Après la vague de panique qui a déferlé sur les bourses mondiales, début août, les marchés n’ont toujours pas recouvré leur sang froid. La séance d’aujourd’hui (18 août), qui a effacé les gains des cinq dernières séances à Paris et Francfort, souligne l’extrême nervosité des investisseurs. Ils scrutent désespérément l’horizon dans l’attente d’une bonne nouvelle, mais n’en reçoivent que de mauvaises. Les économies française et allemande ont fait du surplace au deuxième trimestre 2011, avec respectivement 0 % et 0,1 % de croissance. Et le ralentissement de l’économie américaine – premier partenaire commercial de l’Europe – ne peut que renforcer cette tendance. Dans le « meilleur » des scénarios, l’Europe va s’installer dans la stagnation. Mais la possibilité d’une nouvelle récession, à court terme, est désormais importante. Dans les deux cas, la crise des dettes publiques se poursuivra et s’intensifiera.
Les marchés exigent qu’on relance la croissance tout en réduisant massivement les dettes publiques. Mais c’est demander l’impossible. Car des coupes drastiques dans les budgets sociaux, les salaires des fonctionnaires et les services publics ne peuvent qu’aggraver la crise de surproduction en minant davantage le pouvoir d’achat des ménages (et donc la demande). Or, sans croissance, il n’y aura pas de rentrées fiscales suffisantes pour réduire l’endettement public. D’un autre côté, les gouvernements ne peuvent pas tenter une relance de la croissance au moyen d’une augmentation massive des dépenses publiques : « les caisses sont vides », et même plus que vides. Telle est l’impasse à laquelle sont confrontées les classes dirigeantes d’Europe, des Etats-Unis et d’ailleurs.
Dans ce contexte, la rencontre franco-allemande de mardi dernier ne pouvait rien régler. Les mesures annoncées par Angela Merkel et Nicolas Sarkozy ne changeront pas une virgule aux problèmes fondamentaux du capitalisme européen. Par exemple, le projet de nouveau « gouvernement économique » de la zone Euro est une réforme institutionnelle superficielle dont les marchés doutent – à juste titre – qu’elle ramènera la croissance. Par ailleurs, la proposition d’inscrire la sagesse budgétaire dans les constitutions (la « règle d’or ») n’est rien de plus qu’un simple engagement, comme l’était le traité de Maastricht, cent fois piétiné par ses signataires. Aux promesses de « règle d’or », les marchés préfèrent l’or massif et véritable, valeur refuge qui bat sans cesse de nouveaux records.
Enfin, la « taxe sur les transactions financières », censée rapporter des dizaines de milliards d’euros par an au budget européen, est une annonce politique qui vise à faire passer la pilule des plans de rigueurs en prétendant qu’on va (un jour, bientôt) taxer les riches, même s’il faut bien sûr d’abord taxer les pauvres, une fois de plus. Cependant, malgré son caractère inoffensif, il semble que les marchés n’aient pas beaucoup apprécié cette plaisanterie. C’est qu’ils ont les nerfs à vif ! Toujours est-il que cette mesure n’a aucune chance de voir le jour – et, de toutes façons, ne règlerait rien aux problèmes qui frappent la masse de la population. Car le seul message sérieux qui est sorti de la rencontre entre Merkel et Sarkozy, c’est qu’il y aura encore plus de rigueur pour ceux qui la subissent déjà : les jeunes, les travailleurs, les chômeurs et les retraités.
De nombreux dirigeants de droite et de gauche reprochent à Angela Merkel de refuser l’émission d’« eurobonds », autrement dit la mutualisation des dettes de tous les pays de la zone Euro. Que les capitalistes allemands ne veuillent pas davantage financer l’endettement des autres pays, ce n’est pas étonnant. La crise aiguise les rivalités nationales et accroît les forces centrifuges au sein de l’UE. A terme, elle place les capitalistes européens devant l’alternative suivante : se pendre ensemble ou se pendre séparément. En refusant les eurobonds, les capitalistes allemands ne règlent rien à leurs propres problèmes, car ils laissent sans réponse la question des dettes grecque, italienne, portugaise, etc., qui risquent d’avoir de sérieuses conséquences sur l’économie allemande elle-même. En bref, les capitalistes européens sont dans une impasse.
