Hénin-Beaumont pourrait-elle devenir le nouveau Vitrolles du Pas-de-Calais ? Dans le bassin minier lensois, tout le monde se pose la question. Depuis le 21 avril 2002, les journalistes se pressent autour de Steeve Briois, un jeune trentenaire conseiller municipal d’Hénin-Beaumont, conseiller régional et secrétaire de la fédération FN du Pas-de-Calais. Il rêve de s’emparer de la mairie d’Hénin-Beaumont en 2008.
En 2002, les candidats du FN ont affronté les candidats socialistes au second tour des législatives dans les 4 circonscriptions du bassin minier du Pas-de-Calais, où la droite est partout inexistante. Dans la XIVe circonscription, celle d’Hénin-Beaumont, Steeve Briois obtient 20 % des suffrages au premier tour et 33 % au second tour des législatives de 2002, contre le député socialiste sortant, Albert Facon. Dans la XIIIe circonscription, celle de Lens, Marine Le Pen a obtenu 24 % des voix au premier tour et 32 % au second tour contre le socialiste Jean-Claude Bois. L’UMP obtient un maigre 13 % à Lens et 7,67 % à Hénin-Beaumont où Jean Urbaniak, le maire « indépendant » de Noyelles Godault, député de 1993 à 1997, obtient 12 %.
Dans ces terres de gauche peuplées de cités minières, la droite ne parvient pas à exister. Aux élections municipales, il n’y a pas de listes de droite, mais des listes « indépendantes » qui ne trompent personne et qui rallient le camp majoritaire sitôt l’élection passée.
A Hénin-Beaumont, c’est Jean-Marc Legrand, chef de file des « indépendants », qui obtient 9,73 % des voix au premier tour des élections municipales de 2001, et qui rallie aussitôt le socialiste dissident Gérard Dalongeville et sa majorité PCF-MDC-Verts. Jean-Marc Legrand est nommé adjoint à la sécurité et ne présentera pas de liste en 2008. Jacques Nowak, lui, a rompu avec Gérard Dalongeville. Ce socialiste avait été exclu du PS en même temps que Gérard Dalongeville qui avait osé se présenter contre le maire socialiste sortant, Pierre Darchicourt. Mais Jacques Nowak a très tôt reproché à Gérard Dalongeville son ingratitude et son clientélisme et a pris sa carte à l’UDF. Dans le bassin minier, bien souvent, les « indépendants » sont d’abord des socialistes en rupture de ban…
A Carvin, c’est Michel Leleu qui rallie le socialiste Philippe Kemel pour ravir la mairie à la communiste Odette Dauchet, en échange de trois postes d’adjoints.
L’UMP tente tant bien que mal de s’organiser : dans la XIVe circonscription, elle a nommé un responsable de circonscription de 17 ans, Romain Plichon. Mais pour les législatives, le parti de Nicolas Sarkozy n’a rien pu faire d’autre que parachuter un inconnu, Nesredine Ramdani.
Alors, l’électorat de droite, les artisans, les commerçants et les innombrables déçus de la gauche se tournent vers le Front National. Le parti de Jean-Marie Le Pen a des atouts : il n’a même plus besoin de trop appuyer sur l’insécurité, mais il est encore capable, comme lors des émeutes de 2005 dans les banlieues, de prendre tout le monde de vitesse. Lorsque trois bus Tadao ont brûlé dans un hangar d’Hénin-Beaumont, en novembre 2005, il n’a fallu que quelques heures à Steeve Briois pour relayer l’information sur son blog et inonder la ville de tracts. Avec plus d’une centaine d’adhérents au FN héninois, Steeve Briois se targue d’être la première force politique de la ville.
Le Front National a des antennes partout. Quand le maire d’Hénin-Beaumont réunit la section socialiste qui lui est fidèle et annonce fièrement à ses adhérents que la Fédération Socialiste du Pas-de-Calais a tranché en sa faveur contre l’autre section socialiste, Steeve Briois est au courant. Quand le PCF refuse, après un temps d’hésitation, de rencontrer le MRC et le PRG héninois, Steeve Briois est au courant.
