La question des alliances et de la stratégie électorales occupe une place importante dans les discussions au sein des sections du PCF. Il ne s’agit pas d’une question nouvelle ; mais le recul électoral et organisationnel du parti, et en particulier son échec aux présidentielles et aux législatives de 2002, après 5 ans de participation gouvernementale, lui a conféré un caractère nettement plus aigu dans l’esprit des militants. Au cœur de ces interrogations se trouvent deux points essentiels : celui de l’opportunité de nouveaux accords électoraux avec le PS, et celui de la participation du PCF à un futur gouvernement de gauche.
Face à ceux qui sont favorables à un renouvellement des accords avec le PS, d’autres militants sont tentés par l’idée de la création d’un « pôle anti-capitaliste », ce qui signifierait, concrètement, la conclusion d’accords électoraux soit avec l’extrême-gauche, et notamment avec LO et la LCR, soit avec d’autres formations dites « alternatives », ou « citoyennes », etc. C’est là une réaction tout à fait compréhensible à l’orientation qui, pour reprendre la formule de Marie-George Buffet, allait de « compromis en compromis » et de « renoncement en renoncement » au nom du partenariat avec la direction du PS, au point que le parti, indépendamment de son programme et de ses priorités propres, en était réduit au rôle de « cinquième roue » du carrosse social-démocrate.
Cette orientation a été poussée à l’extrême sous la direction de Robert Hue, qui est allé jusqu’à se déclarer favorable à « l’économie de marché » - à condition, expliquait-il, que celle-ci soit « à dominante sociale » - et même aux privatisations. Il ne s’agissait pas seulement de paroles en l’air, car le gouvernement Jospin, dans lequel le PCF avait des ministres, a massivement privatisé. C’est largement en réaction à cette politique qu’une partie non négligeable des militants du parti s’oppose désormais au renouvellement des alliances avec le PS et exclut d’avance toute nouvelle participation au gouvernement. Certains d’entre eux, prenant exemple sur la démarche de la LCR et LO, vont même jusqu’à s’opposer à tout désistement ou consigne de vote en faveur du PS aux deuxièmes tours des scrutins.
En tournant le dos au PS à la faveur d’alliances avec des formations apparemment plus « radicales » et « anti-capitalistes », les camarades en question cherchent une solution à un problème bien réel. Cependant, La Riposte considère que la stratégie envisagée par ces camarades n’est pas la bonne. Au contraire, à notre avis, si jamais elle était adoptée, elle créerait bien plus de problèmes qu’elle n’en résoudrait.
Le score électoral relativement important de l’alliance LO-LCR aux présidentielles a certainement favorisé l’idée d’un « pôle anti-capitaliste ». Cependant, cette « percée » s’est avérée tout à fait éphémère. Aux régionales et aux européennes, le score du tandem LO-LCR est revenu à son niveau d’avant 1997. Le vote élevé de l’extrême gauche, en 2002, était dû à la volonté d’une fraction significative de l’électorat socialiste et communiste d’envoyer un signal aux directions de ces partis. Ces électeurs revendiquaient une politique plus à gauche que celle qui avait été mise en pratique depuis 1997, et se sont payés ce « luxe » en pensant qu’ils pouvaient toujours rallier le candidat socialiste au deuxième tour. On sait ce qu’il en a été. L’éclatement des voix de gauche au premier tour nous a laissé avec deux candidats de droite au deuxième. La leçon apprise, le « vote de protestation » en faveur de l’extrême-gauche est retombé comme un soufflet aux scrutins suivants.
Les régionales ont fourni une nouvelle illustration des réserves sociales et électorales colossales du Parti Socialiste. Les organisations dites d’extrême-gauche sont apparemment incapables de comprendre ce phénomène. Toute leur histoire est marquée par une sorte de réflexe pavlovien consistant à enterrer prématurément le PS à chaque fois qu’il enregistre un revers électoral. Or, les communistes, eux, se doivent de ne pas tomber dans la même « logique » gauchiste. Si le PS, malgré son réformisme et malgré le caractère pro-capitaliste de sa direction, conserve une base sociale et électorale si importante, c’est parce qu’il repose sur la masse du salariat, dont le niveau de conscience politique est, à ce stade, également réformiste.