Aux dirigeants des partis de gauche et des syndicats qui demandent l’émission d’eurobonds, nous posons la question : qu’est-ce que cela changerait de fondamental pour les jeunes, les travailleurs et les chômeurs européens ? En effet, que la dette soit ou non mutualisée, c’est à eux que les capitalistes demanderont de la payer. Ce n’est donc pas une solution pour notre classe. Et la vérité, c’est qu’il n’y aura pas de solution à nos problèmes sur la base du capitalisme. Voilà ce que les dirigeants du mouvement ouvrier devraient systématiquement et patiemment expliquer.
François Chérèque, de la CFDT, a exigé de pouvoir « discuter » avec le gouvernement du nouveau plan de rigueur qui sera annoncé le 24 août. Le gouvernement s’est empressé d’y répondre positivement et d’inviter tous les syndicats autour de la table. Que faut-il attendre de cette réunion ? Rien. Dans un salon de Matignon, les dirigeants syndicaux seront aimablement informés des nouvelles coupes budgétaires que prépare le gouvernement. Ils pourront aussi poser devant une rangée de caméras et d’appareils photos, mais cela n’ira pas plus loin. Le gouvernement, par contre, y voit un avantage non négligeable : il pourra se féliciter d’avoir « consulté » les syndicats. Le pouvoir sort toujours gagnant de ce type de rendez-vous.
Les dirigeants de la CGT et des autres syndicats ne devraient pas s’y rendre. Surtout, ils doivent résolument se tourner vers les travailleurs, les prévenir des graves conséquences de la nouvelle crise en matière d’emploi, de salaires, de services publics, de retraites, etc. – et s’efforcer de préparer une riposte syndicale à la hauteur de la situation. A cet égard, la stratégie des « journées d’action interprofessionnelles », organisées à plusieurs semaines de distance, doit être remise en cause. Depuis 2007, elle a toujours échoué. En France, comme d’ailleurs en Grèce, l’heure n’est plus aux grèves de 24 heures. Le mouvement a dépassé cette étape. L’heure est à un travail systématique pour préparer, entreprise par entreprise, un mouvement de grève illimitée mobilisant un maximum de secteurs du public et du privé, sur la base d’un programme comportant des mesures offensives contre le pouvoir des capitalistes sur l’économie. La jeunesse étudiante et lycéenne doit être mise sur le pied de guerre, elle aussi. Bien sûr, rien ne garantit d’avance le succès d’une telle stratégie. Mais le rôle des directions syndicales est de faire comprendre à tous les jeunes et travailleurs qu’il n’y a pas d’autre voie.
Certains suggèrent que les travailleurs « ne veulent pas lutter », qu’ils sont démoralisés ou démobilisés. Pour leur répondre, il suffit de rappeler ce qui se passe ou s’est passé récemment en Israël, au Chili, en Grèce, en Espagne, dans le monde arabe et ailleurs. Il s’agit d’un processus international dans lequel le mouvement ouvrier français, fort de ses grandes traditions, n’occupera certainement pas la dernière place. Bien sûr, la lutte des classes se développera à des rythmes différents selon les pays. Mais partout les mêmes causes produiront les mêmes effets. D’énormes quantités de colère et de frustration se sont accumulées sous la surface de la société. Des explosions sociales sont inévitables. Le rôle du mouvement communiste et syndical est de préparer le programme et la stratégie qui, s’appuyant sur la mobilisation des masses, permettront d’en finir une fois pour toutes avec le capitalisme et ses crises dévastatrices.