Des conférences régionales du PCF vont prochainement se tenir, dans tout le pays, pour discuter du programme et de la stratégie du parti lors des élections régionales de décembre prochain. Le 10 juin, le Conseil National du PCF a adopté une résolution sur ce thème ; la direction du Parti de Gauche a fait de même. Le débat sur ces élections s’est engagé au sein du Front de Gauche. Révolution souhaite y contribuer par les idées et les propositions suivantes.
La faillite du PS
Comme tous les scrutins depuis 2012, celui de décembre prochain aura un caractère éminemment national : la plupart des électeurs se mobiliseront – ou s’abstiendront – en réaction à la crise économique qui frappe le pays, à ses graves conséquences sociales et à la politique réactionnaire que mène le gouvernement « socialiste ». Pendant la campagne électorale, la droite et le FN feront assaut de démagogie pour canaliser, électoralement, la colère et la frustration de millions de jeunes, travailleurs, chômeurs et retraités. Cependant, nombre d’entre eux tourneront le dos à tous les partis, une fois de plus : ils s’abstiendront, autrement dit rejetteront l’ensemble du système politique actuel.
Le Parti Socialiste se dirige tout droit vers une nouvelle et inévitable déroute électorale. Ses dirigeants le savent bien, mais rien ne peut les détourner de ce qu’ils considèrent comme leur mission suprême : la sauvegarde du capitalisme français, c’est-à-dire des marges de profits des « 200 familles » qui contrôlent les grands leviers de l’économie et continuent de s’enrichir sur le dos des masses. Ainsi, au lendemain d’un congrès du PS acquis à la politique du gouvernement, Manuel Valls a trouvé la solution au problème du chômage : pour aider le patronat à embaucher, il faut l’aider à licencier. La loi Macron a été « enrichie » dans ce sens. Le Medef s’émerveille et en redemande.
Le Front de Gauche
Ces trois dernières années, le rejet massif du PS aurait pu et dû s’accompagner d’une nette progression du Front de Gauche. Or il n’en a rien été. Lors des derniers scrutins, les millions de voix perdues par le PS ne se sont pas portées sur le Front de Gauche – ou très marginalement. Nous avons analysé dans le détail les raisons de cette stagnation électorale du Front de Gauche, et même de son reflux par rapport à la présidentielle de 2012. On sait le rôle négatif qu’ont joué, entre autres, la division du Front de Gauche et les nombreuses alliances du PCF avec le PS au premier tour des élections municipales de mars 2014 [1]. Il faut absolument éviter de répéter cette erreur, qui est mortifère à la fois pour le PCF et le Front de Gauche. Aussi est-il indispensable que dans toutes les régions le PCF participe à des listes de premier tour concurrentes – et en opposition politique claire – aux listes du Parti Socialiste. Une seule exception à cette stratégie de premier tour nuirait à la crédibilité de l’ensemble du PCF et du Front de Gauche, car cela donnerait, une fois de plus, l’image d’alliances sans principes uniquement motivées par la conquête de sièges. Il s’agirait d’ailleurs exactement de cela.
Le PCF doit participer partout à des listes unitaires du Front de Gauche, sur la base d’un programme anti-austérité et anti-capitaliste clair, ainsi que d’un bilan critique implacable de la politique réactionnaire du gouvernement. On pourrait nous répondre : « mais il s’agit d’élections locales ; il faut donc avant tout défendre un programme local. » Oui, il faudra défendre un programme régional. Mais encore une fois, dans la conscience de la masse des électeurs, ces élections auront d’abord et avant tout une signification nationale. Le Front de Gauche doit donc profiter de cette campagne électorale pour se présenter comme une opposition et une alternative de gauche au gouvernement « socialiste ».
L’exemple de l’Espagne
Prenons l’exemple des récentes élections locales en Espagne. Les listes d’« Unité populaire » emmenées par Podemos y ont réalisé d’excellents résultats ; elles sont arrivées devant le PSOE dans la plupart des grandes villes. Les candidats de ces listes ont défendu un programme local. Mais ils ont aussi fait campagne contre la politique d’austérité du gouvernement du PP, contre la politique pro-capitaliste et pro-austérité du PSOE, contre la corruption du vieux système politique espagnol (PSOE compris), contre la « dictature des banquiers » – et pour une rupture nette avec l’ordre établi. Certes, le contenu programmatique de cette « rupture » manque encore de cohérence et de clarté. Mais les dirigeants de Podemos ont présenté ces élections locales comme une étape dans leur conquête du pouvoir au niveau national, comme un moyen de mobiliser les forces pour les élections législatives de décembre. C’est cette approche offensive des dirigeants de Podemos, combinée à un virage à gauche de leur discours, qui a permis la victoire éclatante des listes d’« Unité Populaire ».
