La victoire de la droite aux élections présidentielles et législatives est celle des ennemis les plus implacables des travailleurs, des jeunes et des retraités de France – y compris ceux qui ont voté pour elle.
Les leurres et les mensonges de la droite, massivement relayés par l’industrie audiovisuelle et la presse capitaliste, ont fini par payer. Le désespoir et la misère ont été exploités au profit de ceux qui en sont la cause. Les contre-réformes ont été présentées comme des réformes, le profit privé comme un bien commun, la réaction comme un progrès, les victimes de discrimination sociale et raciale comme des agresseurs et de la « racaille ». Sarkozy, qui incarne à la perfection l’arrogance, le mépris et l’esprit réactionnaire des capitalistes, a été présenté comme un révolté, un homme du peuple, le héraut de la « rupture » avec l’ordre établi. Il a été élevé au rang de vedette. On a eu Sarkozy sans cravate, en manches courtes, en jogging, en jean, en T-Shirt ; puis Sarkozy avec Johnny Hallyday et docteur Gyneco. On l’a même vu tenant la main de sa femme (revenue pour la circonstance), lui souriant tendrement – l’embrassant, même !
Ce pantomime écœurant prendra bientôt fin. La classe capitaliste n’a pas mis Sarkozy en selle pour jouer la comédie. Elle compte sur lui pour faire ce qu’elle reprochait à Chirac de ne pas faire – ou du moins pas assez. Aux yeux des requins capitalistes, l’offensive menée par Raffarin et de Villepin n’allait ni assez loin, ni assez vite. Tout ce qui tend à protéger les salariés, à atténuer leur exploitation, à freiner la cupidité patronale, doit être démantelé, balayé. Tout ce qui a été, à des degrés divers, soustrait à la loi du profit capitaliste – la santé, la sécurité sociale, l’éducation, les retraites – doit désormais y être soumis.
Sarkozy a beau se présenter comme le champion des opprimés et des « sans grade », dans la pratique, il mènera une politique dans l’intérêt exclusif de ceux qui possèdent les banques, les assurances, les grands groupes de l’industrie, des services et du commerce. Le capitalisme français est devenu complètement parasitaire. Non seulement il se dresse comme un infranchissable obstacle au progrès, mais il ne peut même plus s’accommoder des conquêtes sociales passées du mouvement ouvrier. Les capitalistes exigent la régression sociale permanente. Ils refoulent la société en arrière. Ils ont besoin d’un gouvernement qui défendra leurs intérêts avec acharnement, qui ne reculera devant rien. Telle est la mission de Sarkozy et de son gouvernement.
Instabilité sociale et politique
Les perspectives sociales, économiques et politiques qui se dessinent pour la France ne justifient aucunement le sentiment de démoralisation ou d’abattement que peuvent ressentir certains militants de gauche. La « popularité » de Sarkozy flanchera rapidement. Elle commence déjà à flancher, quelques semaines à peine après son élection, comme le montre l’opposition à la « franchise médicale » et à la soi-disant « TVA sociale » – une tentative flagrante de mettre une large part du fardeau fiscal sur le dos des ménages, tout en réduisant les impôts des riches. Très rapidement, l’édifice de subterfuges et de fausses promesses qui l’a hissé au pouvoir s’écroulera. Les millions de travailleurs et de jeunes qui lui sont déjà hostiles seront rejoints par des millions d’autres qui se sont laissés duper. Le fait que Sarkozy ait été obligé d’avancer masqué, caché sous le voile de « l’ouverture » et de la « réforme », est un élément de la fragilité de sa position.
Dans les sphères dirigeantes du PS et du PCF, on expliquait la défaite en disant que la société française « glissait vers la droite », que le comportement et la mentalité des travailleurs s’étaient « américanisés », qu’ils perdaient leurs « repères ». En un mot, si la gauche a perdu, c’est la faute de l’électorat ! Dans le prolongement de cette « théorie » bien commode, on annonce allègrement que la France entre dans une période de réaction plus ou moins longue, une « ère Thatcher ». Le résultat des législatives, qui montrent une progression de la gauche depuis 2002, devrait permettre d’atténuer l’impact de ce discours démoralisant. Quoi qu’il en soit, ce serait une grave erreur, à notre avis, de tirer de ces élections des conclusions hâtives sur les perspectives sociales et politiques pour la période à venir.
