Des mois durant, le gouvernement Hollande nous a certifié que la reprise de l’économie française était « enfin là ». Il est vrai qu’il annonce la même chose depuis son élection, qui a été suivie par trois années de stagnation. Mais le rebond du premier trimestre 2015 (+ 0,7 %) poussait les analystes à espérer une croissance annuelle proche de 1,5 % – un chiffre médiocre, en soi, mais qui depuis 2009 n’est pas souvent atteint en Europe. Le gouvernement nous parlait de nouveau avec enthousiasme – et un soupçon d’espoir – de l’inversion de la courbe du chômage « pour bientôt ».
On connait la suite : la croissance a été nulle au deuxième trimestre. Les économistes révisent à la baisse leurs projections pour 2015 – mais pas le gouvernement, qui conserve toujours son optimisme artificiel. Il nous exhorte à voir la bouteille à moitié pleine, même lorsqu’elle se vide. Plusieurs données macro-économiques soulignent l’extrême fragilité de la reprise, si reprise il y a. La hausse de l’investissement des entreprises est passée de 0,6 % au premier trimestre à 0,2 % au deuxième. Si l’on y ajoute les investissements des ménages et des administrations publiques, le chiffre global recule même de 0,3 %. Le secteur de la construction – décisif dans toute reprise digne de ce nom – est toujours sinistré ; il a même reculé de 1,1 % entre avril et juin. La consommation des ménages stagne à nouveau (+ 0,1 %). Dans ce contexte, le chômage continue d’augmenter.
L’impact du ralentissement chinois
Mais c’est bien sûr de l’économie mondiale que viennent les plus lourdes menaces. La reprise est si fragile, au niveau international, que le moindre choc peut précipiter une nouvelle récession. Au seuil de l’été, les marchés redoutaient les répercussions d’une sortie de la Grèce de la zone euro. Cette possibilité est loin d’être écartée. Mais à présent, c’est le ralentissement de l’économie chinoise et l’éclatement de ses bulles spéculatives qui sèment la panique aux quatre coins du globe.
Même si l’on s’en tient aux statistiques officielles – et donc douteuses – du régime totalitaire de Pékin, la deuxième économie mondiale est dans une situation très périlleuse. Sa croissance est tombée à moins de 7 % au premier semestre, son rythme le plus faible depuis un quart de siècle. Des observateurs sérieux estiment qu’elle se situe en réalité autour de 4 %. Cet été, les exportations chinoises ont chuté de 8 %. La dévaluation panique du Yuan n’a rien réglé. Elle alimente les inquiétudes des investisseurs et frappe de plein fouet les économies « émergentes » d’Asie.
Des puissances telles que le Brésil et la Russie sont aussi directement affectées. L’économie chinoise consomme moins de matières premières, ce qui en fait chuter les cours et frappe les pays producteurs. La Chine est désormais le premier partenaire commercial de 44 pays (et pas seulement en Asie). L’« effet domino » tant redouté peut partir – et part déjà – dans de nombreuses directions. L’économie mondiale forme un tout dont les parties sont très largement interdépendantes. La mondialisation se traduit aujourd’hui par une crise mondiale du capitalisme.
Il n’y a pas si longtemps, les économies asiatiques – et la Chine, en particulier – étaient célébrées par les politiciens bourgeois comme de nouveaux et puissants moteurs de la croissance mondiale. A présent, François Hollande déclare que « l’économie mondiale est assez solide pour avoir des perspectives de croissance qui ne sont pas seulement liées à la situation en Chine. » [1] Commentaire absurde. Le capitalisme mondial est embourbé dans une crise organique sans précédent depuis les années 30 ; il est criblé de contradictions et de dettes massives. Il n’est certainement pas « solide ». Et la grande fragilité de la reprise mondiale donne un caractère potentiellement explosif au ralentissement chinois.
Les angoisses de Donald Tusk
Les classes dirigeantes ne s’inquiètent pas des conséquences immédiates de la crise sur leur niveau de vie. Tout va bien pour elles dans ce domaine. Parachutes dorés, stock-options, bonus et rémunérations en tous genres : elles puisent largement dans la masse des profits pour garantir le luxe de leur existence parasitaire. Les victimes de la crise, ce sont les pauvres, les travailleurs et une large fraction des classes moyennes. Et ce que redoutent les classes dirigeantes, c’est l’impact politique et social de la crise, la révolte que prépare le recul constant des conditions de vie des masses au milieu d’une gabegie de profits, de faste et de corruption.
Donald Tusk, président du Conseil Européen, a accordé en juillet dernier une interview à plusieurs quotidiens européens. Il y expliquait : « Je suis surtout inquiet des risques de contagion politique et idéologique. Avec ce qui se passe en Grèce est apparue l’illusion idéologique qu’il est désormais possible de changer le cours de l’Europe, qu’on peut construire une alternative à la vision traditionnelle de l’Europe de l’austérité. Je sens un état d’esprit, peut-être pas révolutionnaire, mais quelque chose comme une impatience généralisée. Or quand l’impatience n’est plus seulement un phénomène individuel, lorsqu’elle devient collective, c’est l’introduction aux révolutions. A cet égard, je pense que certaines circonstances actuelles sont semblables à 1968 ».
