La démission de Jérôme Cahuzac, pris dans la nasse de sa propre duplicité, a fourni l’occasion d’attaques virulentes de la part de la droite. L’hypocrisie de Cahuzac est une mince affaire à côté de celle des meneurs de cette offensive. Il serait intéressant de savoir où ils planquent leur argent, tous ces députés de droite qui réclamaient la dissolution du parlement ! N’oublions pas que Sarkozy et l’ensemble de l’UMP voulaient amnistier tous les grands fraudeurs fiscaux ! Sous le règne de Sarkozy, bien des « affaires » semblables – ou encore plus graves – ont éclaté au grand jour, dont certaines concernaient Sarkozy lui-même.
Le tintamarre de la droite à cette occasion, c’est une chose. Mais de notre point de vue, les affaires comme celles de Cahuzac ou de Strauss-Kahn avant lui ne sont que les symptômes d’un problème plus profond. Ces exemples de corruption personnelle sont l’une des facettes de la corruption politique des sommets du Parti Socialiste, de leur adaptation au système capitaliste non seulement en termes d’idées politiques, mais aussi dans leur mode de vie et leurs valeurs. Du fait de leur milieu social, de leurs fréquentations, du prestige et des avantages matériels que leur procure leur position dans les institutions et de toute l’ambiance morale qui va avec, ils finissent par accepter l’ordre capitaliste comme un ordre naturel – et fort bénéfique ! – des choses, au point qu’en luttant contre le système, ils auraient l’impression de lutter contre eux-mêmes. Du coup, du « socialisme », il ne leur reste que le titre. Et bien des dirigeants socialistes – comme Manuel Valls, par exemple – voudraient même se débarrasser de cette étiquette encombrante !
Derrière la faute morale reprochée à Cahuzac, il y a la faute du Parti Socialiste qui a confié la direction du parti à des éléments aussi éloignés de la classe ouvrière et des idées du socialisme. Se sentant à l’aise parmi les capitalistes, convaincus de l’efficacité de l’« économie de marché » – c’est-à-dire du capitalisme –, ils n’ont qu’un pas de plus à faire pour se comporter comme les capitalistes eux-mêmes. Après tout, si sur le plan « moral » on parvient à se réconcilier avec un système fondé sur l’avidité capitaliste, si l’on considère qu’il est normal de s’enrichir par l’exploitation d’autrui, si l’on se refuse, malgré plusieurs millions de chômeurs et la pauvreté grandissante, à lever ne serait-ce qu’un petit doigt contre la propriété capitaliste, pourquoi se priverait-on des avantages des « paradis fiscaux » ? Si ces « paradis » existent, c’est qu’ils sont bien utiles aux capitalistes, dont le seul but est de s’enrichir le plus possible. Et pour le ministre « socialiste » du budget, le fait que les travailleurs endettés auprès du Trésor Public soient persécutés, que leurs comptes bancaires soient bloqués et leurs biens saisis, n’était certainement pas une raison pour ne pas en profiter. A chacun son monde !
Les problèmes de l’arrivisme et de la corruption ne sont pas nouveaux. En 1871, la Commune de Paris avait décrété que les représentants du peuple devraient vivre comme le peuple, fixant leur rémunération au niveau de celle des travailleurs. Les privilèges des hauts fonctionnaires de l’Etat furent abolis. L’un des membres du Comité Central de la Garde Nationale, un certain Moreau, a déclaré que lorsqu’on représente le peuple, il est immoral de s’allouer un traitement quelconque. « Nous avons jusqu’ici vécu avec nos trente sous, disait-il, et ils nous suffiront encore ». En annonçant les élections à la Commune, le Comité Central avait donné la consigne suivante au peuple de Paris : « Ne perdez pas de vue que les hommes qui vous serviront le mieux sont ceux que vous choisirez parmi vous, vivant votre propre vie, souffrant des mêmes maux. Défiez-vous des ambitieux et des parvenus [...] Défiez-vous des parleurs, incapables de passer à l’action [...] ».
Cet esprit démocratique et authentiquement révolutionnaire n’a rien perdu de sa pertinence. A la différence de la Commune de 1871, la Ve République est corrompue jusqu’à la moelle. Au Parti Socialiste, espérons que les affaires comme celles de Strauss-Kahn ou de Cahuzac inciteront les militants à regarder de beaucoup plus près les idées politiques, les ambitions et les intérêts de ceux qui occupent les postes dirigeants. Au Parti Communiste, par une tradition qui se rattache à la Commune et à la révolution russe, il est attendu que les élus reversent leurs indemnités au parti et ne conservent que les moyens de vivre correctement. Cette tradition a servi à limiter les influences corruptrices qui ont gangrené le PS. Mais la règle n’est pas toujours respectée. Au 36e congrès et dans de nombreux congrès fédéraux, des militants se sont plaints de l’arrivisme de certains élus. Au congrès national, une déléguée a demandé que les élus communistes qui se servent de leurs mandats pour s’enrichir ne puissent plus représenter le parti aux élections suivantes. C’est ainsi, et non par de simples « déclarations de patrimoine », que des partis qui prétendent défendre les intérêts des travailleurs peuvent s’assainir moralement et politiquement.