A l’heure où nous écrivons ces lignes (25 avril), la grève des cheminots et la mobilisation étudiante se maintiennent à un niveau élevé, malgré les violences policières et la propagande incessante, hostile, insultante, des grands médias. Par ailleurs, des grèves éclatent, chaque jour, dans différentes entreprises et services publics. Bien sûr, ces grèves passent sous les radars médiatiques. Mais leur multiplication confirme qu’il s’agit du début d’un mouvement général contre l’austérité salariale, la dégradation des conditions de travail, le manque de personnel – et tant d’autres problèmes qui prennent différentes formes concrètes, selon les secteurs, mais découlent tous de la même offensive de la classe dirigeante et de ses gouvernements successifs.
Les conditions objectives
On ne peut prévoir si le nombre de grèves augmentera, dans les semaines à venir, ni si la grève des cheminots et la mobilisation étudiante se renforceront. Il s’agit d’une lutte entre des forces vivantes, pas d’une équation mathématique. Mais n’oublions pas que la France est le pays de Juin 36 et de Mai 68, deux puissantes grèves générales illimitées – avec occupation – qui se sont développées à l’initiative des travailleurs et des militants syndicaux de base, sans que la moindre impulsion ne soit donnée par les directions confédérales des syndicats.
Dans les deux cas, ces crises révolutionnaires furent préparées par une longue accumulation de colère et de frustrations, dans les profondeurs de la classe ouvrière. En 1936, il y avait les conséquences de la grave crise économique (flambée du chômage, misère croissante) et la double menace du fascisme et d’une nouvelle guerre mondiale. En 1968, il y avait une exploitation brutale, dans les entreprises, de longues semaines de travail pour des salaires misérables – malgré deux décennies de croissance économique et de profits records.
Et aujourd’hui ? C’est très clair. Avant même que n’éclate la crise mondiale de 2008, les conditions de vie de la grande majorité de la population française reculaient. Depuis 2008, la régression sociale s’est accélérée, le chômage a bondi, le patronat est passé à l’offensive, les contre-réformes se sont succédé. Et dans ce contexte, alors que l’exaspération des masses mûrit depuis plus d’une décennie, Macron se présente, drapé dans son infaillible arrogance, et déclare la guerre à toutes les catégories de la population – à l’exception de ses maîtres, les grands capitalistes.
Le rôle des directions syndicales
Ainsi, les conditions objectives d’une intensification de la lutte des classes sont réunies. Malheureusement, les dirigeants officiels de notre classe – et en particulier les dirigeants syndicaux – ne sont pas à la hauteur de la situation. Nous l’avons souvent souligné dans les pages de ce journal. Parfois, des lecteurs nous répondent : « Ce n’est pas aussi simple ! Si les travailleurs ne veulent pas se mobiliser, les dirigeants syndicaux n’y peuvent rien. Ils font ce qu’ils peuvent. »
Non, précisément : ils ne font pas tout ce qu’ils peuvent pour exploiter au maximum le potentiel de mobilisation de notre classe. Voici une première chose qu’ils pourraient faire, mais ne font pas : expliquer à tous les salariés que le gouvernement Macron ne reculera sur rien – y compris sur la casse de la SNCF – tant qu’un mouvement de grève reconductible ne se développera pas dans plusieurs secteurs clés de l’économie. En l’absence d’un tel mouvement, rien ne sortira des soi-disant « concertations » avec le gouvernement, sinon quelques concessions de troisième ordre et prévues de longue date, sortes de miettes jetées aux dirigeants syndicaux pour leur éviter de perdre complètement la face.
S’ils reconnaissaient et expliquaient la réalité du rapport de force avec le gouvernement Macron, les dirigeants syndicaux pourraient lancer une campagne nationale, secteur par secteur, entreprise par entreprise, pour proposer un plan d’action, sonder la combativité des salariés et rechercher les voies de la mobilisation la plus large, à l’appui d’un programme offensif unifiant l’ensemble des revendications sectorielles. Nous ne disons pas que le succès en serait garanti : on ne peut vérifier la combativité des salariés que dans la lutte elle-même. Nous disons que ce n’est pas fait – et qu’au lieu de cela, les directions syndicales nous baladent de « journées d’action » en « journées d’action », ou annoncent des mobilisations sectorielles déconnectées les unes des autres.