Une élection n’est jamais qu’une photographie – partielle et déformée – de la conscience des différentes strates de la population à un moment donné. Or, la conscience sociale est quelque chose d’extrêmement mobile, surtout dans une époque de déclin économique et social, comme aujourd’hui. La lutte des classes ne procède pas de façon linéaire. Après une phase de luttes, il y a souvent une phase de fatigue, d’indifférence. Mais compte tenu de la gravité de la crise sociale et économique, ces reculs ne peuvent être que temporaires. La dernière fois que la « théorie » du « glissement de la société vers la droite » était en vogue, dans les textes du PCF, c’était à l’époque des victoires électorales de Balladur et de Chirac, en 1993 et 1995. Or, quelques mois après la victoire de Chirac, nous avons vécu le plus grand mouvement de grève depuis les événements révolutionnaires de 1968. Dans l’histoire récente de la France, chaque fois que le pendule politique est allé vers la droite, il est revenu vers la gauche en l’espace de quelques mois, et parfois avec une vigueur redoublée. Il en sera de même cette fois-ci. L’instabilité sociale et politique, marquée par de brusques changements dans l’humeur des jeunes et des travailleurs, est précisément l’un des symptômes de l’impasse dans laquelle se trouve la société.
Si les élections avaient eu lieu au lendemain de la lutte contre le CPE, la droite aurait sans doute été battue à plate couture. Mais depuis, la droite a pu reprendre l’initiative, et reconquérir une fraction significative de l’électorat qu’elle avait perdu. La manipulation de l’opinion publique par les médias capitalistes y est pour quelque chose. Mais l’explication fondamentale du redressement de la droite réside dans la totale faillite politique des dirigeants du Parti Socialiste. La droite a remporté des élections qu’elle devait perdre.
Jamais, dans toute l’histoire du mouvement socialiste, le programme du PS n’avait été aussi vide, aussi conservateur, aussi proche de celui de la droite. Ségolène Royal a souligné avec insistance ses points d’accord avec l’UDF – dont le programme était, à son tour, identique à celui de l’UMP sur toutes les questions essentielles. Elle refusait de qualifier Sarkozy comme un adversaire. Elle en parlait comme « un partenaire qui, comme moi, fait des propositions dans l’intérêt de la France ». Les Kouchner, Besson et Bockel ont accepté des postes au gouvernement Fillon. Bien d’autres « socialistes » bourgeois, sortis du même moule politique, feraient de même si on le leur proposait. De réformistes, ils sont devenus des « réformistes sans réformes », pour finir comme de simples réactionnaires. En vérité, des gens comme Kouchner, Attali ou Védrine n’ont jamais été socialistes. Pour eux, le PS n’a jamais été autre chose qu’un instrument au service de leur propres carrières, une passerelle vers plus de richesses, plus de prestige et de pouvoir. C’est parce que le PS est encore dominé par de tels éléments que la droite a gagné les élections.
Ce ne sont pas les travailleurs qui ont « glissé vers la droite », mais les instances dirigeantes du Parti Socialiste – ainsi, malheureusement, que du PCF, avec un train de retard, mais avec des conséquences tout aussi graves. Les travailleurs n’évoluent pas « vers la droite », et nous ne sommes pas à la veille d’une longue période de réaction. Simplement, les difficultés qui écrasent des millions d’entre eux – chômage ou la menace du chômage, précarité, pauvreté, problèmes de logement, de santé, de discrimination raciale – sont trop graves, trop pressants, trop écrasants pour attendre. Si la gauche n’a rien de crédible à proposer, si la gauche ne leur offre aucune issue, ils peuvent tomber dans le panneau de démagogues comme Sarkozy ou Le Pen.
