Le lundi 10 décembre, en plein débat sur la possible « nationalisation temporaire » d’Arcelor-Mittal, à Florange, le Conseil Général de l’Eure a voté la reprise du site de pâte à papier d’Alizay (ex M-Réal), qui était menacé de fermeture depuis plusieurs années. Le département se porte acquéreur du site – avant de le revendre à deux investisseurs. Cela vient après trois ans de lutte acharnée des salariés et de l’intersyndicale CGT/CFE-CGC pour sauver l’usine. Un collectif pour la sauvegarde du site avait aussi été fondé en 2009. Les militants communistes impliqués dans ce collectif y ont joué un rôle essentiel pour porter au plus haut niveau cette lutte, proposer des solutions alternatives avec des données chiffrées prouvant la crédibilité des revendications des travailleurs.
Cette histoire a commencé en 2006, suite à un premier plan social, suivi d’un deuxième en 2009, et l’annonce d’une probable fermeture du site de 330 salariés, auxquels il faut ajouter 210 sous-traitants. Pour justifier la fermeture du site, le patron, Metsälutto, annonçait une situation déficitaire. Or il n’en était rien : les bénéfices de 2011 avoisinaient les 200 millions d’euros et faisaient du site d’Alizay le plus rentable d’Europe. Ce qui motivait l’actionnaire finlandais, c’était la réduction de la production suite à une entente illicite avec les entreprises papetières UPM et Stora-Enso, afin de maintenir les prix relativement élevés en Europe, chacun s’occupant de sa spécialité – sorte de cartel monopoliste. De fait, Metsälutto voulait fermer le site et surtout bloquer toute possibilité de reprise afin de limiter la concurrence.
Lors de la campagne présidentielle, de nombreux candidats sont venus rencontrer les salariés de M-Réal. Lors de sa visite du 14 février 2012, François Hollande avait promis de défendre leur lutte en faisant une proposition de loi interdisant la fermeture d’un site rentable. Ce projet de loi a été effectivement déposé au parlement le 28 février de la même année – et rejeté par la droite, alors majoritaire. Cependant, maintenant que le PS dispose d’une majorité absolue, il n’a pas voté cette loi, de peur de contrarier le MEDEF, qui l’avait qualifiée à l’époque d’« atteinte fondamentale au droit de propriété privée ». François Hollande a choisi son camp : incapable de faire face à la pression patronale, il conforme sa politique aux nécessités de l’économie de marché capitaliste.
La reprise du site par un industriel thaïlandais, Double A, pour la partie papier, et Neoen, filiale du groupe Direct Energie, pour la partie énergie, permettra dans un premier temps d’embaucher 150 à 200 personnes. Les salariés licenciés au mois d’avril seront prioritaires. Puis l’embauche sera étendue à 250 salariés, au total.
La décision du Conseil Général de l’Eure est évidemment considérée comme une victoire par les salariés, car débouche sur une reprise d’activité après une longue lutte. Mais elle n’est pas une solution définitive. Délégué CGT du site, Thierry Philippot prévient : « On n’est pas au bout du bout. Quelle sera la politique de recrutement ? Quid des sous-traitants ? Demain, on devra encore être tous ensemble ». De fait, l’outil productif est passé des mains de capitalistes vers des mains d’autres capitalistes. Le département n’a joué que le rôle d’intermédiaire, déboursant au passage 22 millions d’euros. Les nouveaux propriétaires du site chercheront à en tirer un maximum de profits. Et dès qu’ils les jugeront insuffisamment rentables, les emplois seront de nouveau menacés. Alors, c’est la nécessité d’une nationalisation définitive du site qui sera posée.