Le gouvernement Raffarin, composé de réactionnaires notoires et de quelques “inconnus” tout aussi suspects, est une véritable machine de guerre dirigée contre les intérêts fondamentaux de la grande majorité des salariés, jeunes, et retraités. Le programme de ce gouvernement s’inspire largement de celui du MEDEF. La priorité, aujourd’hui, est de balayer Raffarin et son équipe par une mobilisation massive contre la droite aux législatives.

En même temps, les militants syndicaux, socialistes et communistes, et, de manière générale, les jeunes et les électeurs qui soutiennent la gauche, sont en train de tirer les conclusions qui s’imposent à la suite de la défaite aux présidentielles. Les conséquences sociales dramatiques d’une politique prétendument “socialiste”, mais en réalité tournée vers la satisfaction des intérêts particuliers des grands groupes industriels et financiers, ont fait le lit de la droite et de l’extrême droite.

Bien sûr, dès le 21 avril, tous les chefs de file, au PS comme au PCF, ont parlé de la nécessité de “tirer les leçons” de cette débâcle. Hélas ! ils en sont incapables, comme la suite des événements l’a amplement démontré. Leurs programmes pour les présidentielles - ambigus, timides, et, en ce qui concerne celui du PS, largement axé sur la “sécurité” - ces programmes qui ont fait triompher la droite, ont été reconduits pour les législatives sans subir de modifications majeures. Certes, l’engagement d’arrêter les privatisations est un pas dans la bonne direction. Cependant, le même engagement été pris en 1997, ce qui n’a pas empêché le gouvernement Jospin de faire le contraire une fois au pouvoir.

La principale leçon qu’il faut retenir de cette défaite est la suivante : un gouvernement “de gauche” qui privatise à tour de bras, qui s’agenouille devant les banques, devant la Bourse, devant les capitalistes ; un gouvernement qui résiste avec acharnement aux aspirations légitimes des salariés en termes de salaires, de conditions de travail, de lutte contre la précarité, qui affiche une indifférence hautaine à l’égard des travailleurs menacés par des licenciements ou par la fermeture de leur entreprise, comme cela a été le cas pour les salariés de Péchiney, de Michelin, de Moulinex, d’AOM-Air Liberté, et de tant d’autres - un tel gouvernement se coupe de sa base sociale, l’exaspère, et permet ainsi à la classe dirigeante de l’écarter du pouvoir à la première occasion.

Par delà les différences qui existent entre les dirigeants du PS et ceux du PCF, leur “socialisme” est, dans la pratique, d’un genre bien particulier : il ne doit en aucun cas empiéter sur les intérêts de la Bourse, ni porter atteinte aux profits des capitalistes, ni vexer les barons de la presse ou de la télévision. Autrement dit, c’est un socialisme complètement vidé de sa substance.

De son côté, Robert Hue se creuse la cervelle pour s’expliquer comment, sous sa direction, le PCF a plongé jusqu’à 3,4%. Le score du PCF le conduit, dit-il, “à beaucoup de réflexions, de remise en question. Pour ma part, j’ai besoin d’entendre et de lire, d’entendre les communistes dans la richesse de leur diversité croiser leurs analyses et leurs expériences de terrain. J’ai aussi le souci de ne rien faire qui pourrait faire peser sur la libre discussion nécessaire une sorte d’opinion officielle. C’est pourquoi je me garderai de proposer aujourd’hui une analyse et des orientations. Je me laisse un délai d’écoute et de réflexion avant de faire part de mon opinion sur les questions posées par le 21 avril.” Robert Hue est tout entier dans ces phrases, tirées de son intervention au CN du 29 avril dernier. A l’heure où la situation exige hardiesse, esprit de combat, et clarté idéologique, nous n’avons droit qu’à une pusillanimité pleurnicharde. Pourtant, la réponse aux “interrogations” incessantes de Robert Hue saute aux yeux : pour son électorat potentiel, un Parti Communiste qui emboîte le pas à la direction socialiste sur toutes les questions essentielles, n’a plus tellement d’utilité. De nombreuses privatisations ont été pilotées sous la responsabilité directe du ministre PCF des transports, Jean Claude Gayssot. Pour remonter la pente, le Parti Communiste doit à tout prix mettre son programme en conformité avec son nom.