Mais le pendule reviendra vers la gauche, malgré tout. Le résultat des élections législatives en est déjà une première indication. D’ailleurs, il ne s’agit pas uniquement – ni même principalement – du pendule électoral. L’opposition viendra de la rue, des quartiers, des salariés dans les entreprises et les services publics. Elle viendra aussi des étudiants et des lycéens. Les horizons radieux dessinés par l’illusionniste Sarkozy et ses alliés médiatiques – où le mérite et l’effort de tous seront reconnus et récompensés, où les « patrons voyous » seront sanctionnés et où la pauvreté et les inégalités s’effaceront sous les effets d’une croissance économique retrouvée – ne seront jamais atteints. Le résultat d’une élection n’efface pas la sombre réalité d’un système en déclin. Sarkozy s’est assis sur un fauteuil sous lequel s’accumule une charge de plus en plus puissante de matériel social explosif.
N’oublions pas que Raffarin et de Villepin ont commencé, eux aussi, pleins de cette détermination arrogante qui caractérise le gouvernement actuel. S’ils ont déçu les capitalistes, c’est parce qu’ils ont compris qu’à force de vouloir « aller vite », ils risquaient de plonger le pays dans une situation pré-révolutionnaire. Le cours des événements, à l’époque de la tentative d’imposer le CPE, ressemblait beaucoup à celui qui a précédé la grève générale de 1968, à une différence près : la mobilisation de la jeunesse, en 2006, était encore plus massive, plus générale et mieux organisée que celle des étudiants de 1968. Si Chirac et de Villepin n’avaient pas fait marche arrière, ils auraient perdu tout contrôle de la situation. Ce n’est pas par hasard si Bayrou parlait, à l’époque, d’une « ambiance d’effondrement » au sommet de l’Etat.
De ce point de vue, le côté provocateur et agressif de Sarkozy inquiète les capitalistes eux-mêmes. Et voilà le dilemme des capitalistes. Ils veulent rétablir « l’équilibre » sur le plan économique, c’est-à-dire éliminer les obstacles (les conquêtes sociales) au bon fonctionnement de leur système. Mais, ce faisant, ils risquent de détruire « l’équilibre » social et politique dont dépend la survie du capitalisme. Ce qui garantie cet équilibre n’est ni la loi, ni les sacro-saintes « institutions » ou « valeurs » républicaines, mais l’inertie, l’inaction, la passivité de la masse de la population. Or, une politique de contre-réformes de l’ampleur et de la férocité de celle qu’exige le capitalisme français ne peut être mise en application sans ébranler l’organisme social jusque dans ses profondeurs, sans réveiller la masse jusqu’alors inerte de la population. Et c’est précisément ce réveil qui constitue l’essence d’une révolution.
Dans la gauche française, y compris dans les sections du PCF et du MJCF, on entend souvent des militants affirmer qu’ils ne croient pas au « grand soir ». Autrement dit, ils ne croient pas en la perspective, en la possibilité d’une révolution. En ce faisant, ils reprennent à leur compte une idée fortement enracinée dans les échelons supérieurs du parti. Pour les réformistes qui « dirigent » le PCF (de recul en recul), il n’y aura jamais de révolution socialiste, et ce n’est à leur avis même pas souhaitable. Pour eux, le capitalisme va pouvoir exister paisiblement ad infinitum, et le mieux qu’on puisse espérer est d’en limiter les conséquences négatives par des petites mesures « anti-libérales ». Pour la ridiculiser, la tourner en dérision, on présente la perspective d’une révolution comme celle d’un « grand soir », où les masses se soulèveraient soudainement et comme par enchantement, pour renverser l’ordre capitaliste.
