Lors d’un journal télévisé de France 2, le journaliste David Pujadas expliquait que d’après un rapport de l’Insee, « le taux de marge des entreprises est au plus bas en France depuis 30 ans ». S’ensuivait l’analyse suivante d’un « spécialiste » : « Ce qui est inquiétant, c’est son évolution, […] le taux s’effrite depuis 3 ans […] et celui de la France n’est pas flatteur comparé à celui de ses voisins européens. La France est en queue de peloton ». Qu’est-ce que cela signifie – et occulte ?
Le « taux de marge » ne se calcule pas exactement comme le « taux de profit » que Marx a longuement analysé, mais il évolue dans le même sens. L’un et l’autre augmentent – ou baissent – pour les mêmes raisons fondamentales. Aussi, nous ne rentrerons pas ici dans les détails techniques sur la façon dont se calculent ces deux agrégats. Ce qui nous intéresse, c’est la complainte de Pujadas et de son « spécialiste » : le taux de marge des entreprises françaises est trop faible ! Autrement dit, les entreprises françaises ne font pas assez de profits. Et d’expliquer que cela a de graves conséquences pour l’économie française, sa « compétitivité » – et finalement sur l’emploi. Ainsi, on aurait l’équation : baisse du taux de marge = augmentation du chômage. Vraiment, Mr Pujadas ?
Revenons à la question du profit – puisqu’au final il s’agit de cela, dans le taux de marge – et à la façon dont il est généré. Dans le Capital, Marx a démontré que le profit (ou « plus-value ») est le surtravail du salarié, c’est-à-dire la quantité de valeur qu’il créé, dans une journée de travail, en plus de la valeur de son salaire journalier. Autrement dit, le taux de marge augmente lorsqu’augmente la plus-value extorquée à la force de travail des salariés. Le taux de marge augmente lorsque l’exploitation des salariés augmente : tel est le fait essentiel, qui est généralement occulté par la façon complexe dont les revenus des entreprises sont présentés, avec leurs multiples agrégats économiques et équations comptables.
Lorsque Pujadas et compagnie déplorent une baisse du « taux de marge » des entreprises françaises, ils se plaignent finalement du fait que les travailleurs ne sont pas assez exploités.
Pour accroître l’exploitation des travailleurs, les capitalistes procèdent de différentes façons. Ils peuvent accroître la « plus-value absolue » en baissant les salaires et/ou en rallongeant la journée de travail. Mais ils peuvent aussi augmenter la plus-value relative en accroissant la productivité de chaque heure travaillée, notamment en intensifiant les rythmes de travail, ce qui a d’ailleurs été évoqué par notre « spécialiste » de France 2 lorsqu’il se plaignait que « les salaires augmentent plus rapidement que notre productivité ». Pas « notre » productivité, il faut entendre non pas celle du « spécialiste » (qui ne « produit » que des balivernes), mais celle des travailleurs, bien sûr.
Est-ce qu’au moins un accroissement du taux de marge permettrait de « relancer l’économie » – et donc de créer des emplois ? On aurait alors « un mal pour un bien » : plus d’exploitation, mais moins de chômeurs. Or il n’en est rien. Les causes fondamentales des crises du capitalisme son inhérentes aux lois et aux contradictions internes de ce système. Le système traverse actuellement une crise de surproduction organique. Et la surexploitation des travailleurs ne règle pas ce problème. Au contraire : en coupant dans les dépenses publiques, les retraites, les salaires, les prestations sociales, etc., les capitalistes minent la demande et aggravent la crise de surproduction.
Le problème, ce n’est pas « la baisse du taux de marge », ce n’est pas le Code du travail ou « les 35 heures » ; c’est le système capitaliste lui-même. Comme Marx l’avait anticipé, ce système est devenu un obstacle au développement des forces productives – et donc au progrès de l’humanité. Il faut réorganiser la production sur des bases socialistes. Cela signifie la propriété collective des grands moyens de production et la planification démocratique de l’économie. C’est la seule voie possible pour rationaliser définitivement les forces productives de l’humanité.