Régulièrement, la presse économique s’émerveille des records sans cesse battus par les prix de l’immobilier. Elle qualifie le phénomène d’« euphorie immobilière ». En 2003, à Paris, les prix de l’ancien ont marqué une hausse de 20 % - et 14 % dans l’ensemble du pays - après une hausse de 9 % en 2002 et de 40 % au cours de ces 5 dernières années. L’« euphorie » résiste à la dégradation de la situation économique et aux crises internationales successives. C’est dans ce contexte que, le 28 janvier dernier, la Fondation Abbé Pierre rendait public son dernier rapport sur le logement des plus défavorisés, dévoilant la réalité sociale que recouvre ce boom de l’immobilier.
La France compte trois millions de mal logés et 100 000 sans-abri. Les centres d’hébergement sociaux sont encombrés. En 2002, un tiers des personnes accueillies par ces centres occupait un emploi ou suivait une formation. Telle est la situation de ceux que les Américains appellent les working poor - les « travailleurs pauvres ».
Les difficultés à se loger sont particulièrement aiguës pour certaines populations réunissant plusieurs handicaps : ressources modestes, familles nombreuses ou monoparentales, origine étrangère. Elles doivent affronter des discriminations aussi bien dans le secteur public que dans le privé. Les expulsions réalisées avec l’assistance de la force publique ont augmenté de 75 % entre 1998 et 2002, et ce en dépit de la loi de juillet 1998 sur la lutte contre les exclusions.
En 2003, environ 1,3 million de demandes de logement social n’étaient toujours pas satisfaites. De fait, la majorité des salariés, y compris les plus modestes, doivent recourir au secteur privé pour se loger.
Pénurie de budgets
La crise actuelle du logement ne date pas de l’entrée en fonction de l’actuel gouvernement. Elle est indissociable des contre-réformes et attaques auxquelles le salariat est soumis depuis trente ans, avec le développement d’un chômage de masse, la précarisation du travail, la réduction de la part des salaires dans la richesse produite et la baisse des budgets sociaux. C’est précisément depuis 1972 que la construction de logement social s’est effondrée, passant de 214 000 unités en 1972 à 80 000 par an dans les années 1990-1993, pour tomber à 42 300 en 2000.
En 2003, le gouvernement prévoyait la construction d’à peine 54 000 logements sociaux sur l’année, auxquels il faut retrancher les 12 000 logements promis à la démolition. Par ailleurs, le budget 2004 prévoit des dépenses pour le logement en baisse de 9 % par rapport à 2003, alors que l’INSEE estime à 290 000 par an le nombre de logements qu’il faudrait construire entre 2005 et 2009 pour satisfaire la demande.
En 2000, le gouvernement Jospin avait fait voter la loi « Solidarité et Renouvellement Urbain ». Cette loi visait à contraindre les communes de plus de 3500 habitants à se doter, dans les 20 ans, d’un parc de logements sociaux représentant 20 % du nombre de résidences principales. Cette proportion n’est actuellement que de 1% à Neuilly-sur-Seine, contre 60 % à Aubervilliers. Cette loi a été mise à mal par l’actuel gouvernement, pour qui le logement social n’est pas une priorité.
Ainsi, la loi de Robien privilégie l’aide à la construction locative privée par le recours aux incitations fiscales. Mais étant donné le niveau très élevé du plafond des loyers ouvrant droit à des avantages fiscaux, les logements qui seront construits dans le cadre de cette loi ne bénéficieront que de façon marginale aux ménages les plus modestes.
Le gouvernement a également réduit la portée de la loi de 1948 encadrant certains loyers. Cette loi, qui mettait un frein à la spéculation, concerne de moins en moins de logements : 300000, aujourd’hui, contre 1,4 million en 1970. Dans la mesure où la majorité d’entre eux se trouvent dans des quartiers où les loyers sont les plus chers, leur revalorisation contraindra de nombreux locataires à quitter les lieux.
Quant au « plan Borloo » de destruction de 200 000 logements sur cinq ans - sous prétexte de réhabilitation de certains quartiers - c’est finalement à une aggravation de la pénurie qu’il aboutira, étant donné qu’il ne s’accompagnera pas d’un nombre correspondant de logements construits.
Spéculation
Le caractère spéculatif de la pénurie en logements est révélé par les statistiques sur la croissance continue du nombre de logements vacants. En 1999, dans l’ensemble du pays, il y avait deux millions de logements vacants, soit 7 % du parc immobilier. En Ile-de-France et à Paris, ces chiffres s’élevaient respectivement à 410 000 (8% du parc) et 137 000 (10 % du parc) ! Précisons qu’à Paris, la très modeste taxe sur le logement vacant instituée en 1999 ne concerne que 32000 logements. Enfin, même le plan de 300 réquisitions, annoncé en 2001 par le Ministère du Logement, n’a jamais été appliqué.
En réalité, dans une société soumise aux lois du capitalisme, il est inconcevable que le droit au logement puisse primer sur le droit à la propriété autrement qu’à titre exceptionnel ou marginal. Cette évidence n’est malheureusement pas comprise ou pas affirmée par nombre d’associations et d’organisations de gauche dont les revendications ont pour seul horizon le principe très flou de « partage des richesses », et qui ne semblent pas faire de lien entre le partage des richesses et les rapports de propriété capitalistes.
Une politique du logement authentiquement socialiste consisterait à assurer un financement public de la construction et de la réhabilitation de logements sociaux qui se fasse dans la durée et à hauteur des besoins réels. La nationalisation et la gestion démocratique de tous les grands groupes de l’industrie du bâtiment, ainsi que des banques et des grandes sociétés immobilières permettrait de mettre en place un véritable plan national du logement capable de répondre aux besoins de la population en matière de logement. Il faut également imposer le gel des loyers, qui consomment une part de plus en plus importante des revenus des ménages, et mettre un terme à la cession par les administrations ( Hôpitaux, La Poste...) de leur patrimoine immobilier, qui servait à assurer un logement bon marché à leurs salariés.
En définitive, rien n’illustre mieux que la crise du logement l’inaptitude du capitalisme français à diriger les ressources là où elles sont nécessaires afin de satisfaire les besoins essentiels du plus grand nombre.