Une révolution se caractérise par l’intervention de la masse de la population dans l’arène politique. Elle est marquée, d’une part, par des périodes de flux et de reflux, au cours desquelles la classe révolutionnaire apprend la nécessité d’en finir avec le capitalisme – et, d’autre part, par des moments décisifs. Mais une révolution n’est jamais l’affaire d’ « un soir ». La révolution russe, par exemple, comme la révolution française de 1789-1794 et comme toutes les révolutions, était un processus, qui s’est étalé de 1905 aux années 1920.
Or, ce type de processus révolutionnaire, comme celui actuellement en cours au Venezuela, en Bolivie, et ailleurs en Amérique latine – est-il une perspective à exclure, à ridiculiser même, en France ? Nous ne le croyons pas. Nous disons – nous, les marxistes du PCF, autour de La Riposte – que non seulement cette perspective n’est pas à exclure, mais que compte tenu de l’impasse dans laquelle se trouve le capitalisme, de l’impossibilité de trouver, sur la base du capitalisme, une solution aux problèmes tels que le chômage, la pauvreté et la régression sociale, cette perspective est même inévitable, à un certain stade. Les événements, en Amérique latine, montrent à l’Europe son propre avenir. Les mêmes causes produiront, à terme, les mêmes effets. Et ce processus, une fois sérieusement engagé en France, offrira au salariat et à la jeunesse la possibilité concrète d’en finir avec le capitalisme. C’est sur cette perspective que se base le travail de La Riposte et c’est sur elle que devrait se baser le travail du PCF tout entier, s’il veut accomplir la tâche historique qui doit être la sienne dans un tel contexte.
Le marasme économique
Le capitalisme français peut-il éviter la confrontation des classes ? Non, pas indéfiniment. La position du capitalisme français dans le monde ne cesse de se dégrader. L’unification de l’Allemagne s’est traduite par une nette diminution du poids spécifique du capitalisme français dans l’Union Européenne. Elle a été devancée par le Royaume-Uni dans le palmarès des grandes puissances européennes. Dans le reste du monde, ses parts de marché se réduisent partout, y compris dans ses anciennes « chasses gardées » africaines. En recul depuis longtemps face aux Etats-Unis et à l’Allemagne, le capitalisme français perd également du terrain face à la Chine, et ce sur tous les continents. La balance du commerce extérieur de la France a connu une dégradation spectaculaire. Alors que le solde était de +14,7 milliards d’euros en 2001 (en volume et en milliards d’euros, sur la base des prix de l’an 2000), il était successivement de +13,9 milliards en 2002, de +4,1 en 2003, de -7,2 en 2004 et de -20,8 en 2005. En dehors des ventes de matériel de transport, dont notamment l’Aéronautique, la France enregistre une baisse des exportations de pratiquement tous les types de marchandises.
Encore faut-il rappeler – et c’est loin d’être un détail – que cette stagnation et ce déclin économique caractérisent le capitalisme français alors que celui-ci n’a pas encore subi le choc colossal de l’inévitable ralentissement des économies de la Chine et des Etats-Unis ! Lorsque la crise de surproduction en gestation dans ces deux superpuissances se produira, le marasme économique actuel prendra, en comparaison, l’allure d’une véritable « belle époque » !
Mais l’expression la plus éloquente des véritables perspectives du capitalisme français se trouve peut-être dans le niveau des investissements. Toutes catégories confondues, l’évolution de l’investissement était négative en 2002 (-1,8%), et oscille depuis aux alentours de 3%. Plus grave encore, l’investissement industriel – d’une importance décisive pour l’ensemble de l’économie – n’a augmenté que de 1% en 2001, avant de stagner ou de baisserentre 2002 et 2006 (voir le tableau de l’INSEE ci-dessous). Au-delà des discours destinés au grand public sur la viabilité et l’efficacité du capitalisme, ces chiffres sont une preuve sans appel du peu de confiance qu’ont les capitalistes eux-mêmes dans l’avenir de leur système !