Par exemple, les dirigeants syndicaux de la Fonction publique annoncent des mobilisations à compter du 22 mai. Mais les cheminots ont commencé leur grève le 3 avril ! Ils doivent donc tenir jusqu’au 22 mai ? C’est absurde. Les cheminots ne pourront pas l’emporter si leur mouvement reste isolé. De même, les travailleurs de la Fonction publique ne pourront pas repousser l’offensive du gouvernement – qui veut supprimer 120 000 postes de fonctionnaires – sans le soutien d’autres secteurs.
Politiser la lutte
Enfin, il est indispensable de politiser les luttes en cours. La « convergence des luttes » doit se donner comme objectif de faire échec à toute la politique réactionnaire du gouvernement. En effet, il est clair que même s’il devait reculer temporairement sur telle ou telle contre-réforme, le gouvernement repartirait à l’offensive à la première occasion. On ne peut pas se limiter aux luttes défensives imposées par notre adversaire. Il faut passer à l’offensive. La lutte gréviste et les mobilisations de la jeunesse trouveraient un puissant levier dans la perspective de renverser le gouvernement Macron, c’est-à-dire de le pousser à la dissolution de l’Assemblée nationale.
Lorsque des journalistes demandent à Philippe Martinez (CGT) s’il veut « renverser le gouvernement », il répond que non, que ce n’est pas son « rôle ». Pourtant, la direction de la CGT a – ou, plutôt, devrait avoir – un « rôle » central dans la lutte pour faire tomber le gouvernement, car cela suppose un puissant mouvement de grèves reconductibles. Les manifestations politiques, comme celle du 5 mai, sont utiles et montrent la voie, mais à elles seules, elles ne suffiront pas. Sous prétexte de « ne pas faire de politique », Martinez renonce donc à ses responsabilités.
La mobilisation politique contre le gouvernement doit reposer sur un programme de gauche offensif, qui s’attaque à la racine des problèmes. Au fond, toutes les attaques du gouvernement – contre les étudiants, les fonctionnaires, les salariés du privé, les retraités et les chômeurs – ont la même source, la même justification : défendre et accroître les profits des parasites géants qui possèdent les banques, la grande industrie, la grande distribution et autres leviers de l’économie. La domination de cette classe est incompatible avec les conquêtes sociales du mouvement ouvrier depuis la fin de la Deuxième Guerre mondiale. Les capitalistes veulent nous renvoyer aux conditions de vie des années 30, voire du XIXe siècle. Pour les en empêcher, nous devrons leur arracher le pouvoir économique, les exproprier, placer l’économie sous le contrôle démocratique des salariés et, ainsi, engager la transformation socialiste de la société.
Cela peut sembler trop radical ou « utopique ». Mais c’est pourtant le seul programme réaliste – comme l’a démontré, il y a deux ans, la faillite du réformisme de Syriza, en Grèce. Et nous sommes convaincus que l’expérience concrète de la lutte des classes, en France et à l’échelle internationale, finira par en convaincre une majorité de travailleurs.
Sommaire
Les conditions de la victoire - Edito du n°25
Grève des cheminots : « Faire barrage à Macron et son monde »
Femme et salariée ? Doublement exploitée !
Forces et faiblesses de la mobilisation étudiante
Comment répondre aux violences de l’extrême droite ?
Catalogne : mobilisations massives pour la libération des prisonniers politiques
L’incarcération de Lula et la lutte des classes au Brésil
Frappes en Syrie : une gesticulation impérialiste de plus
Extrait de nos « Perspectives mondiales »
Mai 68 : une révolution manquée
L’année 68 : un mouvement mondial
La révolution peut-elle être pacifique ?