Il y a bien sûr d’importantes différences entre l’Espagne et la France. En Espagne, la crise du capitalisme a provoqué des ravages sociaux encore plus profonds qu’en France – pour le moment. En outre, l’Espagne a connu ces dernières années plusieurs vagues de luttes massives dont Podemos est le prolongement politique. Mais le Front de Gauche ne doit pas attendre que des conditions objectives semblables se développent en France – et elles se développeront – pour se présenter comme une alternative de gauche au Parti Socialiste, c’est-à-dire comme une force qui aspire à prendre le pouvoir et transformer radicalement la société. Le Front de Gauche doit aborder les prochaines échéances électorales dans un état d’esprit conquérant, sur la base d’un programme de rupture complet avec l’ordre établi, les politiques d’austérité – et le PS qui en est l’actuel promoteur. Cela permettrait de rallier des millions de jeunes et de travailleurs qui, aujourd’hui, s’abstiennent de voter, c’est-à-dire rejettent le PS sans pour autant se tourner vers le Front de Gauche – du fait de ses divisions, de sa modération et de ses alliances sans principes avec le PS.
Pour l’unité du Front de Gauche
Dans plusieurs régions, les discussions engagées entre les deux principales forces du Front de Gauche – le PCF et le PG – se heurtent à des divergences qui menacent d’aboutir à la constitution de listes concurrentes au premier tour – le PG d’un côté, le PCF de l’autre. Ce serait, une fois de plus, la scission de facto du Front de Gauche et son discrédit auprès de tous ceux qui aspirent à l’émergence d’une puissante force à la gauche du PS.
Les « divergences » en question ont souvent leur source, non dans des questions de principe, mais dans des intérêts d’appareil – en l’occurrence des appareils locaux du PCF et du PG. On a déjà vécu ces divisions irresponsables lors des municipales de 2014. Les militants des organisations du Front de Gauche doivent tout faire pour empêcher que cela se reproduise. L’unité du Front de Gauche est la condition première de sa progression – et à vrai dire de son existence même. Sans cela, il ne serait plus qu’une étiquette discréditée.
Contre la participation aux exécutifs « socialistes »
Au lendemain des élections régionales de 2010, le PCF et le PG se sont divisés sur la question de la participation aux exécutifs régionaux dirigés par le PS. Le PG a refusé de participer aux exécutifs ; le PCF y a participé dans la plupart des régions. A présent, nombre de dirigeants nationaux et locaux du PCF font valoir leur « bon bilan » dans les régions et défendent une nouvelle participation du PCF aux exécutifs « socialistes » qui seront issus des élections de décembre.
Concernant le bilan des exécutifs sortant, la résolution du Conseil National du PCF explique : « Dans les régions dirigées par des majorités de gauche, les communistes avec leurs élu-e-s ont permis des avancées pour les populations que nous revendiquons dans le contexte actuel : un réseau ferré public œuvrant au désenclavement et défendant des politiques de tarification sociale, des espaces de gratuité ou de nouveaux droits ; des engagements conséquents dans la construction et la rénovation des lycées, le développement de la formation professionnelle incluant les publics défavorisés ; le soutien à l’innovation et la recherche, aux PME PMI et la création de politiques d’ESS [Economie Sociale et Solidaire] favorisant l’emploi de proximité ; la promotion de la culture du sport pour toutes et tous et de l’éducation populaire, l’avancement de politiques d’égalité entre les hommes et les femmes. »
Il est vrai que les élus du PCF ont tenté de pousser les Conseils Régionaux à prendre quelques mesures progressistes. Ils y sont même parvenus, parfois. Mais il est pour le moins problématique d’évoquer des « avancées pour les populations » dans des domaines où, à l’échelle nationale, sous l’impact de la crise et de la politique d’austérité du gouvernement, les populations subissent de nets reculs. Le réseau public ferré ? Il est rongé par une privatisation rampante, la hausse des tarifs, le manque d’investissements publics, la fermeture de gares, de lignes et de guichets, la dégradation des conditions de travail des cheminots. Les lycées ? Les syndicats tirent la sonnette d’alarme : classes surchargées, précarisation croissante du personnel, manque de moyens toujours plus criant. La formation professionnelle ? L’AFPA est attaquée, l’enseignement professionnel public miné par la promotion systématique de « l’apprentissage ». L’emploi « de proximité » ? Depuis juin 2012, le pays compte officiellement 1,3 million de chômeurs de plus.
Dans ce contexte, les victimes de la crise et de la régression sociale ne vont pas s’enthousiasmer pour les « avancées » que les élus communistes font valoir. Les militants communistes, sur le terrain, le savent bien : les travailleurs, les chômeurs et les retraités ne font pas de distinction entre les quelques « avancées » locales et la régression générale ; ils envoient souvent au diable tous les politiciens responsables de cette situation, à commencer par les dirigeants du PS. La conclusion est évidente : le PCF n’a aucun intérêt, politiquement, à siéger dans des exécutifs dirigés par le PS, c’est-à-dire par des élus « socialistes » locaux complètement acquis aux politiques d’austérité. Le PCF doit rompre de la façon la plus claire avec les dirigeants du PS, sur la base d’un programme de rupture avec le système capitaliste, d’un programme qui s’attaque aux causes fondamentales du chômage, de la pauvreté et de toutes les formes de régression sociale.