Il est vrai que les capitalistes réalisent des profits d’un niveau sans précédents. Mais cela ne fait qu’illustrer, justement, le caractère parasitaire du capitalisme. Car la croissance exponentielle des bénéfices des capitalistes français n’est pas la conséquence de la conquête de nouveaux marchés, mais plutôt de la réduction systématique des coûts par la sous-traitance (y compris à l’étranger), les délocalisations, la baisse des prix des matières premières, le recours au travail précaire, à des contrats aidés, l’externalisation des emplois, la baisse de la masse salariale et tout ce qui concourt au renforcement du taux d’exploitation des salariés – c’est-à-dire à l’augmentation de la part des richesses créées par le travail que conserve le capitaliste. Les profits augmentent sans développement significatif de l’économie nationale, et surtout au détriment des conditions de travail et du niveau de vie de la masse de la population.
Sarkozy veut que les travailleurs se réjouissent de l’idée que le taux de croissance pourrait augmenter, et nous promet un taux de croissance de 4% du PIB. Le gouvernement veut faire croire que la croissance du PIB entraînerait mécaniquement une croissance de l’emploi et du niveau de vie en général. Mais y a-t-il vraiment de quoi s’enthousiasmer, même dans l’hypothèse – au demeurant improbable – que cet objectif soit réellement atteint ? Au cours des 15 dernières années, le taux de croissance du PIB français a oscillé entre -1% et +4,1%. Depuis 2001, il n’a jamais dépassé 2,3%. Mais quelles que soient les variations du taux de croissance d’une année sur l’autre, le fait est que sur l’ensemble de cette période, il n’y pas eu un seul domaine – que ce soit celui de l’emploi, des conditions du travail, de la santé, de l’éducation, du logement ou des retraites – où on peut parler de progrès social. Bien au contraire, sur l’ensemble de cette période, les inégalités sociales se sont aggravées, la précarité de l’emploi s’est généralisée et les différentes manifestations de la « grande misère » sont devenues de plus en plus visibles, palpables.
Le déclin du capitalisme français signifie que la richesse et le pouvoir des capitalistes ne peuvent être maintenus qu’en effectuant, par tous les moyens possibles, une réduction de la part des richesses qui revient aux travailleurs et à leur famille, que ce soit sous la forme de salaires, d’allocations, de retraites, ou par le biais des dépenses de l’Etat sur la santé et l’éducation. Ceci serait tout aussi vrai sous un gouvernement de gauche – aussi « anti-libéral » fût-il dans ses intentions – que sous la droite. Dans la mesure où ses dirigeants ont renoncé à remettre en cause le capitalisme, si le Parti Socialiste avait remporté les élections, il n’aurait eu d’autre choix que de mettre sa politique économique et sociale en conformité avec les lois de ce système. Quant au PCF, son programme actuel est sous-tendu par une idée parfaitement insensée, selon laquelle il serait possible de maintenir le capitalisme tout en le faisant fonctionner suivant une « logique anti-capitaliste ». Pour maintenir et augmenter les profits des capitalistes, le travailleur est mis en concurrence, non seulement avec les autres travailleurs de France, non seulement avec les travailleurs d’Europe centrale, mais aussi – et d’une façon de plus en plus brutale et flagrante – avec la main d’œuvre de la Chine, de la Thaïlande, du Pakistan ou de l’Inde, avec la menace du chômage à la clé. Voilà ce que sont les véritables perspectives pour les travailleurs, sous le capitalisme, et ceindépendamment du taux de croissance. Et voilà ce qui est de notre devoir d’expliquer aux travailleurs et à la jeunesse, non seulement afin de contrecarrer la propagande trompeuse et mensongère de la droite et des médias, mais aussi pour leur faire comprendre l’impuissance du réformisme à notre époque, pour leur faire prendre conscience de la nécessité impérieuse de mettre fin à la domination de la classe capitaliste, de la nécessité du socialisme.
