Suivant une vieille tradition de la Ve République, le ministre-banquier Emmanuel Macron a fait adopter sa loi fourre-tout pendant la période estivale.
Nous avions déjà parlé des quelque 200 articles de cette loi de régression sociale généralisée dans un précédent article, en janvier. Entre-temps, ce projet a poursuivi son parcours législatif mouvementé et nous est revenu considérablement « enrichi » – notamment par les apports successifs des groupes UMP/Les Républicains à l’Assemblée et au Sénat. Le texte pèse désormais plus de 300 articles.
En conséquence, nous ne ferons pas ici une revue de détail de cette loi dans sa version définitive. Nous aborderons les principales dispositions de la loi Macron ainsi que les « innovations » les plus marquantes apportées depuis janvier.
Une loi de régression sociale généralisée
Sur le plan social, cette loi représente une régression générale touchant tous les domaines. Comme on le sait, elle élargit l’ouverture des commerces le dimanche, en faisant passer de 5 à 12 le nombre de dimanches où un maire peut autoriser l’ouverture des commerces. Elle créé aussi deux nouveaux types de zones : les « zones touristiques internationales » et les « emprises des gares », qui seront délimitées par le gouvernement, où les salariés pourront travailler le dimanche sans qu’aucune compensation financière ne soit prévue par la loi. Le sinistre Macron dit vouloir « laisser toute sa place au dialogue social ». Comprenez : « laisser les patrons faire du chantage à l’emploi pour imposer leurs conditions ». En effet, en période de chômage de masse, il est difficile aux salariés de s’opposer à leur patron, qui dispose du pouvoir exorbitant de donner ou de retirer l’emploi, c’est-à-dire de plonger les travailleurs dans la misère. Dans ces conditions, nul doute que les employeurs trouveront facilement des « volontaires » pour travailler le dimanche.
La loi Macron, dont l’un des objectifs officiels est la lutte contre le chômage, permettra également de faciliter les licenciements économiques collectifs (ironiquement baptisés « Plans de Sauvegarde de l’Emploi »). En effet, les obligations de l’employeur qui licencie pour raison économique sont allégées. Désormais, lors d’un licenciement collectif suite à la liquidation d’une entreprise, l’administration du Travail (DIRECCTE) n’aura plus le droit de regarder les moyens du groupe pour homologuer le plan de licenciement et devra se concentrer uniquement sur les moyens dont dispose l’entreprise liquidée. Cela permettra aux patrons des grands groupes capitalistes, experts en manipulations financières, de siphonner l’actif d’une de leurs entreprises pour la transférer vers une autre puis de ne rien verser aux salariés en arguant que « les caisses sont vides ». Par un tour de passe-passe, en faisant passer leur argent d’une poche à l’autre, les capitalistes pourront donc dépouiller encore plus les salariés, avec l’aval du ministère du Travail ! En outre, la contestation des plans de licenciement a déjà été rendue plus difficile, comme nous l’avions expliqué dans ces pages en janvier dernier.
Un autre fait notable est la dépénalisation du délit d’entrave aux institutions représentatives du personnel (IRP). Jusqu’à présent, le fait d’entraver le fonctionnement des délégués du personnel (DP), du comité d’entreprise (CE) ou du comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) était passible d’un an d’emprisonnement (dans les faits, du sursis) et de 3750 euros d’amende. La loi Macron supprime la peine d’emprisonnement et fait passer l’amende à 7500 euros. Emmanuel Macron a déclaré que cette peine de prison avait un « effet dissuasif sur l’investissement étranger ». Autrement dit, les patrons-voyous étrangers avaient peur de venir mener leurs rapines en France et de risquer d’être condamnés pour leurs fautes. Qu’ils se rassurent : la loi penche désormais nettement plus en leur faveur. Dès que cela rapportera plus de 7500 euros, il sera toujours rentable d’opprimer les représentants du personnel !
