« Fasciste » ou pas ? La question surgit chaque fois que l’extrême droite accède au pouvoir ou s’en rapproche, qu’il s’agisse de Trump aux Etats-Unis, de Bolsonaro au Brésil, de Meloni en Italie ou de la progression actuelle du Rassemblement National dans les sondages pour les élections européennes.
Il est vrai que Trump ou Le Pen multiplient les propos racistes, sexistes et homophobes. Cependant, comme l’a montré par exemple l’épisode de la « loi immigration », tous les gouvernements de droite ont plus ou moins recours à ce genre de rhétorique réactionnaire. Sont-ils tous « fascistes » ? Non. Ou alors ce terme ne désigne plus rien de précis.
Un mouvement petit-bourgeois
Il nous faut une caractérisation scientifique du fascisme, basée sur sa dynamique de classe. Le fascisme est un mouvement qui utilise une démagogie réactionnaire, anti-ouvrière et (dans une certaine mesure) anti-capitaliste pour mobiliser la petite-bourgeoisie (petits paysans, artisans, commerçants, etc.) et constituer ainsi un mouvement paramilitaire. Dans l’Europe des années 1930, les partis fascistes groupaient des centaines de milliers de membres.
Lorsqu’ils ont pris le pouvoir en Italie, en Espagne et en Allemagne, ces mouvements ont été soutenus par la grande bourgeoisie. Pour défendre ses privilèges, celle-ci ne pouvait pas s’appuyer uniquement sur son appareil d’Etat (la police et l’armée). Elle a donc abandonné les rênes du pouvoir aux partis fascistes, qui ont abandonné leur démagogie anti-capitaliste pour défendre la domination de classe de la grande bourgeoisie. Ils ont utilisé leur force de masse pour détruire complètement toutes les organisations de la classe ouvrière : partis de gauche, syndicats, associations, etc. En Allemagne et en Italie, du fait des erreurs des dirigeants staliniens et réformistes, le mouvement ouvrier a même été annihilé sans pouvoir opposer de résistance organisée.
Rapport de force
Où sont aujourd’hui, aux Etats-Unis, au Brésil ou en France, les « forces de masse » du fascisme ? Elles n’existent pas. Contrairement à ce qu’on entend parfois, un parti comme le RN n’est pas fasciste. C’est un parti purement bourgeois, qui utilise une démagogie xénophobe pour tromper une partie de la classe ouvrière, désorientée par les trahisons des dirigeants réformistes. Il existe certes de petites organisations authentiquement fascistes. Elles sont dangereuses et doivent être écrasées. Mais elles n’ont pas la force nécessaire pour détruire les organisations des travailleurs.
Depuis les années 1930, la base sociale du fascisme – la petite-bourgeoisie – a beaucoup décliné, numériquement, au profit de la classe ouvrière. Alors que les petits paysans et leurs familles représentaient presque la moitié de la population française, ils ne sont aujourd’hui plus qu’une petite minorité de la population active, qui se compose pour près de 90 % de salariés. Cela a modifié le rapport de force entre les classes, à notre avantage. Et cela limite considérablement la possibilité, pour la bourgeoisie, de s’orienter vers un régime fasciste.
Enfin, le fascisme ne peut accéder au pouvoir que dans le contexte d’une désorientation et d’une démoralisation profondes des travailleurs, au terme de toute une période d’intense lutte des classes – période au cours de laquelle les travailleurs ont eu la possibilité de prendre le pouvoir, mais se sont heurtés à la politique erronée de leurs propres organisations. Ce fut le cas en Italie, en Allemagne ou en Espagne. Mais ce n’est pas du tout ainsi que se présente la situation aujourd’hui, dans aucun pays capitaliste avancé.
Loin d’être épuisée par des années de lutte intense et sans issue, la classe ouvrière commence seulement à se mobiliser. Loin de l’assommer, l’arrivée au pouvoir de l’extrême droite peut au contraire la pousser dans l’action. C’est ce qui s’est produit par exemple aux Etats-Unis, avec le mouvement « Black Lives Matter » sous la présidence de Trump. Des dizaines de millions d’Américains étaient alors descendus dans la rue contre le racisme et les violences policières. C’est aussi une des raisons pour lesquelles une partie de la bourgeoisie française hésite encore à s’orienter vers un gouvernement du RN.
Bien sûr, tous ces dirigeants réactionnaires et racistes, qu’il s’agisse de Trump ou de Le Pen, sont de dangereux ennemis des travailleurs, qui doivent être combattus par le mouvement ouvrier. Mais avant que la bourgeoisie puisse s’orienter vers des régimes dictatoriaux (ou a fortiori fascistes), les travailleurs auront plusieurs occasions de prendre le pouvoir. Et ils le prendront s’ils ont, à leur tête, un parti communiste révolutionnaire déterminé à renverser le capitalisme.