Le comportement du gouvernement a généré un sentiment d’amertume et d’hostilité parmi de larges couches de la population. Depuis le début du gouvernement Jospin, la société française est dans un état de fermentation sociale permanent. Des centaines de milliers de grévistes et de manifestants ont tenté d’infléchir la politique du gouvernement, de la rendre plus conforme à leurs besoins et aspirations. Le nombre de jours de grève a fortement progressé d’année en année, dans le secteur public comme dans le privé. Si l’ampleur de la contestation n’a jamais atteint le niveau des grèves de 1995, elle n’en était pas très loin, notamment en mars 2000. À ce moment, devant la brusque montée des mouvements sociaux sur plusieurs fronts, dans l’Éducation Nationale, au Ministère des Finances, dans les hôpitaux et d’autres secteurs, Jospin a dû hâtivement battre en retraite et “accepter la démission” de deux de ses ministres - lesquels, pour leur rendre justice, ne faisaient que mettre en application les consignes de Jospin lui-même. La résistance syndicale a empêché le gouvernement d’aller aussi loin qu’il n’aurait voulu, que ce soit dans ses attaques contre les services publics ou dans la “réforme” des retraites, mais elle n’a pas réussi à changer l’orientation fondamentalement pro-capitaliste de sa politique.

Devant la perspective d’une victoire, ou même d’une percée électorale importante du candidat du Front National, l’électorat de gauche a voté massivement pour Chirac. Cette démarche était parfaitement compréhensible. Elle partait de la conviction qu’il fallait écarter toute possibilité d’une nouvelle “mauvaise surprise” au deuxième tour et réduire le pourcentage des voix dont Le Pen pourrait se réclamer par la suite. Cependant, la victoire de Chirac n’a strictement rien réglé, et n’a pas non plus affaibli l’enracinement du Front National ; la majorité les électeurs de gauche qui ont, la mort dans l’âme, porté leur voix sur Chirac, en étaient conscients. Il s’agissait pour eux d’un acte exceptionnel d’autodéfense, sans illusions au sujet de Chirac.

Le premier tour était une aubaine pour Chirac, du moins sur le plan électoral. Il avait le beau rôle. En tant que “défenseur de la démocratie” il pouvait d’autant mieux, d’une part, dissimuler le caractère réactionnaire de son programme économique et social, et, d’autre part, la politique raciste qu’il a appliquée dans le passé. Or, si la droite gagne les législatives, Chirac n’hésitera pas à reprendre à son compte un certain nombre des mesures socialement rétrogrades contenues dans le programme du Front National, exactement comme il l’a fait en 1986-1988 et en 1995-1997. Le fameux “plan Juppé” était une version édulcorée du programme économique de Le Pen, et il est de notoriété publique que les élus du RPR collaborent avec les élus du FN dans de nombreuses instances municipales et régionales.

Tragiquement, au lieu de démonter l’hypocrite mascarade de Chirac, les dirigeants du PS et du PCF ont immédiatement rallié sa candidature. En présentant Chirac comme un “rempart” face à Le Pen, les instances dirigeantes du PS et du PCF n’ont pas rendu service à la gauche. Au contraire, elles n’ont fait que la désarmer davantage face à la droite et à l’extrême droite. Plus les dirigeants socialistes et communistes expliquent que la différence entre Chirac et Le Pen est plus importante que la différence entre eux-mêmes et Chirac, plus ils renforcent la crédibilité des partis de droite, ainsi que les effectifs et le potentiel électoral de l’extrême droite. L’un des arguments essentiels de Le Pen repose sur l’idée que les intérêts qui animent le PCF, le PS, le RPR et l’UDF - la “bande des quatre” - sont fondamentalement les mêmes. La démarche de Strauss-Kahn, Fabius, Hollande et Hue, entre les deux tours des présidentielles, constitue un boulet politique de plus que nous devons aujourd’hui traîner dans la bataille électorale des législatives.

Les Fabius, Strauss-Kahn, et autres dirigeants de l’aile droite du PS, qui ont lourdement insisté sur les vertus “républicaines” de Chirac, ont sans doute des motifs inavoués en vue des prochaines législatives. Premièrement, dans le cas où la gauche, profitant d’un sursaut de son électorat, obtiendrait une majorité parlementaire, le “chef” socialiste désireux de s’installer à Matignon se doit de ne pas trop heurter les sensibilités de celui qui devra le nommer. Et deuxièmement, dans le cas où le FN emporterait un nombre significatif de sièges et où ni les autres formations de droite, ni la gauche, n’auraient à elles seules une majorité parlementaire, il n’est pas totalement exclu que l’on se trouve devant la possibilité d’une coalition gauche-droite, sous prétexte, encore une fois, de faire “bloc” contre le Front National. Après tout, expliquera-t-on, nous sommes tous, à droite comme à gauche, dans le “camp républicain”, n’est-ce pas ?

