Il y a 120 ans disparaissait l’un des plus grands génies de toute l’histoire : Karl Marx. En même temps qu’elle donnait une base scientifique à la lutte des travailleurs pour leur émancipation sociale et politique, la pensée de Marx bouleversait complètement l’étude de l’histoire, de la sociologie, de l’économie et de la philosophie. Certes, la plupart des intellectuels font comme si Marx n’avait jamais existé, jamais écrit. D’autres se sont fait un métier de l’évoquer pour mieux l’enterrer - comme s’il n’était jamais assez mort...
Le silence obstiné et la débauche de critiques sont en réalité les deux face d’un même phénomène : le marxisme n’a pas cessé de hanter les classes possédantes. Pourquoi ? Parce que le marxisme constitue l’arme théorique la plus puissante dont dispose le salariat en lutte contre les capitalistes et leur système. Il suffit, pour s’en convaincre, de lire le Manifeste du Parti Communiste, écrit en 1847. Cet ouvrage, cosigné par F.Engels, grand ami et collaborateur de Marx, décrit la mondialisation de l’économie, la concentration du capital, le machinisme, l’accroissement des inégalités sociales, le développement numérique et culturel de la classe ouvrière - et bien d’autres caractéristiques essentielles du monde contemporain. A l’époque, le capitalisme n’en était qu’à ses débuts. Mais dans la mesure où ils ont découvert les lois générales de son développement, l’analyse de Marx et Engels correspond mieux au capitalisme du XXIème siècle qu’à celui du XIXème. Si bien que, loin d’avoir vieillie, elle est plus pertinente que jamais.
Le "matérialisme historique", c’est-à-dire la science des lois du développement de l’histoire, est l’axe central de la doctrine marxiste. Pour l’élaborer, Marx a dû débarrasser la science de l’histoire de l’idéalisme qui l’entachait, et qui voyait dans les idées la force motrice de l’histoire. Marx démontre au contraire que les idées religieuses, artistiques, philosophiques et politiques d’une époque donnée découlent, en dernière analyse, des conditions matérielles de celle-ci. En effet, avant de penser, l’homme doit manger, se loger, s’habiller, et assouvir toutes sortes de besoins matériels, si bien que les conditions suivant lesquelles ces besoins sont satisfaits conditionnent la pensée des hommes, leurs croyances, etc...
Marx explique encore que la marche de l’histoire est déterminée, en dernière instance, par le développement des forces productives. Les rapports de production - ou rapports de classe - d’une époque donnée, correspondent à un certain niveau de développement de ces forces productives. Lorsqu’elles deviennent trop puissantes pour l’organisation sociale dans laquelle elles ont grandi, c’est-à-dire lorsque les rapports de productions deviennent un obstacle à leur essor, le renversement de cette organisation sociale devient nécessaire. La classe dominante voit sa position contestée par une classe dont la domination permettrait une croissance supérieure des forces productives. Ainsi, au Moyen Age, la montée en puissance du mode de production capitaliste a fini par se heurter aux rapports de production féodaux. L’aristocratie est devenue une classe parasitaire : sa domination freinait le développement de l’économie.
Le renversement de l’aristocratie féodale par la classe capitaliste a ouvert la voie à une extraordinaire croissance des moyens de production. Le capitalisme a entraîné dans ses sillons les pays des quatre coins de la planète, a constitué un marché mondial et a concentré entre les mains d’un groupe toujours plus restreint de privilégiés un appareil industriel colossal. Tellement colossal que, désormais, c’est au tour du capitalisme de constituer un obstacle historique au développement de l’économie. La classe capitaliste est à son tour devenue une classe parasitaire, qui ne peut se maintenir au sommet de la société qu’au prix de crises économiques, de guerres, et d’un appauvrissement de la grande majorité de la population mondiale.
Les lois de l’évolution du capitalisme sont exposées dans Le Capital. Marx y démontre qu’en vertu de ces lois mêmes, le capitalisme est historiquement condamné à céder la place à un système social fondé sur la propriété collective des moyens de production : le socialisme. En libérant les gigantesques forces productives développées par le capitalisme, en les plaçant sous le contrôle démocratique des travailleurs, et en les intégrant dans un plan de production rationnel et équilibré, le socialisme ouvrira la perspective d’une élévation constante et générale du niveau de vie de l’humanité. Encore faut-il préciser que, selon Marx, le capitalisme ne peut s’effondrer de lui-même. Le pourrissement historique du capitalisme n’est pas encore son abolition. Celle-ci ne peut être que l’œuvre consciente de la classe des salariés, qui doit se doter d’organisations politiques et syndicales à la hauteur de cette mission historique.
Marx a consacré sa vie à la cause socialiste. Son génie, il l’a mis tout entier au service de la classe ouvrière. Comme l’écrivait son gendre et collaborateur Paul Lafargue, Marx "n’écrivait que dans l’intention bien arrêtée de faire largement connaître le résultat de ses recherches et avec la ferme volonté de donner une base scientifique au mouvement socialiste qui, jusque-là, errait dans les brumes de l’utopie. Il ne se produisait en public que pour aider au triomphe de la classe ouvrière."
Or que dire, aujourd’hui, de ceux qui dominent les organisations politiques du salariat ! Ils ont non seulement renoncé à renverser le capitalisme, mais ils ne répugnent même pas à faire le travail des capitalistes lorsqu’ils accèdent au pouvoir. A l’inverse de Marx, qui a sacrifié au mouvement socialiste sa santé et la brillante carrière à laquelle son intelligence le destinait, nos dirigeants pensent plus à leur propre sort qu’à celui de ceux qu’ils sont censés défendre. Ils agissent suivant la formule : "Pour l’émancipation des travailleurs - un par un, en commençant par moi-même !" C’est là un obstacle considérable pour le mouvement socialiste et communiste, un obstacle que nous pouvons et devons lever. L’échec du réformisme prépare le terrain à la redécouverte des idées du marxisme. Dans leur lutte contre le capitalisme, les jeunes et les travailleurs ne peuvent trouver meilleure arme.