Le réformisme « anti-libéral »
Ceci nous amène à la question de l’avenir du PCF et de la gauche en général. Selon la presse capitaliste et les grands médias, le PCF n’aurait pas du tout d’avenir. Le parti y est présenté comme un anachronisme, une survivance désuète et inutile du passé. Que les apologues du capitalisme parlent du PCF en ces termes ne devrait surprendre personne. Cela n’a rien de scandaleux. Les défenseurs du capitalisme ne présenteront jamais le communisme ou le Parti Communiste sous un jour favorable. Ce qui est véritablement scandaleux, par contre, c’est que ce même discours soit repris et répandu par d’éminents représentants du parti lui-même, comme Jean-Claude Gayssot, connu pour les privatisations qu’il a pilotées pour le compte du gouvernement Jospin. Dans Le Parisien du 11 mai 2007, Gayssot déclare qu’il est temps « de dépasser la référence stricte au Parti Communiste » et demande « à quoi [il] servirait de prolonger des références qui n’ont plus d’avenir ». Patrick Braouezec, Pierre Zarka et leurs amis sont sur la même longueur d’onde.
Pour La Riposte, qui représente, de facto, la tendance marxiste dans le PCF, cette appréciation des perspectives du PCF est complètement fausse. Ou plus exactement, nous refusons catégoriquement l’idée selon laquelle il y aurait quelque chose d’inéluctable – c’est-à-dire d’inscrit dans les conditions objectives de notre époque – dans les reculs enregistrés par le parti au cours de la dernière période. Bien au contraire, compte tenu des perspectives réelles du capitalisme, de l’impossibilité d’empêcher la régression sociale dans le cadre de ce système, et compte tenu de l’ampleur des mobilisations des travailleurs et des jeunes qui nous attendent dans les années à venir, les conditions objectives qui existent en France sont favorables au PCF. Le virage vers le coalitionnisme voulu par la direction du PS – s’il n’est pas bloqué par la base socialiste – devrait ouvrir un espace de développement encore plus important pour le parti.
Mais entre un développement potentiel et un développement réel, il n’y a rien d’automatique. Encore faut-il que le programme et la stratégie du parti tiennent pleinement compte de l’impasse du capitalisme – et donc du réformisme – et propose un programme révolutionnaire pour mettre fin à la propriété capitaliste des grands moyens de production. L’affaiblissement du PCF n’est pas la conséquence de conditions objectives défavorables, mais celle de son évolution politique interne.
Contrairement à ce que prétendent des liquidateurs tels que Gayssot, Hue et Braouezec, le problème n’est pas le communisme ou le marxisme, qui selon eux n’auraient plus d’avenir. Au contraire, le problème est précisémentl’abandon du communisme par les dirigeants du parti. Le comportement servile des dirigeants du PCF au gouvernement (en 1981-1984 et en 1997-2002) a convaincu l’électorat communiste – ainsi que la majorité de la couche la plus militante et combative du salariat, qui formait le socle de sa base sociale traditionnelle – que malgré le ton plus radical de son discours, le PCF ne représente pas, dans la pratique, une alternative sérieuse au réformisme du Parti Socialiste. A leurs yeux, un PCF qui a cautionné des privatisations, et bien d’autres mesures totalement incompatibles avec les intérêts des travailleurs, ne sert à rien.
Progressivement vidé de tout ce qui ressemblait de près ou de loin aux idées du socialisme révolutionnaire, le programme du PCF est devenu de plus en plus ouvertement réformiste, de plus en plus proche, sur les questions essentielles, de celui du Parti Socialiste, précisément à une époque où, au gouvernement comme dans l’opposition, le réformisme « socialiste » a démontré sa faillite. La lutte pour en finir avec le capitalisme a été remplacée par le langage confus et insipide du réformisme « anti-libéral ». Les textes du parti sont parsemés de notions abstraites et farfelues puisées dans le charabiapetit-bourgeois et « altermondialiste » de groupements comme ATTAC ou la Fondation Copernic. La réalisation du socialisme a été remplacée par l’illusion d’une possible économie capitaliste « équitable », la lutte contre l’impérialisme par le « dialogue Nord-Sud », la nationalisation des banques et des entreprises par une véritable usine à gaz de propositions « régulatrices ». Le programme du parti offre des « bonus » et des crédits moins chers aux capitalistes qui se comportent bien, et menace les capitalistes « irresponsables » d’amendes et de taxes punitives.
