L’auteur de cet article travaille dans une « société de services » d’environ 500 personnes, en région toulousaine. Une société de services loue ses salariés à de grandes entreprises de l’industrie, appelées « donneurs d’ordres ».
« Ma petite entreprise ne connaît pas la crise… » : voilà comment aurait pu commencer le discours du directeur du bureau d’études pour lequel je travaille, lorsqu’il annonçait aux salariés, en novembre 2008, que nous aurions 4 jours de RTT en plus (contre trois-quarts d’heure de travail hebdomadaire en plus). Le chiffre d’affaires de 2008 était supérieur aux prévisions et aux objectifs. La prime de participation fut donc nettement supérieure à celle de 2007. Fin décembre, l’ensemble des salariés avait de la charge de travail – et parfois même de la surcharge. Pour expliquer que cette société n’était pas touchée par la crise, les patrons nous disaient qu’elle est fondée sur un modèle « familial », et non un modèle « ultra libéral ». Et pourtant...
Pourtant, fin mars 2009, quand arrive l’heure des augmentations de salaires, changement de ton. D’habitude, les nouveaux embauchés ont une augmentation d’environ 10%, et les autres de 3% à 5%, ce qui est supérieur à la moyenne de la plupart des bureaux d’études et sociétés de services. Mais cette année, les augmentations ne devraient pas excéder les 2% – pour tout le monde. En cause ? La crise, bien sûr ! La branche ingénierie – bureau d’études électronique – commence déjà à voir ses premiers « intercontrats » (salariés sans charge de travail). Et ceux qui ont du travail n’ont aucune visibilité pour les semaines à venir. L’autre branche (documentation industrielle) est positionnée sur des projets qui vont arriver à terme, et peine à en trouver des nouveaux. Ce n’est donc qu’une question de temps avant qu’elle connaisse ses premières « sous charges ». Dans les deux branches, seulement quelques missions sont proposées mais à des tarifs impossibles à tenir.
Telle est la situation dans l’entreprise où je travaille. Nous subissons les premiers effets de la crise. Mais la plupart des monstres de l’industrie de services ont une longueur d’avance. Et les effets de la crise menacent d’y être catastrophiques.
Des sociétés comme Assystem (9000 salariés) commencent à mettre en place des mesures de chômage partiel, notamment dans le secteur automobile. D’autres géants comme Cap Gémini (environ 30 000 salariés, en France) commencent à avoir un taux d’intercontrats largement supérieur à leurs moyennes. Des dizaines de chefs de projet se retrouvent sans projets, ce qui amène les dirigeants de l’entreprise à durcir leur politique d’intercontrat. Avant, trois mois d’intercontrat étaient tolérés. Désormais, un mois, c’est un mois de trop, et des pressions s’exercent sur le salarié pour qu’il mette à jour son CV et gagne de nouvelles missions.
Des petits bureaux d’études en viennent même à « brader » leurs ingénieurs expérimentés au prix d’ingénieurs débutants, pour éviter de les avoir sans travail. Cette politique de « dumping » aura nécessairement des répercussions à la baisse sur les salaires et les participations, dans tout le secteur. Et partout, des mesures sont prises pour limiter les investissements (bureautique, informatique, etc.).
Le projet d’avion militaire A400M (Airbus) est celui qui, aujourd’hui, emploie le plus de sous-traitants dans la région Midi-Pyrénées et alentour. 70% des salariés y travaillent en sous-traitance. Or, ce projet pourrait être purement et simplement abandonné, laissant des dizaines de milliers de prestataires sans travail.
Ce ne sont là que quelques exemples. L’ampleur du désastre, en matière d’emplois, est difficile à mesurer. La situation est sans précédent.
Les sociétés de services sont celles qui embauchent le plus les jeunes diplômés du secteur industriel et technique – et ce sont souvent les seules, dans la région. Elles sont aussi les fusibles de l’industrie. Les grandes entreprises y ont eu énormément recours, dans le but de réaliser un maximum de profits (les coûts globaux de productions ont déjà été abaissés au maximum, ces 15 dernières années). Quand une entreprise va mal, elle remercie d’abord ses intérimaires. Puis vient le tour des sous-traitants. Dans le même temps, elle suspend des projets en attendant des jours meilleurs. Les projets suspendus annoncent donc des pertes de marchés pour les sociétés de service et les bureaux d’études, qui sont les premiers maillons de la création industrielle à venir. Au risque de licenciements directs s’ajoute la perspective d’un gel massif des embauches. Nous arrivons dans cette phase.
Lorsqu’il n’y a plus aucun intérimaire ni sous-traitant à licencier, et que les projets sont au point mort, vient l’heure de procéder aux plans sociaux chez les donneurs d’ordre. Cela a déjà commencé chez PSA – par des mesures de chômage partiel – ou encore chez Continental. Airbus n’est qu’en sursis. Et si les sociétés de services, qui au total emploient au moins autant de salariés que ces gros groupes, n’ont plus aucune mission ou projet pour leurs salariés, alors la crise entrera dans sa pire phase, engendrant un chômage encore plus massif.
Un peu partout, dans ces sociétés qui n’emploient quasiment que des salariés peu syndiqués et peu habitués à lutter – des ingénieurs et des cadres –, des grèves inédites éclatent pour défendre d’abord les salaires. Mais ces grèves pourraient bien devenir des luttes plus dures et porter sur la défense de l’emploi, comme dans les usines de production telles que Continental.
Comme le montre l’exemple de mon entreprise, la solution n’est pas de mettre en place un « capitalisme plus humain ». Le capitalisme est en faillite. Il faut lutter pour nationaliser toutes les sociétés d’un même service, dans le cadre d’un grand secteur industriel public, et embaucher massivement tous les « prestataires » et sous-traitants qui y travaillent. L’industrie doit être placée sous le contrôle démocratique de tous les salariés. Telle est la seule et véritable réponse à la crise actuelle, qui est loin d’être terminée.