre le bureaucratisme au sein de l’Etat et du parti. Mais les idéologues de la bureaucratie triomphante dénaturaient les idées de Marx, les subordonnant à ses propres intérêts étroits. Du temps de Staline – et après –, la caste privilégiée se maintenait au pouvoir par des méthodes répressives et totalitaires. La transformation de cette même caste en une nouvelle classe capitaliste et la destruction de l’URSS, à partir de 1990, ont porté un coup fatal aux illusions que certains communistes pouvaient encore avoir sur la véritable nature du régime en place.
La restauration du capitalisme en ex-URSS, en Europe de l’Est et en Chine fut l’occasion d’une vaste offensive idéologique pour proclamer le triomphe définitif du capitalisme. On nous expliquait que le marxisme et le communisme étaient enterrés et ne referaient plus jamais surface. Il fallait expurger de la conscience des travailleurs toute idée de lutter contre le capitalisme, qu’ils devaient accepter comme la forme définitive de la société humaine. Nous allions vers un « nouvel ordre mondial », sous la domination des grandes puissances capitalistes, et notamment de la plus puissante : les Etats-Unis d’Amérique. Les lois du profit et la « main invisible » du marché étaient proclamées seuls arbitres des destinées humaines.
La crise du capitalisme
La propagande capitaliste de cette période nous présentait la « globalisation » comme un phénomène nouveau. En vérité, ce processus est en cours depuis longtemps. Le Manifeste décrit très clairement la recherche incessante des capitalistes pour des marchés et des ressources, ainsi que l’inexorable mouvement de l’économie capitaliste vers le développement d’un marché mondial. Mais il est vrai que, sans être nouveau, ce processus a connu une forte accélération au cours de la deuxième moitié du XXe siècle, surtout depuis 1990. L’intégration dans l’économie capitaliste mondiale de deux milliards de personnes supplémentaires – en Russie, en Europe de l’Est et en Chine – ouvrait de nouveaux marchés et de nouveaux champs d’investissement aux capitalistes du monde entier. En même temps, l’injection de capitaux fictifs à une échelle absolument inédite, sous la forme de crédits, augmentait artificiellement mais massivement la demande. Aux Etats-Unis, par exemple, pour chaque dollar gagné, 1,4 dollars étaient empruntés. En Grande-Bretagne, pour chaque livre sterling gagnée, 1,6 étaient empruntées.
L’ouverture des nouveaux marchés et l’existence de cette masse énorme de crédits ne pouvaient empêcher la saturation des marchés que pendant un certain temps. La croissance de la production a fini par dépasser la demande. La production a chuté et le chômage a brutalement augmenté. La crise bancaire et la restriction du crédit sont la conséquence d’une crise de surproduction telle que décrite et expliquée dans le Manifeste. Plus tard, dans Le Capital, Marx a analysé ce phénomène de façon beaucoup plus approfondie. L’explication des causes fondamentales de la crise actuelle se trouve dans la théorie économique de Marx.
Les « économistes » qui prétendent que la cause première de la crise est une insuffisance de crédits – et la direction du PCF compte quelques représentants de cette école – se trompent complètement. Se satisfaisant d’une appréciation superficielle des causes de la crise, ils proposent des remèdes tout aussi superficiels : des crédits « nouveaux », des crédits « sélectifs », et surtout des crédits moins chers pour les capitalistes, pour les inciter à investir ! Mais la crise actuelle est tout d’abord une crise desurproduction. La restriction du crédit en est une conséquence. Les banques ne prêtent que si elles pensent revoir leur argent, plus les intérêts, ce qui dépend des revenus et des perspectives de solvabilité des Etats, des entreprises et des particuliers à qui elles prêtent.
