Un peu plus de six mois après l’attentat contre Charlie Hebdo, l’assassinat barbare perpétré en Isère, vendredi, suscite une indignation et une révulsion générales. Le même jour, sur une plage de Tunisie, un terroriste abattait 38 personnes et en blessait 39, cependant qu’un kamikaze se faisait exploser dans une mosquée de Koweït City, tuant 25 personnes et en blessant plus de 200.
Yassin Salhi, le principal suspect de l’assassinat perpétré en Isère, a avoué en être l’auteur. Depuis vendredi, les grands médias se penchent sur cet individu – décrit par son entourage comme « normal », « sans histoires » – et spéculent sur ses motivations et ses liens avec les organisations fondamentalistes. Dimanche matin, Manuel Valls évoquait une « guerre de civilisation », reprenant à la droite une formule qu’elle-même avait empruntée à l’extrême droite américaine. Dès vendredi, Nicolas Sarkozy écrivait que « le ou les auteurs de cet attentat ont déclaré la guerre non seulement à la République et à la démocratie mais à la civilisation. » Quant à Marine Le Pen, elle tire ses propres conclusions de cette « guerre » et demande que « l’ensemble des étrangers suspectés de fondamentalisme islamiste [soient] au plus vite expulsés du territoire national. »
Les conséquences réactionnaires de l’acte barbare perpétré vendredi, en France, sont évidentes. Ce crime rend un immense service à tous ceux qui ont intérêt à souffler sur les braises du racisme, à diviser la classe ouvrière suivant des lignes religieuses ou ethniques, à stigmatiser les jeunes et les travailleurs musulmans. Le 14 janvier dernier, sur Europe 1, Philippe Tesson disait brutalement ce que suggèrent plus ou moins subtilement d’innombrables politiciens et « experts » médiatisés : « C’est pas les musulmans qui amènent la merde en France aujourd’hui ? Il faut le dire quoi ! » Ce faisant, le journaliste formulait à sa manière la théorie de « la guerre de civilisation ». Son objectif est évidemment de masquer l’exploitation de classe et l’oppression impérialiste qui constituent les fondements de la « civilisation » capitaliste moderne.
Le mouvement ouvrier français doit rejeter cette propagande de la façon la plus ferme et la plus claire. Ce qui « amène la merde » en France, aujourd’hui, c’est la crise du système capitaliste, dont Tesson et compagnie sont d’ardents défenseurs, et qui condamne des millions de familles de toutes confessions à la misère, au chômage et à la précarité. A cela s’ajoutent, pour les Français ou étrangers d’origine arabe, une discrimination et une stigmatisation permanentes, depuis des décennies, ainsi qu’une indignation légitime face à la barbarie des interventions impérialistes – notamment françaises – au Moyen-Orient. C’est le fond du problème – et c’est ce qui explique, en dernière analyse, que de jeunes musulmans finissent par se livrer corps et âme à la folie meurtrière du djihadisme. Mais de cela, les « experts » qui se succèdent sur les plateaux de télévision, depuis vendredi, ne disent rien, ou presque.
Les grands médias spéculent sur les « failles » du renseignement français. Qu’il y ait eu faille, en l’occurrence, c’est une macabre évidence. Des agents des services de l’Etat concernés se plaignent d’un manque de moyens. Cependant, on touche ici aux limites du renseignement. Le « mode opératoire » de Yassin Salhi révèle un amateurisme et un isolement relatif. Le criminologue Alain Bauer parle de « loups solitaires » et de « lumpenterrorisme », par opposition aux opérations terroristes impliquant de longs préparatifs, des moyens importants et la collaboration de nombreux individus. Quel Etat pourrait repérer à coup sûr des individus qui préparent discrètement et seuls – ou presque – un acte nécessitant de très faibles moyens logistiques ? Par ailleurs, face à ce type d’actions, les milliers de militaires et policiers déployés dans le cadre du plan Vigipirate ne servent à rien.
Le crime perpétré par Yassin Salhi renforce les partisans d’un durcissement des lois « sécuritaires ». Les attentats contre Charlie Hebdo ont déjà servi de prétexte à l’adoption d’une nouvelle loi sur le renseignement. Or celle-ci ne sera d’aucune utilité face au type de terrorisme que nous venons d’évoquer. Par contre, cette loi est une atteinte flagrante à nos droits démocratiques – et sera utilisée contre le mouvement ouvrier. Nous devons nous opposer fermement à toutes ces lois anti-démocratiques. De même, il faut se mobiliser pour défendre les musulmans contre des attaques de la part d’organisations racistes ou fascistes. Mais il faut aller plus loin. Il faut s’en prendre à la racine du problème, c’est-à-dire aux conditions économiques et sociales qui poussent des individus à chercher un sentiment de dignité dans le fondamentalisme. Le mouvement ouvrier doit donner à la jeunesse musulmane un programme, une bannière, une cause révolutionnaires ; il doit la mobiliser dans la lutte contre le système capitaliste décadent. Ce système – cette « civilisation » – engendre la barbarie qui a frappé l’Isère, vendredi. Et cette barbarie ne sera définitivement éliminée qu’avec le renversement du capitalisme lui-même.