Les capitalistes suppriment des emplois à une échelle massive. Des pans entiers de l’infrastructure économique du pays disparaissent. Pour les travailleurs et leur famille, la récession se traduit par une véritable débâcle sociale. Mais les capitalistes, eux, n’en souffrent pas. Au contraire, l’orientation des milliards engrangés sur le dos des salariés vers des opérations plus lucratives – et la liquidation, au passage, des entreprises jugées trop peu rentables – leur est profitable.
La récession, c’est-à-dire la baisse de la production, ne s’arrêtera pas à court terme. Mais elle ne durera pas indéfiniment, non plus. Par ailleurs, ce qui nous importe n’est pas seulement de savoir à quel moment l’économie française sortira de la récession – mais surtout à quel prix, pour les travailleurs, la jeunesse et les retraités.
Les dirigeants du Parti Socialiste et du Modem réclament à cor et à cri « une véritable politique de relance ». Ils feignent d’ignorer que, dans les faits, la reprise de la production industrielle – et donc des investissements productifs – n’interviendra pas avant que les marges de profit repartent suffisamment à la hausse, aux yeux des capitalistes.
En théorie, la hausse des marges de profit pourrait venir de l’ouverture de nouveaux marchés, ou de la reconquête de marchés perdus. Mais ceci paraît totalement exclu. Comme La Riposte l’avait expliqué bien avant le début de la récession, la position mondiale du capitalisme français n’a cessé de se dégrader, en particulier depuis les années 90. Dans toutes les régions du monde, et dans pratiquement toutes les branches d’activité, la production française a perdu et continue de perdre du terrain face à ses rivaux principaux européens, aux Etats-Unis, à l’Inde et à la Chine. Cette tendance ne s’inversera pas. En raison d’un sous-investissement chronique dans l’appareil productif, les capitalistes français ont accumulé un retard considérable sur leurs concurrents européens et américains. La preuve la plus flagrante de l’affaiblissement de la position mondiale du capitalisme français se trouve dans l’effondrement de sa balance commerciale, qui est passée d’un solde positif de 24 milliards d’euros, en 1997, à un solde négatif de 56 milliards, en 2008.
Faute d’issues sur le marché mondial, les capitalistes français cherchent à augmenter la rentabilité au moyen d’une augmentation du taux d’exploitation des salariés. Par « taux d’exploitation », on entend la part de profit extraite de chaque heure de travail. La seule façon de défendre et d’accroître leurs profits consiste à réduire, par tous les moyens possibles, la part des richesses créées qui revient, d’une façon ou d’une autre, aux travailleurs. En d’autres termes, le capitalisme signifie désormais la régression sociale permanente.
Même lorsque la production commencera à repartir à la hausse, ceci ne se traduira pas par une augmentation générale du niveau de vie. Depuis le milieu des années 90, par exemple, malgré les fluctuations du cycle économique – et notamment des taux de croissance relativement élevés, entre 1997 et 2001 –, le nombre de personnes vivant sous le seuil officiel de pauvreté n’a cessé de progresser. Il est passé de 6 millions à 8 millions sur l’ensemble de cette période. Les sommes colossales d’argent public – ou plus exactement de dette publique – qui ont été versées dans les coffres des banques et des entreprises capitalistes, au nom de la lutte contre la récession, devront être remboursées par l’Etat. Ceci se fera au détriment du financement de la santé, de l’éducation, des retraites, de la sécurité sociale et des conditions de vie des travailleurs en général. La société est donc dans une impasse.
Sur cette pente, l’ordre capitaliste ne peut pas conserver indéfiniment son équilibre interne, qui dépend avant tout de la patience et de l’inertie de la masse de la population. Mais cette patience et cette inertie ne résisteront pas beaucoup plus longtemps à la pression implacable qui s’exerce, depuis des années, contre le niveau de vie de la vaste majorité de la population. Tôt ou tard, la France entrera dans une phase de très grande instabilité sociale, au cours de laquelle l’existence même de ce système sera remise en cause.
D’ores et déjà, on voit partout les signes d’un profond malaise, d’un profond ressentiment contre l’injustice sociale. La situation de millions de personnes est devenue insupportable. Cependant, il ne faudrait pas nécessairement s’attendre, dans un premier temps, à ce que la colère et l’esprit de révolte se traduisent par de grandes vagues de grèves.
Bien sûr, il y a eu et il y aura encore des mouvements de grève, à court terme. Au cours de la dernière période, les grèves ont témoigné d’une certaine radicalisation des travailleurs, autant dans l’état d’esprit que dans les méthodes de lutte (les séquestrations, par exemple). Mais de manière générale, une récession économique aussi sévère ne favorise pas des mouvements de grève de grande échelle. Elle peut même avoir pour effet de paralyser la classe ouvrière, temporairement. La crainte du chômage – un véritable désastre, pour toute la famille – a forcément un effet intimidant sur les travailleurs. Ils se disent que ce n’est pas le moment de revendiquer, de se lancer dans l’action. Un mouvement général de grèves est donc possible, même en période de récession, surtout si celle-ci s’installe dans la durée. Mais selon toute probabilité, le développement d’un mouvement général de grèves ne sera à l’ordre du jour que lorsqu’une phase de reprise s’amorcera, que les carnets de commandes recommenceront à se remplir et que la courbe du chômage s’inversera.
Autant la flambée du chômage est un obstacle à un vaste mouvement de grèves, dans l’immédiat, autant elle n’empêche pas les travailleurs de penser. Les grèves ne sont pas la seule manifestation d’une modification de l’humeur de la classe ouvrière. A l’étape actuelle, la « radicalisation » des travailleurs se manifeste surtout au niveau de leur psychologie, de leur attitude plus critique envers les capitalistes et le capitalisme en général. Une couche de jeunes et de travailleurs commence à tirer des conclusions révolutionnaires de la crise actuelle et de ses conséquences sociales catastrophiques.
Certes, cette prise de conscience est nécessairement confuse et contradictoire, à certains égards. Comme l’expliquait Marx, la conscience est toujours en retard sur la réalité objective : le passé, les habitudes et les traditions pèsent de tout leur poids. Par ailleurs, en s’accrochant à l’idée d’un capitalisme « à visage humain », les dirigeants de la gauche et du mouvement syndical ne favorisent pas l’évolution politique des travailleurs. Au contraire : ils la freinent. Mais en retour, cela signifie que si le PCF avait une direction capable de tirer toutes les conclusions de la catastrophe économique et sociale actuelle – en somme, qui défende un programme et des idées révolutionnaires –, il pourrait rapidement progresser, dans la période à venir, au sein de cette couche de jeunes et de travailleurs que la crise pousse à remettre en cause l’ensemble du système capitaliste.