Notons au passage que ce sont précisément les « économistes » de ce genre qui théorisaient la fin des crises de surproduction, pendant les années d’expansion économique. Grâce à la soi-disant « révolution informationnelle », expliquaient-ils, les marchandises « matérielles » étaient devenues, dans une large mesure, « immatérielles ». Les capitalistes faisaient de l’argent avec de l’information et la circulation d’idées. Or, un marché ne peut pas être saturé d’idées, n’est-ce pas ? Ceci était censé rendre caduque la théorie marxiste de la valeur – et donc l’inéluctabilité des crises de surproduction, telle qu’expliquée dans le Manifeste et Le Capital. Or, en réalité, les nouvelles technologies informatiques ne modifient en rien les lois fondamentales du mode de production capitaliste, pas plus que l’invention de la radio, de la télévision ou du téléphone, par le passé. La demande d’information – ainsi que des technologies qui servent à la transmettre – est une fonction de la demande et de la solvabilité en général.
Toujours est-il que le recours massif et inconsidéré au crédit, dans l’espoir d’éviter une crise de surproduction, n’a fait que rendre celle-ci encore plus sévère, le moment venu. Un effondrement général du système bancaire aux Etats-Unis et en Europe n’a été évité que par le versement, par les pouvoirs publics, de centaines de milliards d’euros dans les coffres des banques. De ce fait, la crise bancaire est devenue une crise des finances publiques. La stagnation de la production et la brusque montée du chômage, des deux côtés de l’Atlantique, s’accompagnent de niveaux record d’endettement public. En France, cette dette s’élève désormais à plus de 1600 milliards d’euros, soit près de 84 % du PIB annuel. La faillite de l’Etat grec sera suivie par d’autres. Plusieurs Etats européens – dont l’Espagne, le Portugal et l’Irlande – pourraient bien se retrouver dans la même situation que la Grèce. L’Italie et la France aussi, à terme.
Ainsi, la « globalisation » du capitalisme, qui devait résoudre ses contradictions et lui assurer des possibilités de développement illimitées, se solde par l’avènement d’une crise globale d’une profondeur inédite depuis les années 1930. Les gouvernements se trouvent confrontés à un dilemme. Pour éviter de se retrouver dans la situation de la Grèce (dont les difficultés ne font que commencer) et récupérer, au détriment de la population, les sommes colossales versées aux banques, il faudra imposer des programmes d’austérité extrêmement sévères, en vue de réduire massivement les dépenses publiques. Dans le même temps, il faudra augmenter les impôts directs et indirects. Mais cette politique, loin de favoriser une reprise de la production, entraînerait une contraction importante de la demande intérieure. A l’inverse, les gouvernements qui n’appliqueraient pas cette politique, par crainte de ses répercussions sociales, connaîtront les mêmes déboires par un autre chemin, car la faillite financière des Etats entraînera à coup sûr l’ensemble des activités économiques dans leur chute.
Pour la vaste majorité de la population, les promesses de la « globalisation » se transforment en cauchemar. Le chômage atteint partout des proportions encore plus massives que dans la période précédente. En France, le nombre de personnes vivant dans la misère est passé de 6 à 8 millions entre 2004 et 2009, et ces chiffres officiels cachent une réalité encore plus grave. La production stagne. L’investissement s’effondre. La balance du commerce extérieur, qui était positive à hauteur de 24 milliards d’euros en 1997, est négative de 43 milliards d’euros en 2009. Tout ceci alors que les finances publiques sont au plus mal. Le capitalisme signifie la régression sociale permanente, régression qu’il ne sera pas possible d’empêcher aussi longtemps que le pouvoir économique – et donc politique – des capitalistes restera intact.
Les travailleurs qui s’imaginent que cette crise est éphémère, que l’orage passera et que la situation finira par s’améliorer – ces travailleurs connaîtront un rude réveil. Les conséquences du tournant qui s’est produit, dans l’économie mondiale, vont se faire sentir dans toute leur gravité. Il s’agit d’un point de rupture fondamental dont les implications sociales et politiques sont colossales. Le maintien du capitalisme signifie une détérioration constante du niveau de vie de la masse de la population : aucun ordre social ne peut continuer indéfiniment sur cette pente. Dans le Manifeste, Marx et Engels écrivent que le capitalisme aboutit à des crises où il y a « trop de civilisation, trop de science, trop d’industrie, trop de commerce », où les forces productives deviennent trop puissantes pour le régime capitaliste, qui étouffe et détruit celles-ci au nom du profit. Là encore, ce magnifique document décrit bien la réalité contemporaine. Comme l’expliquent les auteurs du Manifeste, l’existence de la classe capitaliste est incompatible avec les intérêts de la masse de la population. Ainsi, le capitalisme prépare les prémisses économiques, sociales et psychologiques de la prochaine révolution française, européenne et internationale. La nécessité du changement fondamental, du renversement révolutionnaire de l’ordre capitaliste, pénétrera progressivement la conscience d’une couche de plus en plus large de la population. Les communistes, en expliquant clairement leurs idées et leur programme révolutionnaires, peuvent et doivent accélérer ce processus.