Il est vrai que les idées et les propositions de la direction du PS ne suscitent pas d’enthousiasme chez les travailleurs. En vérité, le programme du PS n’est même pas sérieusement réformiste. Il ne propose pratiquement aucune mesure susceptible d’améliorer concrètement le quotidien des travailleurs, des jeunes ou des retraités. Mais face à la nécessité d’infliger une défaite à aux représentants directs du capitalisme que sont les partis de droite, il faut une alternative « de masse » que seul le PS peut offrir. Par conséquent, le PS ne disparaîtra pas. Qu’on le veuille ou non, il est le parti principal du salariat et il le restera longtemps. Combien de temps, exactement ? Cela dépendra avant tout du programme et de la stratégie qu’adoptera le PCF dans la période à venir.
Le programme du parti
Nous avons dit que la question de la stratégie électorale du parti occupe une place importante dans les préoccupations des militants. A vrai dire, elle occupe une place trop importante par rapport à celle du programme du parti, car c’est dans celui-ci que réside la clé de son avenir. Il ne faut pas trop demander à une stratégie, quelle qu’elle soit.
La direction nationale du parti dénonce les effets du capitalisme : chômage, précarité, régression sociale, racisme, inégalités, guerres, etc. Si on met de côté cet aspect de son travail -sans aucun doute nécessaire, mais qui ne constitue pas un programme - que propose, au juste, la direction nationale du parti face à la puissance des banques et des grandes entreprises qui dominent l’économie ? Quelle est véritablement cette « autre politique » qu’elle réclame à cor et à cri ? Si l’on se réfère au texte d’orientation du dernier congrès ou aux interviews et discours des dirigeants, il faut malheureusement reconnaître que le programme social et économique du parti ne va pas plus loin qu’un ensemble de mesures financières se voulant incitatives (subventions, aides publiques) ou punitives (taxes et amendes), et qui sont supposées « réorienter » l’investissement vers la satisfaction des besoins. Pratiquement aucune nationalisation n’est revendiquée. Aucune mesure qui porterait réellement atteinte au pouvoir des capitalistes n’est présentée. Disons les choses clairement : si le programme du parti demeure ce qu’il est, aucune alliance et aucune stratégie ne parviendra à le sortir durablement de ses difficultés.
Malgré les différences entre le programme du PS et celui du PCF, lorsque les travailleurs doivent choisir entre deux programmes essentiellement réformistes, c’est celui du parti le plus grand, le plus « pratique » et le plus « accessible » qui l’emporte. Autrement dit, pour redresser le rapport de force entre le PS et le PCF en faveur de ce dernier, le PCF doit se doter de toute urgence d’un programme qui le distingue nettement du réformisme insipide des Hollande, Fabius et Strauss-Kahn. La solution est à chercher dans le programme du parti, et non dans l’adoption d’une simple posture radicale du type « plus jamais d’accords avec le PS, plus jamais de désistement en faveur du PS, plus jamais de participation gouvernementale, etc. », qui ne résoudrait strictement rien.
Revenons maintenant à la question des alliances électorales. Pour La Riposte, la question de l’élaboration de listes communes avec le PS (pour les municipales ou législatives) n’est pas et ne peut pas être une question de principe. Evidemment, la situation dans laquelle se trouvent les communistes varie considérablement d’une circonscription à une autre. Par conséquent, l’opportunité ou non d’une liste commune ne peut se décider qu’en fonction des circonstances locales. Dans le cas où le PCF se présenterait seul au premier tour, nous ne voyons aucun inconvénient à ce que les groupements ou individus qui se qualifient d’« alternatifs » ou les formations d’extrême-gauche veuillent apporter leur soutien aux candidats communistes. Cependant, si jamais les communistes devaient s’engager, pour obtenir ce soutien, à ne pas soutenir le candidat socialiste face à la droite au deuxième tour, alors ils se rendraient coupables - dans les faits et aux yeux de l’électorat de gauche - de favoriser directement les candidats de droite. Si la conclusion d’une liste commune avec le PS au premier tour peut être considérée comme une option à prendre ou à laisser, la mobilisation du PCF en faveur de candidats socialistes qui se trouvent face à la droite au deuxième tour devrait être systématique.