Chaque pas dans la direction de ce réformisme timide a été naturellement applaudi et encouragé par les rédactions de la presse « bien pensante », ainsi que par les incorrigibles petits bourgeois et autres « bovistes » surexcités qui grouillaient dans les « collectifs anti-libéraux ». « Enfin, le PCF se débarrasse de ses dogmes ! », disent-ils. « Mais encore un effort ! ». Cependant, auprès des travailleurs, des militants syndicaux dans les entreprises, et auprès de la masse des victimes du capitalisme, c’est-à-dire auprès des gens qui nous intéressent, il est pratiquement impossible de défendre ce programme. Ce n’est tout simplement pas crédible. Et c’est pour cette raison que les militants qui se sentent capables de l’assumer sont de moins en moins nombreux.
A une époque où, dans toutes les entreprises, la moindre baisse de rentabilité fait planer sur les travailleurs la menace d’une réduction des effectifs, d’une délocalisation ou de la fermeture pure et simple de l’établissement, le réformisme « anti-libéral » propose d’imposer aux employeurs toutes sortes de restrictions, d’obligations et de pénalités plus ou moins coûteuses, mais n’ose pas poser la question de la propriété de l’entreprise. Car voyez-vous, la nationalisation, l’expropriation des capitalistes, la gestion démocratique de l’économie par les travailleurs eux-mêmes, en un mot tout ce qui constitue un programme véritablement communiste et révolutionnaire, ce ne sont pas là des « idées modernes » ! En conséquence, les travailleurs – y compris les sympathisants du PCF – finissent par hausser les épaules, en se disant : « C’est gentil d’avoir pensé à nous. Mais si on appliquait ne serait-ce que le quart de ces mesures, ici, le patron mettrait la clé sous la porte dès le lendemain ! ». Si le capitalisme est le seul système possible, se disent de nombreux travailleurs – et qui dira le contraire, puisque même le Parti « Communiste » ne remet plus en question la propriété capitaliste ? – alors il va falloir faire avec, être réaliste, ne pas demander trop, baisser la tête et espérer au moins conserver son emploi le plus longtemps possible. Dénoncer les patrons, proposer des mesurettes destinées à nuire à leurs intérêts, à réduire leurs profits, à leur imposer des restrictions de toutes sortes, mais laisser leur pouvoir intact – le pouvoir de la propriété –, c’est un programme qui finirait par se retourner contre les salariés eux-mêmes.
Cela ne signifie pas, bien évidemment, que le mouvement communiste ne doit pas présenter un programme de revendications « immédiates » dans les domaines économique et social. Bien au contraire : le PCF se doit d’être en première ligne de tous les combats pour l’extension des droits, la défense des acquis et l’amélioration des conditions de vie des salariés, de la jeunesse, des chômeurs et des retraités. Il ne s’agit pas de rester les bras croisés, en se limitant à l’affirmation de la nécessité du socialisme. Par contre, il faut affirmer et expliquer cette nécessité, en la mettant en rapport avec les luttes plus « immédiates », plus « concrètes ». Par la propagation du programme et des idées du socialisme révolutionnaire, le PCF et le MJCF contribueraient grandement à l’éducation politique des travailleurs et des jeunes, leur donnerait un programme, un projet de société, un but, une alternative claire au capitalisme.