Le plafonnement des indemnités prud’homales
Parmi les « innovations » qui ont fait couler beaucoup d’encre, la plus marquante est sans doute le plafonnement des indemnités pour licenciement abusif. Jusqu’à présent, le salarié licencié sans motif valable avait droit à une indemnité égale à au moins 6 mois de salaire. Le nouveau texte prévoit que ces indemnités seront comprises entre 1 et 6 mois de salaire (pas davantage), selon l’ancienneté du salarié et l’effectif de son entreprise.
Le ministre des Finances a justifié ce plafonnement par le sacro-saint besoin de « flexibilité » des entreprises. En substance, un patron qui licencierait son salarié sans aucun motif valable, enfreignant donc la loi, devrait pouvoir le faire sans courir un trop gros risque judiciaire. Avec un plafonnement maximum, comme pour l’entrave aux IRP, il peut ainsi calculer l’avantage qu’il aurait à respecter la loi ou à l’enfreindre – et ainsi prendre la décision la plus rentable... C’est une véritable incitation institutionnelle à enfreindre la loi pour les patrons et une arme de dissuasion contre les salariés, pour les décourager de faire valoir leurs droits. Quel salarié licencié ira engager des frais dans un procès aux Prud’hommes, avec un délai de jugement dépassant un an, pour pouvoir être indemnisé au maximum 1, 2 ou 3 mois de salaire ? Manuel Valls, qui prône la surveillance et la « fermeté » à l’égard des chômeurs, laisse en revanche son ministre faire preuve du plus grand laxisme envers les patrons-voyous, qui fabriqueront ainsi encore plus de chômeurs. Cette loi entièrement pro-patronale et anti-ouvrière est une lamentable confirmation de la dérive droitière de la direction du PS.
Même le Conseil constitutionnel, majoritairement nommé par la droite, a censuré plusieurs articles de la loi Macron, notamment celui concernant les indemnités prud’homales, car cet article privait le salarié de l’indemnisation de son préjudice pour un nouveau critère sans rapport avec ledit préjudice (la taille de l’entreprise). Le plafonnement ne s’appliquera donc pas à la rentrée, mais ce n’est que partie remise, le gouvernement ayant annoncé sa volonté de faire une nouvelle loi sur le sujet pour permettre de mettre en sécurité les patrons-voyous.
Sur l’Inspection du Travail, un double déni de démocratie
Avant la loi Macron, les deux ministres du Travail successifs, Michel Sapin puis François Rebsamen, ont mis en œuvre une contre-réforme de l’Inspection du Travail (plan Sapin) visant à mettre au pas ces agents de contrôle trop indépendants et dont l’activité est déjà trop contraignante pour le patronat. A la suite d’un intense démarchage des parlementaires et, surtout, d’une grande mobilisation des agents du ministère du Travail, la réorganisation des services de l’Inspection du Travail a été rejetée au Sénat en février 2014.
Rejeté par le parlement, le plan Sapin était déjà à moitié revenu par la petite porte : le gouvernement avait pris un décret pour faire appliquer nombre des dispositions de son plan d’origine. Pour parachever son « œuvre », il lui fallait néanmoins l’autorisation du parlement. Le « plan Sapin » est donc inopinément réapparu, au détour d’un chapitre de la loi Macron. Pour éviter de nouveaux débats sur ce sujet conflictuel, le gouvernement demande dans ce chapitre l’autorisation de réformer l’inspection par ordonnance, c’est-à-dire de décider une loi à la place du parlement. Parallèlement, face à la « menace » que les « frondeurs » du PS faisaient peser sur l’ensemble du texte, Manuel Valls a de nouveau eu recours à la procédure du 49.3 pour faire adopter la loi Macron.
En résumé, le gouvernement Valls a déposé un projet de loi pour demander au parlement de lui « prêter » le pouvoir législatif, le temps de transformer l’Inspection du Travail, puis a utilisé le 49.3 pour obliger le parlement à accepter cette loi.
Le fait qu’un gouvernement « socialiste » soit prêt à s’attribuer à lui-même les pleins pouvoirs pour pouvoir mieux servir le patronat illustre une nouvelle fois que, sous le capitalisme, la démocratie n’est possible que tant qu’elle ne menace pas les intérêts des plus riches.