En 2002, le leader local du FN a même raconté qu’avant de devenir maire, Gérard Dalongeville, qui n’était encore que le directeur de cabinet de Pierre Darchicourt, l’avait rencontré une nuit, sur le parking du magasin Babou, pour lui remettre un épais dossier contre Pierre Darchicourt ! Gérard Dalongeville a nié en bloc, a menacé de porter plainte en diffamation, mais n’en a rien fait. Et pour cause : Steeve Briois avait pris la précaution d’emporter un magnétophone et a envoyé la cassette au journal La Voix du Nord… Les socialistes héninois s’en mordent les doigts, mais leurs divisions ont puissamment contribué à renforcer le Front National.
Les tracts du FN sont virulents et agressifs, mais ils sont efficaces. Dans une ville où le Parti Socialiste est divisé en deux sections ennemies et où les impôts locaux ont bondi de 85 % en 2003, Steeve Briois se présente comme le premier adversaire du maire d’Hénin-Beaumont. Il l’attaque dans tous ses tracts, le traite de « super-menteur », qualifie ses partisans de « pignoufs », lui fait procès sur procès. La stratégie est payante : aux élections cantonales de 2004, sur la partie héninoise du canton Hénin-Montigny, Steeve Briois a obtenu 30 % des voix au premier tour et 36,74 % au second, contre le maire et conseiller général socialiste de Montigny-en-Gohelle, Jean-Marie Picque. Jean-Marie Rousselle, le candidat de l’UMP, a obtenu un maigre 9,20 % et Edmond Bruneel, pour le PCF, 7,53 %.
Dans les cités minières, l’argumentaire du Front National a marqué des points. La déception vis-à-vis des partis de gauche est palpable. D’anciens électeurs communistes votent désormais pour le FN : « Il y a trop d’étrangers. Les jeunes, ils ne respectent plus rien. Dans la rue, avec leur scooter, ils font du bruit. Le soir, ils traînent en bande. Moi j’ai bossé toute ma vie et on en voit qui sont au chômage, qui ont 7 ou 8 enfants, qui ne se lèvent pas pour aller travailler et qui roulent en BMW. Il faudrait les renvoyer dans leur pays ! » Steeve Briois savoure sa victoire. Son discours s’est lissé, il se donne désormais une image de respectabilité.
En face, le Parti Communiste est bien seul pour attaquer le Front National. Mais le travail de terrain des communistes commence à payer. Le PCF héninois engrange les adhésions, organise des ventes au porte-à-porte de Liberté 62, dans les cités minières. Il est présent sur les marchés, avec un bulletin de section, et tient un blog depuis deux ans. Avec Ras l’front Lille et la Ligue des Droits de l’Homme, qui s’est implantée sur Hénin-Beaumont, le PCF héninois est de toutes les mobilisations contre le Front National.
Les autres forces politiques se concentrent sur la bataille municipale. Gérard Dalongeville prépare sa liste et ses alliances, défend son bilan, cependant que les socialistes qui lui sont restés hostiles lui réservent toutes leurs attaques.
Après Vitrolles, Toulon, Orange et Marignane, le FN peut-il s’emparer d’Hénin-Beaumont à la faveur d’une triangulaire, aux municipales de 2008 ? C’est la question que tout le monde se pose. Libération, Le Monde, Le Nouvel Observateur, Marianne, France Soir, Le Parisien : tous ont déjà envoyé des journalistes enquêter sur place. Même le très prestigieux Asahi Shimbun, le plus grand quotidien japonais, est venu interroger Steeve Briois.
Le bassin minier du Pas-de-Calais est devenu la vitrine du Front National. C’est là qu’il est le mieux organisé, c’est là qu’il fait venir Le Pen, c’est là qu’il envoie les journalistes qui veulent faire un sujet sur le FN.
Et si, en 2008, le bassin minier devenait plutôt le symbole du recul du Front National et du redressement du PCF ?