La réforme du collège portée par Najat Vallaud-Belkacem, ministre de l’Education, devrait être appliquée à la prochaine rentrée 2016. Elle soulève pourtant le rejet d’une grande partie des travailleurs de l’éducation – et, de plus en plus, des parents d’élèves. Si la mobilisation ne faiblit pas, c’est qu’il s’agit d’une énième contre-réforme dictée par l’austérité budgétaire et imposée aux personnels comme à l’ensemble des travailleurs et leurs enfants. Afin d’organiser la riposte adéquate, il est nécessaire de bien comprendre en quoi notre droit à une éducation de qualité pour tous est attaqué.
Des inégalités perpétuées
Le gouvernement et sa ministre de l’Education en particulier sont passés maitres dans « l’art » d’imposer des contre-réformes en cachant la réalité crue de l’austérité sous de belles maximes creuses : « Mieux apprendre pour mieux réussir ». L’objectif ô combien louable de la ministre et de sa réforme – la réussite de tous les élèves et la lutte contre le « décrochage » – doit être réalisé à moyens constants. Aucune dépense supplémentaire n’est prévue pour le collège. C’est le fond du problème et la ministre esquive avec soin cette question.
Les médias bourgeois moquent à chaque rentrée la « rengaine » revendicative des enseignants sur la question des « moyens », pour tenter de les décrédibiliser. Ils ne peuvent cependant pas nous faire oublier cette réalité incontournable : sans moyens et postes supplémentaires (enseignants, surveillants, techniciens…), il est impossible de résorber les inégalités scolaires. Les inégalités sont avant tout sociales, à la base de la société capitaliste elle-même. Elles sont déjà effectives avant même l’entrée à l’école – et s’accentuent avec la crise du capitalisme. L’Education Nationale les renforce de manière quasi irréversible pour les enfants des travailleurs les plus pauvres et isolés dans les quartiers populaires. Ceux-ci cumulent absence de moyens dans leurs familles et dans leurs établissements scolaires, qui se « ghettoïsent » de plus en plus. Les obstacles sont innombrables au cours de leur parcours scolaire. Dans les faits, l’accès à la culture et à l’éducation supérieure leur est refusé.
La ministre prétend avoir créé plus de 35 000 postes depuis 2012. Une vérification rapide du tour de passe-passe communicatif, comme l’ont fait les syndicats ou le Front de Gauche, démontre qu’il s’agit en grande partie de stagiaires – dont le nombre compense celui des départs à la retraite. En réalité, à peine 4000 postes de titulaires ont été créés, très loin des 60 000 annoncés par le candidat Hollande – déjà très insuffisants par rapport aux besoins réels ! C’est donc loin de permettre une diminution des effectifs par classe. Or c’est une condition indispensable pour améliorer le travail des élèves et des professeurs. En attendant, ceux qui étudient et travaillent dans les collèges, en particulier dans les quartiers populaires, ont pour quotidien l’absence d’ordinateurs, de chaises, tables, livres et autres matériels scolaires essentiels – et des classes surchargées.
Les technocrates du ministère ont une autre interprétation des problèmes scolaires. Ils mettent l’accent sur le besoin de développer d’autres formes de pédagogie et d’« interdisciplinarité » (ce qui sous-entend que les personnels sont responsables de l’échec au collège). La réforme entend développer ces nouvelles activités – à décider localement – en rognant sur les heures des cours fondamentaux, voire en supprimant certains enseignements comme le latin. Les créations « pédagogiques » de la réforme reviennent donc à diminuer l’enseignement général commun au collège. En outre, l’interdisciplinarité va demander une surcharge de travail pour les enseignants, déjà éprouvés physiquement et moralement par leurs conditions de travail.
Autonomie et concurrence
Dans ce contexte social, l’enfumage de communicante de la ministre est d’autant plus insupportable aux personnels. Aucune réforme pédagogique ne pourra jamais résorber les inégalités sans que l’Etat investisse l’argent nécessaire pour assurer ne serait-ce que les besoins essentiels. Ces sommes existent pourtant : le gouvernement pourrait les prélever dans l’arrêt du financement public à perte des capitalistes ou de ses aventures impérialistes à l’étranger. Mais il n’en a aucune intention car il n’est là, précisément, que pour garantir les intérêts de la classe dirigeante. Et l’éducation pour tous n’est pas au programme des capitalistes, qui ne tolèrent plus tous ces acquis du passé.