Les bourgeois les plus lucides arrivent souvent aux mêmes conclusions que les marxistes – avec un temps de retard. C’est le cas ici. Embarrassé par les déclarations de Donald Tusk, Le Monde a censuré l’interview, édulcorant le passage que nous venons de citer. Le président du Conseil Européen a ouvert le livre des pensées secrètes de la bourgeoisie : cela ne se fait pas. Les classes dirigeantes doivent mentir en permanence pour assurer leur domination. Mais il arrive que, de temps à autre, un politicien bourgeois livre le fond de sa pensée. Ici, Donald Tusk nous confirme que l’accord du 13 juillet avec la Grèce – dont il fut l’un des négociateurs – visait une humiliation politique du gouvernement de Syriza, dans le but d’étouffer la « contagion ». Il nous montre aussi que les politiciens bourgeois se préparent à une intensification de la lutte des classes.
Après l’émergence de Syriza, les capitalistes ont observé avec stupeur l’ascension fulgurante de Podemos en Espagne. Dans ce pays, un vieux bourgeois malade et célèbre a même publiquement appelé, dans son dernier souffle, au meurtre de Pablo Iglesias. Plus récemment, les énormes succès des campagnes de Jeremy Corbyn, en Grande-Bretagne, et de Bernie Sanders, aux Etats-Unis, expriment au fond la même chose qu’en Grèce et en Espagne : une réaction politique à des années d’austérité, de contre-réformes et de vains sacrifices. Bien sûr, il y a d’importantes différences entre ces pays. Cela déterminera des rythmes différents. Mais la colère, la frustration, « l’impatience » dont parle Donald Tusk, existent dans tous les pays. Et si elles ne trouvent pas encore partout un canal d’expression politique, la faute en revient aux dirigeants du mouvement ouvrier. A cet égard, quel contraste ironique entre les propos de Donald Tusk et le pessimisme de tant de dirigeants réformistes, qui se plaignent de la « passivité » des masses et nous annoncent un demi-siècle de réaction !
Crise du réformisme
En France, le Front de Gauche est de plus en plus divisé – et la direction du PCF y incarne l’aile droite, une nouvelle fois. C’est flagrant concernant les élections régionales, où les dirigeants communistes proposent de participer aux exécutifs que le PS parviendrait à sauver. C’est encore plus clair sur la question de la Grèce, où la direction du PCF accorde un soutien sans faille à la direction de Syriza, sous prétexte que Tsipras a déclaré s’opposer au Memorandum que, cependant, il met en œuvre. Or pour les travailleurs grecs, les intentions subjectives de Tsipras sont d’un faible secours face à la misère croissante. Quelles perspectives la direction du PCF avance-t-elle pour les masses grecques ? Elle renvoie à un long et complexe processus de « réorientation de l’UE » – bref, aux calendes grecques.
La politique actuelle de la direction du PCF est une expression caricaturale de la crise du réformisme. Mais celle-ci affecte également le Parti de Gauche, que la crise grecque a plongé dans un maelstrom idéologique dont le pire et le meilleur peuvent sortir. Nous espérons avoir vu le pire dans le dernier livre de Mélenchon, qui, malgré une description documentée de l’Allemagne actuelle, abandonne souvent le point de vue de classe et internationaliste (nous y reviendrons). C’est un terrain très glissant. Le meilleur consisterait – au PG comme dans tout le Front de Gauche – à tirer les véritables leçons de la crise grecque et à défendre un programme de rupture avec le système capitaliste. C’est dans cette direction que la situation actuelle pousse une fraction croissante de la jeunesse et de la classe ouvrière. Il est temps que la « gauche radicale » française le comprenne et joue pleinement son rôle dans ce processus.
[1] Cité dans Le Figaro du 7 août
Sommaire
Editorial : Les capitalistes redoutent une récession mondiale – et des révolutions
Trains de nuit : grève victorieuse chez LSG France
SNCF : un des meilleurs systèmes ferroviaires en Europe ?
L’aéronautique ne connait pas la crise… en apparence !
La lutte des travailleurs de Sambre et Meuse, fonderie centenaire
Nexcis : les salariés, les consommateurs et l’environnement sacrifiés
Loi Macron : la régression sociale pour objectif, le déni de démocratie pour méthode
Elections régionales : quel programme et quelle stratégie pour le Front de Gauche ?
Le viol de la République centrafricaine
Migrants : l’été meurtrier de l’Europe forteresse
Que signifie l’accord sur le nucléaire iranien ?
Ukraine : le front Ouest n’est pas si calme
Parti travailliste de Grande-Bretagne : « Voter Corbyn ! Lutter pour le socialisme ! »
La politique américaine devient intéressante
Grèce : la faillite de Syriza et les élections anticipées
Le Front de Gauche et la crise grecque
Il y a cent ans : la conférence de Zimmerwald
Grand succès de l’Université d’été de la TMI
Nouveau livre : Les idées de Karl Marx
Etudiants : rejoignez un « Cercle marxiste » – ou fondez-en un !
Mythes et réalité du vote FN