Quelle est donc l’approche générale qu’il faut adopter envers les travailleurs, afin d’élever leur niveau de conscience politique et de les aider à se libérer de leurs illusions réformistes ? Il faut leur dire, en substance, qu’ils peuvent compter sur nous, les communistes, pour les appuyer, pour lutter coude à coude avec eux sur tous les fronts : défense de l’emploi, pouvoir d’achat, droit au travail, droits politiques, conditions de logement, éducation, santé, la lutte contre le racisme, etc. Il faut leur dire qu’au niveau national, les communistes s’efforceront de présenter une plateforme revendicative qui donne une expression générale à leur objectifs et aspirations dans ces différents domaines : réduction de la semaine du travail, indexation des salaires sur le coût de la vie, gel des loyers, construction de logements sociaux, droit de vote des étrangers – entre autres. Mais en même temps, il faut faire clairement comprendre au plus grand nombre possible des travailleurs et des jeunes qu’il s’avèrera impossible de défendre leur niveau de vie, quel que soient le nombre et l’ampleur des luttes qu’ils peuvent mener, tant que le pouvoir économique reste entre les mains des capitalistes. Tant que ce pouvoir existe, ce que les travailleurs gagnent aujourd’hui sera perdu demain, et les attaques qui sont repoussées aujourd’hui se reproduiront demain. C’est pourquoi les communistes doivent compléter leur programme par la revendication de la nationalisation de toutes les banques, des compagnies d’assurance et de crédit, ainsi que de tous les grands groupes du secteur industriel, du commerce, des services et des communications, qui doivent être arrachés des mains des capitalistes et placés directement sous le contrôle et la direction des travailleurs eux-mêmes, à tous les niveaux.
Bien évidemment, ce programme ne sera pas immédiatement compris et accepté par tous les travailleurs et toute la jeunesse. Mais s’il est correctement expliqué, faits et chiffres à la clé, et en s’appuyant sur l’expérience collective et pratique des travailleurs eux-mêmes – qui savent bien, justement, que leurs acquis sont constamment menacés –, ce programme obtiendrait l’adhésion d’une fraction importante de la couche la plus consciente, la plus avancée et militante de notre classe. Auprès de ceux qui le trouveraient dans un premier temps trop radical, trop extrême, les communistes auront au moins planté un drapeau, un point de référence, un programme. Et au fur et à mesure que les explications et les perspectives des communistes seraient confirmées par le cours des événements, les travailleurs seraient de plus en plus nombreux à le soutenir, surtout dans des conditions de luttes massives comme celles qui ont eu lieu contre les retraites et contre le CPE. C’est ainsi que le PCF pourrait commencer à sérieusement renforcer sa base de soutien chez les jeunes et chez les travailleurs les plus conscients et combatifs – et, à travers eux, à reprendre plus profondément racine dans le mouvement ouvrier, dans les quartiers et dans les entreprises.
Le PCF peut remonter la pente ; il doit remonter la pente. La situation actuelle lui offre d’énormes possibilités, à condition de tourner le dos aux idées décousues du réformisme « anti-libéral » et de l’« économie équitable », qui ne peuvent que semer davantage de confusion, et de se réarmer politiquement sur la base des idées du marxisme et du programme du socialisme révolutionnaire.
C’est dans ce sens que La Riposte veut pousser le parti. Elle travaille à défendre les idées du marxisme dans le parti et dans la jeunesse. Les idées deLa Riposte répondent aux attentes et aux aspirations de nombreux communistes, dans le MJCF comme dans le parti. Pour poursuivre sa tâche, elle a besoin de leur aide, de leur soutien actif, de leur participation. Il y va de l’avenir du parti. Car si le PCF, comme le souhaitent manifestement certains, se laissait entraîner vers une politique qui s’accommode encore plus du système capitaliste, il ne serait jamais autre chose que la cinquième roue de la social-démocratie, et perdrait encore du terrain.
Et au-delà de l’avenir du parti, c’est celui des travailleurs et des jeunes qui est en jeu. Le Parti Communiste doit redevenir un parti révolutionnaire, dans son programme, dans son action, dans son tempérament. Le capitalisme n’offre plus que la régression, le déclin, la crise permanente, la destruction des conquêtes sociales. Aucune société ne peut continuer indéfiniment sur cette pente. Le socialisme n’est donc pas une utopie, mais une nécessité. La tâche des communistes est de se mettre en phase avec cette nécessité et de lui donner une expression concrète dans leur programme, dans leur théorie et dans la pratique.