La large victoire du « non » au référendum sur la Constitution Européenne constitue un séisme politique dont les effets se feront sentir à long terme. L’UMP, l’UDF, les Verts et la droite du PS ont jeté toutes leurs forces dans la balance, y compris les ressources de l’Etat. Les grands médias ont fait campagne pour le « oui », soit ouvertement, soit sous la forme d’innombrables articles et reportages prétendument « pédagogiques ». Mais rien n’y a fait. En résistant à ce torrent de propagande, la jeunesse et les travailleurs de notre pays ont fait preuve d’une remarquable maturité politique.
La principale leçon de ce scrutin est parfaitement claire : les salariés, les chômeurs, les retraités et les jeunes qui ont voté « non » ont voulu marquer leur rejet, non seulement du texte proposé, mais surtout de la politique de régression sociale menée par le gouvernement Raffarin.
En outre, cette campagne électorale a été marquée par un débat particulièrement passionné, suscitant l’intérêt de larges couches de la population. C’est tout à fait symptomatique de la grande fermentation sociale qui existe dans le pays. La révolte et l’exaspération qui se développent au plus profond de la société ont trouvé dans ce référendum une occasion de s’exprimer. Et les choses ne s’arrêteront pas là. Face à la crise du capitalisme et à la dégradation constante des conditions de vie de la majorité de la population, il est clair que de puissants mouvements sociaux éclateront dans les mois et les années à venir.
Face aux sondages qui annonçaient la victoire du « non », François Hollande, Jack Lang et les autres dirigeants socialistes partisans du « oui » n’ont cessé d’avertir, tout au long de la campagne : « Ce n’est pas une question de politique intérieure ! Attendons 2007 pour sanctionner la droite ! » Malheureusement pour eux, le rythme de la lutte des classes n’épouse pas le calendrier électoral. Brûlants de colère contre la droite et le patronat, les gens n’ont pas « attendu ». Au contraire, ils se sont empressés de leur infliger une nouvelle défaite.
Hollande insistait : « Mais cette constitution marque un progrès, de sorte que les gens risquent de voter contre leurs intérêts ! » Un progrès pour qui ? Les capitalistes européens ? Sans aucun doute : c’est pour eux qu’elle a été écrite. Les salariés, les exclus, les pauvres européens ? Certainement pas ! Il fallait la profonde cécité réformiste d’un François Hollande pour ne pas voir que cette Constitution était le prolongement direct des politiques de régression sociale qui sévissent sur l’ensemble du continent.
Dissolution de l’Assemblée nationale !
Cette grave défaite constitue la troisième, pour le gouvernement de droite, en l’espace d’un an. Après sa complète déroute aux régionales et aux européennes de 2004, il s’agit d’une nouvelle illustration de son irréversible impopularité.
Dans ce contexte, nous ne pouvons nous contenter d’un nouveau remaniement ministériel. Aux yeux de la majorité des salariés et de la jeunesse, il est clair que ce gouvernement n’est plus représentatif. Or, nous ne devons avoir aucune illusion dans la « nouvelle impulsion » gouvernementale dont parlent Chirac et ses acolytes. Dans le contexte économique actuel, celui d’une profonde crise du système capitaliste, la droite au pouvoir continuera coûte que coûte son œuvre réactionnaire. Aussi, n’en déplaise à François Hollande, nous ne devons pas attendre 2007 pour balayer Chirac et ses ministres. Dès aujourd’hui, la gauche doit mener campagne pour réclamer des élections législatives anticipées. Un tel mot d’ordre rencontrerait à coup sûr un écho favorable chez tous ceux qui sont exaspérés par les attaques de la droite, et qui à trois reprises l’ont massivement rejetée sur le plan électoral.
Renégocier ?
Parmi les partisans d’un « non » de gauche, l’idée d’une « renégociation » du traité a souvent été avancée. Pourtant, il est évident qu’une telle renégociation ne pourrait rien apporter de positif. Si elle a lieu entre partenaires qui défendent l’économie de marché et la loi du profit - comme c’est le cas de tous les gouvernements d’Europe -, on ne doit avoir aucune illusion dans leur capacité à promouvoir une « Europe sociale » : cela va à l’encontre de leurs intérêts. On ne peut demander aux capitalistes européens et à leurs représentants politiques d’introduire des éléments de progrès social dans la Constitution au moment où tous s’efforcent, dans leurs pays respectifs, de miner les acquis sociaux.
Face à cela, on avance parfois l’idée que des gouvernements de gauche pourraient aboutir à un meilleur texte. Mais plutôt que de batailler pour un texte « de gauche », il vaut mieux batailler pour réaliser le socialisme dans les faits. Il faut balayer la droite à l’échelle de toute l’Europe. Mais en France comme à l’échelle européenne, la question fondamentale reste : sur quel programme ? Après tout, la gauche est déjà au pouvoir en Allemagne, en Grande Bretagne et en Espagne. La question fondamentale, c’est bien celle de la politique menée par la gauche au pouvoir. Or, des gouvernements de gauche qui renonceraient à s’attaquer aux racines des tous les problèmes sociaux - c’est-à-dire à la domination de l’économie par une poignée de capitalistes - pourraient bien se réunir et signer la plus « sociale » des Constitutions de toute l’histoire, celle-ci ne serait qu’un inutile tas de papier au regard du problème central : qui contrôle les banques, l’industrie et la distribution ?
Souvenons-nous : il y a quelques années à peine, la majorité des pays d’Europe était gouvernée par des partis de gauche. Mais la soumission de ses partis aux intérêts capitalistes a rendu tout vrai progrès social impossible, en France comme à l’échelle Européenne. Les conséquences électorales en sont bien connues, et nous été récemment rappelées par la défaite cinglante de Schröder aux élections de Rhénanie du Nord-Westphalie - quelques jours avant que le parlement allemand n’approuve à une large majorité la Constitution européenne. Ceux qui, aujourd’hui, parlent de faire l’« Europe sociale » après avoir conquis le pouvoir dans leurs pays respectifs, doivent proposer un programme crédible permettant de ne pas tomber à nouveau dans cette impasse.
Or, c’est là que le bât blesse, y compris chez les dirigeants de gauche qui ont défendu le « non » à la Constitution. Prenons par exemple l’idée d’un « Smic européen ». Une telle proposition n’a de sens que si elle s’inscrit dans le cadre d’un programme qui s’attaque sérieusement à la main-mise des capitalistes sur l’économie. En effet, l’expérience prouve que, pour lutter contre des augmentations générales de salaire, les capitalistes disposent de toutes sortes de leviers : l’inflation, le chantage à l’emploi, la fuite des capitaux, etc. Ainsi, en dernière analyse, la question des salaires ne peut être résolue durablement sur la base d’un système où une poignée de nantis disposent à leur guise de l’appareil productif et financier. Et c’est justement pour cela qu’il faut le leur arracher et le placer fermement entre les mains des salariés.
Depuis des années, la soi-disant « construction européenne » s’accompagne d’une destruction systématique des nos acquis sociaux. La seule alternative à l’Europe actuelle est une Europe socialiste, dans laquelle les secteurs clés de l’économie seront sous le contrôle démocratique des salariés. Pour y parvenir, un première tâche s’impose en France : nous devons lutter pour que le PS et le PCF s’orientent fermement vers l’unique issue hors de l’impasse actuelle : la transformation socialiste de la société.