Enfin, relevons une « avancée pour la population » qui n’en est pas une. Dans la résolution du CN du PCF, elle est formulée dans ces termes : « soutien à l’innovation et la recherche, aux PME PMI ». En clair, il s’agit de l’argent public que les Conseils Régionaux versent dans les caisses d’entreprises capitalistes sous couvert « d’emploi », de « recherche », et « d’innovation ». Cela représente plusieurs milliards d’euros à l’échelle nationale. Non, le rôle du PCF n’est pas de participer à cette immense gabegie, à cette politique de subventions d’entreprises privées qui, soit dit en passant, ne sont pas toutes des PME ou des PMI. Le rôle du PCF est au contraire de lutter pour la défense et l’extension massive du secteur public. Mais de cela, les élus PS des régions ne veulent pas entendre parler. Raison de plus pour que le PCF ne siège pas dans les exécutifs « socialistes », de façon à ne pas être associé à cette politique d’« aide aux entreprises » qui est désormais le cœur de l’action du Parti Socialiste.
La question du deuxième tour
Même si le PCF écartait l’idée d’intégrer des exécutifs dirigés par le PS, cela n’épuiserait pas la question de sa stratégie au deuxième tour. En théorie, le Front de Gauche peut réaliser une « fusion technique » avec une liste PS arrivée en tête de la gauche, c’est-à-dire une fusion sans « programme commun » et sans engagement à intégrer l’exécutif en cas de victoire. De nombreux camarades opposés à la participation aux exécutifs sont favorables, par contre, à de telles fusions « techniques ». Ils avancent deux raisons :
1) il faudra battre la droite et le FN, donc ne pas diviser la gauche au deuxième tour ;
2) une fusion technique permettra également d’obtenir des élus.
A l’inverse, des camarades – du Parti de Gauche comme du PCF – considèrent toute forme d’alliance avec le PS comme contre-productive, compte tenu du rejet du PS dans la population. Certains camarades évoquent la nécessité d’établir un « cordon sanitaire autour du PS ». En réalité, le cordon sanitaire fonctionne dans les deux sens : ces camarades veulent empêcher les élus du PCF de réaliser des alliances sans principes avec le PS. Leur position sur le deuxième tour – et sur l’attitude du PCF à l’égard du PS en général – découle de leur longue et douloureuse expérience en matière d’alliances contre-productives, et notamment de ce qui s’est passé lors des élections municipales de mars 2014. Cette position est aussi une façon de contrer la volonté affichée des dirigeants du PCF de participer à des exécutifs dominés par le PS, cette fois encore.
Il est clair que l’idée d’un « programme commun » du Front de Gauche avec les candidats du PS doit être rejetée. Un tel « programme commun » ne pourrait qu’être constitué de mesures très vagues, modérées et qui n’engagent à rien. Or ce dont le Front de Gauche a surtout besoin, c’est d’un programme offensif, qui s’attaque clairement au système capitaliste lui-même, car c’est la crise de ce système qui est au cœur du désastre économique et social actuel. Si le Front de Gauche défendait un tel programme, la question du deuxième tour se poserait dans des termes différents : dans les régions où le PS arriverait en tête de la gauche, c’est lui qui serait tenté de refuser les fusions de listes, même « techniques ». Il porterait alors la responsabilité de la division face à la droite.
La question du deuxième tour ne doit pas être posée indépendamment du programme du Front de Gauche et de son attitude générale à l’égard du Parti Socialiste. Le rejet massif du gouvernement ouvre la possibilité aux listes du Front de Gauche d’arriver en tête de la gauche au premier tour, à condition de mener campagne sur un programme qui réponde aux aspirations de millions de travailleurs et s’attaque résolument au système capitaliste. La question du programme doit être la priorité des discussions internes au Front de Gauche. Tout le reste en découle. En Espagne, par exemple, Podemos a voté pour le PSOE – pour battre le PP – dans les villes où le PSOE est arrivé en tête de la gauche. Si cette alliance ponctuelle, dirigée contre la droite, a été comprise et acceptée par les électeurs de Podemos, c’est parce que l’opposition de Podemos à l’égard du PSOE et de sa politique était parfaitement claire – et parce que les élus des listes d’« Unité Populaire » excluaient toute participation aux exécutifs dirigés par le PSOE. Ce n’est pas ainsi, malheureusement, que les choses se présentent au sommet du PCF. Et c’est ce qui doit changer pour que le Front de Gauche soit en position de cristalliser la colère des masses contre le gouvernement « socialiste » et le capitalisme en crise.
Conclusion
Le déclin du PS est déterminé par la politique réactionnaire qu’il met en œuvre au gouvernement. Mais comme le montrent les exemples du PASOK et du PSOE en Grèce et en Espagne, le rythme de ce déclin dépend, pour une bonne part, de l’émergence d’une alternative crédible sur la gauche des partis « socialistes ». En France, le Front de Gauche peut être cette alternative, comme la campagne électorale de 2012 l’a déjà montré. Les élections régionales sont l’occasion de corriger les erreurs de ces dernières années et de prendre le chemin d’une croissance rapide du Front de Gauche.
[1] Comme nous l’avons expliqué à plusieurs reprises, les alliances du PG avec les Verts – qui en mars 2014 étaient toujours au gouvernement – ont également contribué à la confusion.