Pire, les différentes questions pédagogiques soulevées par la « réforme » sont autant de contre-feux dont le but est de cacher l’essentiel : il s’agit d’une contre-réforme, en ce sens qu’elle attaquera à nouveau les droits et acquis des travailleurs. Pour la classe dirigeante, c’est une nécessité imposée par la crise du capitalisme. Ces mêmes attaques contre le droit à l’éducation concernent d’ailleurs de nombreux pays en Europe et dans le monde. C’est bien le cas en France, car la conséquence principale de cette réforme est la disparition du collège unique, qui repose sur l’idée centrale d’une même éducation pour tous pour cette tranche d’âge. Le cadre national n’existera plus à cause de l’autonomie que la réforme donne aux établissements (20 % des heures de cours à déterminer localement).
Là encore, la ministre le justifie par un constat d’échec. Le collège d’avant était « peu motivant pour les élèves, anxiogène pour les parents et frustrant pour les professeurs, auxquels il ne laissait que peu d’autonomie. » Nous rétorquons à la ministre que l’autonomie des établissements créée par la réforme n’est pas celle des équipes pédagogiques, mais bien celle du chef d’établissement. Le « principal » deviendra un véritable chef suprême et manager de son entreprise-collège. Il cumulera les prérogatives. Il sera entouré d’un Conseil pédagogique, instance non représentative et nommée par lui seul – aux dépens du seul organe décisionnaire jusqu’à présent, le Conseil d’Administration, composé de représentants élus par les personnels, les élèves et leurs parents.
Les 20 % d’horaires « autonomes » d’enseignement dépendront des choix de ce Conseil pédagogique non élu. Il y aura donc des parcours scolaires différents selon les classes et les établissements. L’entrée et la réussite au lycée seront rendues encore plus compliquées avec des élèves venant de collèges différents et ayant suivi des parcours différents. C’est aussi le moyen idéal d’orienter les élèves en difficulté vers l’apprentissage – c’est-à-dire le travail gratuit d’enfants – en le développant dans les heures « autonomes » des collèges des quartiers populaires. Enfin l’autonomie va opposer les collègues et les disciplines. Le recrutement local des enseignants à partir du projet d’établissement sera possible, engendrant de la concurrence entre travailleurs, comme dans le privé.
Pour une grève reconductible !
C’est aussi la méthode anti-démocratique qui révulse, tant la « ministrissime de l’austérité scolaire » (formule de Mélenchon) et son armée de petits chefs dans les rectorats passent en force. Comble de l’arrogance, le gouvernement a publié au Journal Officiel les décrets d’application de la réforme le 20 mai dernier – au lendemain d’une grève pourtant réussie de tout le Secondaire. A présent, les personnels sont invités à « donner leur avis » sur les modalités d’application – et non sur le fond de la réforme – lors de réunions obligatoires, sous peine de sanctions. La CGT et SUD entendent pratiquer une « politique de la chaise vide ». Mais alors il faudra une unité d’action des principaux syndicats, pour ne pas isoler les travailleurs « rebelles ».
Les syndicats ont organisé plusieurs journées de grève depuis le printemps dernier, avec un certain succès : entre 25 et 50 % des personnels en grève effective. La contestation ne faiblit pas. Des Assemblées Générales accueillent des parents des quartiers populaires, qui sentent qu’un droit essentiel et l’avenir de leurs enfants sont en jeu. Enfin, depuis des années se développent des grèves et luttes combatives – certes isolées à chaque établissement – contre toutes les formes de pénurie scolaire.
Un constat s’impose cependant à l’échelle nationale : les grèves ponctuelles tous les deux mois n’empêchent en rien la ministre de passer en force. Le rôle des directions syndicales est désormais de permettre au mouvement de franchir une étape et d’organiser une stratégie à la hauteur du coup porté. Il faut laisser entendre à tous les travailleurs que la grève peut être reconduite jusqu’au retrait pur et simple de la réforme. Il faut aussi favoriser la convergence de toutes les luttes du secteur éducatif – et au-delà, car c’est l’ensemble du mouvement ouvrier qui est attaqué. Pour cela, il faut lier la revendication du retrait de la réforme à l’exigence d’un plan d’investissement massif et immédiat dans l’éducation, à tous les niveaux. C’est à ces conditions qu’on défendra efficacement une éducation de qualité, gratuite et pour tous !