Ce n’est pas tellement l’alliance avec le PS qui est en cause chez les militants du PCF, mais l’exploitation qui en a été faite au sein du parti. Ce qui a exaspéré certains militants au point de les inciter à refuser tout soutien quel qu’il soit au Parti Socialiste, c’est que le « partenariat » avec le PS a trop souvent servi de prétexte à une dilution du contenu revendicatif de la politique du PCF : « Les communistes ne sont pas seuls. On ne fait pas ce qu’on veut ... » Qui n’a pas entendu ce refrain pour justifier le fait d’accepter l’inacceptable ? C’était le cas pour les privatisations à l’époque du gouvernement Jospin, par exemple.
Le PCF a besoin d’un programme qui le distingue nettement du réformisme insipide du PS, et non d’une simple posture radicale
Beaucoup de militants ne veulent jamais revivre cela, et ils ont tout à fait raison. Si les dirigeants du parti retournaient sur les bancs ministériels d’un gouvernement de gauche pour privatiser et pour gérer le capitalisme, comme ils l’ont fait entre 1997 et 2002, ils plongeraient le parti dans une crise profonde. Mais il n’en découle pas pour autant que le PCF doive déclarer d’avance qu’il ne participera plus jamais à un gouvernement de gauche où les socialistes seront majoritaires. Le PCF devrait plutôt expliquer à l’électorat de gauche - y compris aux électeurs et aux adhérents du Parti Socialiste - qu’il serait disposé à participer au gouvernement avec les socialistes sur la base d’un programme de mesures décisives contre le capitalisme. En s’appuyant sur l’expérience concrète de la dernière période, avec faits, chiffres et arguments à l’appui, il devrait démontrer que toute nouvelle tentative de résoudre les problèmes sociaux dans le cadre du capitalisme et de la loi du profit se soldera nécessairement par un nouvel échec.
Cette approche ne sera efficace, cependant, que si elle va de pair avec une campagne vigoureuse autour d’un programme réellement communiste. Nous devons revendiquer l’intégration dans le programme du parti de la nationalisation, sous le contrôle démocratique des travailleurs, de toutes les banques sans exception, de toutes les grandes entreprises industrielles et de toutes les grandes chaînes de distribution. Le socialisme ne signifie pas la nationalisation des petites entreprises, des cafés et des boulangeries, mais les communistes doivent expliquer inlassablement que l’épine dorsale de l’économie nationale doit être arrachée des mains des capitalistes et placée fermement dans le domaine public et sous le contrôle démocratique du salariat. De cette manière, et seulement de cette manière, un futur gouvernement de gauche pourrait se donner les moyens d’un vaste programme de réforme sociale, dont une réduction de la semaine du travail, une augmentation des salaires, un emploi garanti pour tous, ainsi que la provision des ressources financières nécessaires à des services sociaux de qualité et accessibles à tous.
Les dirigeants actuels du Parti Socialiste, bien sûr, n’accepteront pas ce programme. Ils répondront qu’avec de telles exigences, il vaut mieux que le PCF reste en dehors du gouvernement. Mais dès lors que les socialistes au gouvernement se comporteraient exactement comme les communistes l’auraient prévu, le PCF gagnerait en autorité et en soutien auprès des travailleurs et des jeunes, qui verraient que les communistes avaient vu juste et les avaient prévenus. Cette approche aurait également un effet positif sur les militants de base du Parti Socialiste, créant ainsi des difficultés pour la droite du PS sur tous les fronts.
Ceux qui veulent enterrer le PCF se trompent. Ses résultats aux régionales et aux européennes n’indiquent pas forcément un renversement de tendance, mais ils marquent au moins un arrêt par rapport à la dégringolade précédente. Les causes profondes du recul du PCF résident dans les erreurs et insuffisances qui n’ont pas permis au parti de se démarquer clairement de la politique défendue par la direction du PS. La crédibilité du parti a été minée, aussi, par le fait d’avoir fait l’apologie, pendant plusieurs décennies, des régimes dictatoriaux en URSS et dans les pays de l’Est.
Mais tout ceci ne signifie pas, comme le prétendent les « analystes » préférés des médias, que le PCF est en phase terminale d’un quelconque « déclin historique ». En réalité, les résultats électoraux obtenus par le PCF sont bien en dessous de son véritable potentiel. Réaliser ce potentiel en ouvrant la perspective d’une société véritablement socialiste et démocratique, voilà ce que doit être l’objectif de tous les communistes dans les mois et les années à venir.