Le socialisme
La période du « capitalisme triomphant » a entraîné un décalage vers la droite dans les idées et les programmes des organisations des travailleurs. Il s’agissait d’un phénomène international auquel le mouvement ouvrier français n’a pas échappé. Le cas du Parti Socialiste est particulièrement flagrant. Mais au PCF également, les dirigeants ont fini par rallier « l’économie de marché » – au point de cautionner les privatisations massives mises en œuvre sous le gouvernement Jospin.
Cette évolution avait besoin de soutiens « théoriques ». Aussi incroyable que cela puisse paraître, on pouvait lire dans bon nombre d’articles et de textes que Marx et Engels n’ont jamais proposé des solutions, qu’ils n’ont jamais défendu un programme particulier, qu’ils ne prônaient pas l’expropriation des capitalistes et qu’ils se limitaient, en somme, à de vagues « pistes de réflexion ». Ainsi pouvait-on constamment « réinventer » le communisme à souhait, au gré des opportunités électorales ou ministérielles qui se présentaient. Dans leur préface de 1872, Marx et Engels écrivent que la troisième partie du Manifeste n’était plus tellement d’actualité, la plupart des tendances et mouvements dont il était question ayant été balayés par les révolutions – ou par les contre-révolutions – depuis sa rédaction. Cependant, au cours de ces dernières décennies, le niveau théorique des dirigeants de gauche a tellement régressé que l’on rencontre bon nombre des idées utopistes et réformistes qui veulent « guérir toutes les infirmités sociales au moyen de toutes sortes de replâtrages », comme l’écrivaient Marx et Engels. Aussi cette partie du Manifeste est-elle toujours d’actualité.
Le programme de Marx et Engels est expliqué très clairement dans le Manifeste. Ils réclament l’abolition de la propriété privée des moyens de production. « Vous êtes saisis d’horreur », disent-ils, en s’adressant à la classe capitaliste, « parce que nous voulons abolir la propriété privée. Mais, dans votre société, la propriété privée est abolie pour les neuf dixièmes de ses membres. C’est précisément parce qu’elle n’existe pas pour ces neuf dixièmes qu’elle existe pour vous. […] En un mot, vous nous accusez de vouloir abolir votre propriété à vous. En vérité, c’est bien ce que nous voulons. »
Notons enfin que la deuxième partie du Manifeste nous donne de brèves mais précieuses indications sur l’attitude que les communistes doivent adopter à l’égard des autres tendances du mouvement ouvrier. Marx et Engels nous mettent en garde contre des attitudes sectaires et des stratégies de division. Tout en invitant les communistes à rester fermes sur le programme et les principes, ils expliquent qu’il faut s’associer aussi étroitement que possible au mouvement ouvrier dans son ensemble.
Le tournant dans l’économie mondiale signifie l’ouverture d’une époque qui sera marquée par des confrontations majeures entre les classes. Au cours de ces luttes, la nécessité d’en finir avec le capitalisme sera posée, non seulement dans l’esprit d’une minorité militante, mais dans la masse de la population. Pendant une assez longue période, les communistes devaient nager contre le courant. Mais face à l’échec du capitalisme, ils sentiront désormais que le courant leur est nettement plus favorable. Cependant, le mouvement ouvrier – y compris le PCF – a été largement désarmé, sur le plan idéologique. Renouer avec la théorie, les méthodes, les principes et le programme du marxisme, dont le Manifeste est l’une des pierres angulaires, constitue la condition indispensable au renforcement du PCF et au succès définitif de son combat. Il n’y pas d’action révolutionnaire sans théorie révolutionnaire.