Si la responsabilité de l’échec de la gauche aux présidentielles revient, fondamentalement, aux dirigeants socialistes et communistes, les candidatures d’extrême gauche en ont aussi une part. Certes, les critiques que ces minuscules organisations émettent au sujet du PS et du PCF sont, dans l’ensemble, valables. Mais leur sectarisme, leur refus de soutenir les organisations traditionnelles du salariat, et leur incitation à l’abstention, ont contribué à la défaite de la gauche. Le score de l’extrême gauche a néanmoins une importante signification. Il est symptomatique du fait que des centaines de milliers de jeunes et de travailleurs sont à la recherche d’une alternative nettement plus à gauche que la politique pro-capitaliste mise en œuvre par le gouvernement Jospin.

L’heure n’est plus au compromis avec un système qui génère l’exploitation, le chômage, la misère, et qui nourrit le racisme. Si on veut engager une lutte sérieuse et implacable pour éradiquer le danger du Front National et combattre l’ensemble de la droite, une réorientation radicale du programme et des méthodes de lutte s’impose, dans les partis de gauche comme dans les organisations syndicales. Sur le plan de la mobilisation sociale, les militants syndicaux, y compris les syndicalistes étudiants, ont un rôle crucial à jouer. Dès aujourd’hui, sans attendre le résultat des législatives, ils doivent lancer une vaste campagne de sensibilisation et de mobilisation, afin de préparer une riposte massive et foudroyante à la régression sociale, que ce soit sous un gouvernement de droite ou de gauche.

Le résultat des législatives est plus important que celui des présidentielles. Nous devons nous mobiliser pour assurer une majorité aussi large que possible aux députés socialistes et communistes dans la nouvelle Assemblée Nationale. Halte à la division, aux comportements sectaires ! A chaque fois qu’il y a la moindre possibilité qu’une répartition des voix entre deux candidats de gauche augmente le risque d’une victoire de la droite, il faut éliminer ce risque au moyen d’une candidature unique. Dans le même temps, à l’intérieur comme à l’extérieur du PS et du PC, il faut exiger avec force l’adoption d’un programme conforme aux aspirations des salariés, des jeunes et des retraités. Les éléments essentiels de ce programme, du moins en ce qui concerne les revendications immédiates, ont déjà été élaborés par les organisations syndicales, dans les différentes branches des secteurs public et privé.

La gauche, au lieu de se contenter de gérer le capitalisme, doit se donner les moyens de satisfaire les revendications sociales. Pour cela, il est impératif d’intégrer dans son programme des mesures susceptibles de mettre fin à la dictature des grands groupes industriels et financiers. Il faut mettre définitivement fin au pouvoir écrasant dont ceux-ci usent et abusent pour imposer la régression sociale ; il faut en prendre le contrôle au nom de tous ceux qui subissent cette régression, c’est-à-dire les nationaliser - ou, pour utiliser un meilleur terme, les “socialiser” - afin que l’économie puisse être gérée selon les critères du bien public et non plus du profit privé.

Quant aux dirigeants socialistes ou communistes qui préfèreraient que la gauche reste figée dans cette démarche qui consiste, pour reprendre l’expression favorite de Robert Hue, à être “à l’écoute des salariés”, mais qui, dans la pratique, revient à se plier aux intérêts de la Bourse et des capitalistes, le mieux est de les inviter à se retirer pour faire place à des individus plus combatifs. La gauche n’a besoin ni d’énarques, ni d’hommes fortunés, ni de cerveaux fatigués et empêtrés dans la “modération”. Elle a besoin de sang neuf, d’hommes et de femmes désintéressés, dévoués corps et âme à la défense des intérêts des travailleurs, et munis d’une compréhension claire de ce qu’est le socialisme.

Les premières dispositions du gouvernement Raffarin, dont le “sélectionneur” n’était autre que l’infâme Juppé, ne laissent guère de doute sur les intentions de la droite. Si le camp de Chirac emporte les législatives, le gouvernement lancera une grande offensive antisociale sur le modèle de celle de 1995. Cependant, comme à l’époque, cela provoquerait infailliblement une immense mobilisation de la part de ceux dont les intérêts seraient menacés, à savoir pratiquement tout le monde. De même, si la gauche l’emporte, la question des programmes du PS et du PCF, ainsi que des organisations syndicales, se posera d’une manière franche et incontournable. Tous les dirigeants, toutes les tendances politiques, seront soumis à rude épreuve.

Il faut changer le PS et le PCF, y rétablir les idées et le programme du socialisme. Si les militants de gauche, les syndicalistes et la jeunesse tirent les bonnes conclusions de l’échec des présidentielles, ils pourront, dans les années à venir, infliger une défaite décisive à la droite et à l’extrême droite, en finir avec le capitalisme, et inaugurer une nouvelle ère, celle du socialisme démocratique, qui débarrassera la société de l’exploitation, de l’inégalité, de la pauvreté, et du racisme.

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