Le score important du FN aux élections européennes – et de l’extrême droite dans d’autres pays d’Europe – a provoqué à juste titre une vague d’indignation dans la jeunesse en France. La semaine suivante, des manifestations souvent spontanées de plusieurs milliers de lycéens et étudiants ont eu lieu dans plusieurs grandes villes, dont Paris.
Les médias dominants ont cherché à ridiculiser ces rassemblements, dont l’importance n’atteignait certes pas les mobilisations massives d’avril-mai 2002, lors de la qualification de Jean-Marie Le Pen au second tour de l’élection présidentielle. Ainsi, en l’espace de dix ans, le FN se serait « normalisé » ? Il n’en est rien. L’acharnement des « observateurs » au service de la classe dominante à minimiser l’ampleur des mobilisations des jeunes anti-FN est déjà la preuve qu’ils redoutent l’émergence d’un mouvement liant les jeunes et les organisations de travailleurs contre l’extrême droite. C’est en cela que résidait la force du mouvement de 2002. Ce potentiel existe toujours – et d’autant plus avec la crise majeure du capitalisme qui sévit depuis 2008.
Les « marches citoyennes contre le F-Haine » étaient en partie issues d’appels individuels lancés via les réseaux sociaux, comme à Marseille par exemple, ce qui prouve le potentiel de colère spontanée à l’égard du FN qui couve toujours dans la jeunesse. Elle rejette toutes les formes d’inégalités, comme l’ont montré les magnifiques mobilisations massives contre les expulsions des lycéens Leonarda et Khatchik, à l’automne 2013. Du fait de sa xénophobie et de ses liens historiques avec le fascisme, le FN est perçu à juste titre par une majorité de jeunes comme un ennemi particulièrement dangereux et qui nécessite une vigilance constante.
Progression électorale
Le FN a nettement progressé aux élections présidentielles de 2012, par rapport à celles de 2007. Il a aussi progressé aux élections municipales et aux européennes de cette année, par rapport à 2009. Les médias bourgeois relaient avec complaisance ses campagnes nationalistes, pour mettre en exergue tout ce qui peut diviser la population sur des bases ethniques ou religieuses. Des éléments du programme du FN sont discutés et parfois appliqués par les pouvoirs en place : par l’UMP bien sûr, mais aussi par le PS au gouvernement, comme le prouve son acharnement contre les Roms, par exemple. L’influence du FN croît également dans certains secteurs de l’Etat, comme la police.
Mais au-delà de ces relais dont il dispose dans la société « officielle », le facteur principal de la progression du FN reste la crise économique et ses conséquences depuis 30 ans : chômage de masse, absence de perspectives et délitement de la société. Depuis la crise mondiale de 2008, la violence sociale provoque une rupture dans la population vis-à-vis de l’ordre établi. Le FN représente une tentative de détourner cette colère vers la droite, au profit d’un système capitaliste qu’il fait mine de critiquer sans jamais le remettre fondamentalement en cause. Sa démagogie « sociale » vient combler l’absence, à gauche, d’une alternative crédible au capitalisme. Il n’est pas étonnant, dès lors, que le FN réalise une percée significative parmi les catégories les plus durement touchées par la crise : la jeunesse, les ouvriers et les employés.
Cependant, ces catégories se sont surtout réfugiées dans l’abstention. Le FN ne peut pas capter toute la colère des jeunes et des travailleurs. Il ne profite qu’en partie du dégoût général à l’égard de la caste politique et du « système » qui la nourrit. Toutefois, le spectacle continu des scandales de corruption et la déconnexion des réalités sociales de cette caste politique pourraient continuer de favoriser l’ascension du FN.
Fascisme ?
Est-ce qu’on peut pour autant parler d’un « danger fasciste » imminent ? Pour les marxistes, le fascisme désigne une autre réalité, celle d’un parti armé et d’un gouvernement de guerre civile dont le but est la destruction complète des organisations des travailleurs. Malgré ses liens avec les groupuscules fascistes, le FN se propose avant tout de prendre et d’exercer le pouvoir dans le cadre des formes classiques de la démocratie bourgeoise – ce qui ne va pas sans contradictions, d’ailleurs, comme l’attestent les dissensions internes autour de J.M Le Pen.
La grande majorité des capitalistes français rejettent les options protectionnistes du programme économique du FN. Surtout, ils craignent que l’arrivée du FN au pouvoir, à ce stade, ne provoque une explosion de la lutte des classes – à l’image des mouvements de masse engendrés par l’ascension des fascistes d’Aube Dorée, en Grèce.
Dans la période à venir, le FN continuera de jouer sa propre partition : diviser les travailleurs entre eux – et conspuer démagogiquement le reste de la classe politique. Aussi faut-il le combattre particulièrement. Mais cette lutte doit être à la hauteur des enjeux. Elle ne peut être déléguée ni aux institutions de l’État (police, magistrature ou partis de la classe dirigeante discrédités), ni à des groupes restreints « d’avant-garde » coupés de la masse des jeunes et des salariés. Les mobilisations spontanées contre le FN montrent le potentiel. Il faut passer à un niveau d’organisation supérieur, par exemple à travers des comités de lutte et de mobilisation contre le FN, en lien avec les organisations politiques et syndicales des jeunes. La colère spontanée exprimée par la jeunesse lors des dernières manifestations trouverait là un instrument à la hauteur de l’enjeu : la lutte contre le FN doit faire partie intégrante de la lutte contre le système capitaliste qui le nourrit et que le FN défend comme un véritable « chien de garde » !