2024 est une année record pour Dassault Aviation, avec un carnet de commandes de 507 Rafales, dont 273 à l’exportation. De manière générale, l’industrie de l’armement est aujourd’hui un des seuls secteurs en France dont le montant des exportations dépasse celui des importations. L’industrie française de l’armement reste pourtant liée à l’impérialisme français dont le déclin historique n’a fait que s’accélérer ces dernières années.
Une industrie entretenue par l’Etat bourgeois
C’est au XIXe siècle que l’impérialisme français s’est doté, pour défendre ses positions, d’un véritable complexe militaro-industriel contrôlé en partie directement par l’Etat. Après 1945, alors que s’amorce la décolonisation, l’appareil d’Etat a encore renforcé son lien avec l’industrie militaire, pour défendre ses intérêts impérialistes sans dépendre des Etats-Unis. En 1961, De Gaulle crée ainsi la Direction Générale de l’Armement (DGA), qui est chargée de superviser les programmes industriels, mais aussi de favoriser les exportations d’armes françaises.
L’industrie militaire française est marquée par une profonde contradiction : la demande des forces armées françaises est trop faible pour suffire à inciter les industriels du secteur à investir suffisamment dans la production. Le secteur est donc particulièrement dépendant de ses exportations, pour lesquelles les fonctionnaires de la DGA jouent les représentants de commerce.
Cette contradiction s’est accentuée dans les années 1990, lorsque la fin de la guerre froide et la suppression de la conscription ont beaucoup réduit les besoins de l’armée française. Les manufactures d’armes ont été privatisées en 1990 et ont drastiquement réduit leur force de travail et leurs capacités de production : de 18 000 salariés en 1982, les manufactures d’armes sont passées à 6200 en 2002.
Depuis 2008, la crise du capitalisme et la contraction des marchés provoquent une accentuation de la lutte entre les puissances impérialistes. Les guerres se multiplient. Cela a permis aux grands groupes français – comme Airbus Defence and Space, Thales ou Dassault Aviation – de réaliser des profits records.
Entre 2015 et 2022, la France a par exemple livré plus de 21 milliards d’euros de matériel militaire à l’Arabie Saoudite et aux Emirats Arabes Unis alors même que ces deux pays menaient contre le Yémen une guerre sanglante, qui a fait plus de 377 000 morts et exposé 14 millions de personnes à la famine. En juin dernier, l’ONG Disclose a révélé que durant les premiers mois de 2024, Thales a envoyé en Israël des pièces détachées pour des drones servant à bombarder la bande de Gaza. Entre 2019 et 2023, les exportations d’armes françaises ont bondi de 47 %. 34 % de ces exportations sont destinées au Moyen-Orient, ravagé par une succession de guerres.
Le déclin de l’impérialisme français
Malgré ces « succès », l’industrie française de l’armement reste intrinsèquement liée à l’impérialisme français, qui est entré dans un déclin accéléré ces dernières années. Alors que les rivalités impérialistes s’intensifient, l’impérialisme français manque de plus en plus des capacités industrielles militaires suffisantes pour pouvoir défendre seul les positions qu’il lui reste. En 2022, Macron déclarait que la France devait entrer « en économie de guerre », une formule « choc » adressée aux marchands d’armes pour les convaincre d’investir dans la production.
Pourtant, malgré les appels répétés du gouvernement, les investissements privés restent prudents. Ces dernières années, seule une usine nouvelle (de poudre pour obus) a été ouverte, et encore a-t-elle été entièrement pilotée par une entreprise publique, Eurenco, et financée par des subventions de l’Etat et de l’UE.
En effet, si la guerre en Ukraine a favorisé la demande, avec l’envoi de 3 milliards d’euros d’équipement militaire français, cela ne signifie pas pour autant que les industriels privés soient prêts à investir massivement dans la mise sur pied de nouvelles chaînes de production, qui seront condamnées à tourner à bas régime lorsque la guerre sera terminée.
Pour pallier ces difficultés et tenter de mutualiser les investissements et les dépenses, l’impérialisme français a tenté de se rapprocher de l’Allemagne. Deux projets franco-allemands ont été annoncés à grands cris : le SCAF, un nouvel avion remplaçant du Rafale et de l’Eurofighter ; et le SPCT, un char de combat successeur du Leclerc français et du Léopard allemand.
Mais ces projets sont aujourd’hui au point mort, notamment à cause des intérêts divergents entre les industriels des deux côtés du Rhin. Tandis que la France ne produit par exemple plus de chars Leclerc, l’entreprise allemande Rheinmetall multiplie les contrats d’exportation du char Leopard 2, qu’elle fabrique toujours et pour lequel elle a déjà prévu son propre remplaçant, le Panther KF51. Ses patrons ne voient donc pas pourquoi ils devraient partager leur savoir-faire et leurs profits avec leurs rivaux français.
Le complexe militaro-industriel est massivement arrosé d’argent public, qui passe directement dans les poches des actionnaires, pendant que les coupes budgétaires frappent les hôpitaux, les écoles et tous les services publics. Les géants de l’armement devraient être nationalisés et placés sous le contrôle démocratique des travailleurs, pour que leur production soit réorientée et que les compétences de leurs salariés servent les besoins de la population – et non les profits d’une poignée de parasites aux mains couvertes de sang.