La victoire électorale de Jair Bolsonaro, au Brésil, est la plus récente expression d’un phénomène international : l’extrême droite progresse dans de nombreux pays.
L’élection de Donald Trump, fin 2016, avait envoyé une onde de choc à travers le monde. Un an plus tard, un parti d’extrême droite allemand (l’AfD – « Alternative pour l’Allemagne ») entrait au Parlement avec 94 députés. En Italie, La Ligue de Matteo Salvini n’a cessé de progresser dans les sondages. En France, le parti de Marine Le Pen se maintient à un haut niveau d’intentions de vote.
On pourrait donner d’autres exemples (Hongrie, Pologne, Autriche, Suède...). Bien sûr, il y a parfois des causes spécifiques liées aux contextes nationaux. Dans les anciens pays du Bloc de l’Est, en particulier, la restauration du capitalisme a eu d’énormes conséquences sur l’état du mouvement ouvrier. Mais par-delà ces particularités, les causes fondamentales sont partout les mêmes : la poussée de l’extrême droite, chaque fois, exprime le même rejet des partis traditionnels (de droite ou « de gauche ») qui se sont succédé au pouvoir, ces dernières décennies, sans régler un seul des problèmes des masses (chômage, pauvreté, services publics délabrés, etc.). Au contraire, tous ces problèmes se sont aggravés, surtout depuis la crise de 2008. Dès lors, la démagogie « anti-système » de l’extrême droite trouve un terrain favorable, y compris dans une fraction de l’électorat ouvrier.
Une loi générale
On ne peut rien comprendre à la poussée de l’extrême droite si l’on n’analyse pas aussi l’état des partis de gauche. C’est une loi générale : plus la gauche est discréditée du fait de sa modération et de ses compromissions, plus l’extrême droite est en situation de progresser. L’Italie et le Brésil en sont des exemples chimiquement purs. En Italie, les dirigeants de la gauche réformiste l’ont détruite. Au Brésil, l’incarcération de Lula a joué un rôle, bien sûr, mais cela n’enlève rien au fait que son parti, le PT, est profondément discrédité après avoir gouverné – c’est-à-dire géré le capitalisme – pendant treize années.
Aux Etats-Unis, en 2016, Donald Trump avait beau jeu de désigner Hillary Clinton comme la « candidate du système », car elle-même le revendiquait haut et fort. De fait, Clinton et son Parti Démocrate sont de droite, à tous points de vue. Mais si Bernie Sanders, qui se réclamait du « socialisme », avait maintenu sa candidature au lieu de se rallier à Clinton, il aurait fait un score très important. Car la loi générale formulée ci-dessus admet sa réciproque : plus la gauche est perçue comme offensive, radicale, « anti-système » et anti-austéritaire, plus elle est susceptible de gagner le soutien des couches les plus exploitées de la population – et donc de limiter la progression de l’extrême droite. Il y a une polarisation politique non seulement vers la droite, mais aussi vers la gauche. Cependant, pour que celle-ci se manifeste pleinement, il faut qu’une force politique de gauche sache donner une expression à l’exaspération des masses.
C’était le cas, en Grèce, à l’époque de l’ascension de Syriza (avant la capitulation de Tsipras en juillet 2015). C’était aussi le cas en Espagne entre 2014 et 2016, lors de l’ascension de Podemos – dont les difficultés actuelles sont précisément liées aux vacillations récentes de ses dirigeants. C’est le cas aujourd’hui en Grande-Bretagne, où Jeremy Corbyn, qui vient de l’aile gauche du Labour, est en bonne position pour gagner les prochaines élections législatives. Enfin, les 20 % de Mélenchon, en avril 2017, reflétaient le même processus de radicalisation. C’est d’ailleurs ce qui explique les attaques politiques dont la France insoumise est l’objet, sous couvert de « justice ».
Une conclusion limpide en découle : pour lutter contre l’extrême droite, il faut d’abord et avant tout défendre une alternative de gauche radicale. Sans cela, tous les discours sur le « vivre ensemble », la fraternité universelle et autres abstractions n’auront aucun impact sur les millions de jeunes et de travailleurs qui veulent renverser la table. La gauche qui défend le statu quo est condamnée aux défaites, car c’est précisément le rejet du statu quo qui progresse dans la population.
La gauche doit défendre un programme de rupture avec le « système ». Et pour que ce programme soit réaliste, c’est-à-dire applicable, il doit mettre à l’ordre du jour la rupture avec le capitalisme lui-même. La capitulation de Tsipras, en Grèce, nous a rappelé que dans un contexte de crise, la mise en œuvre d’un programme de réformes progressistes est impossible sur la base du capitalisme, autrement dit sans une révolution socialiste. Pour le moment, cette idée est très minoritaire au sein du mouvement ouvrier. Mais l’expérience concrète en démontrera la validité aux yeux d’un nombre croissant de jeunes et de salariés.
La CGT et le 17 novembre
Ce qui précède ne concerne pas seulement les partis de gauche, mais aussi le mouvement syndical. Au Brésil, par exemple, l’incapacité des dirigeants syndicaux à mobiliser contre les attaques du gouvernement Temer a joué un rôle dans la victoire de Bolsonaro. Lorsque les dirigeants du mouvement ouvrier reculent, ses pires adversaires avancent.
En France, les dirigeants syndicaux nous promènent de « journées d’action » en « journées d’action », depuis plus de dix ans, sans le moindre résultat. Ils refusent de préparer un large mouvement de grèves reconductibles, qui est pourtant la seule voie pour faire reculer le gouvernement. Pendant ce temps, Macron enchaîne les contre-réformes, taxe les pauvres et gave les riches. C’est dans cette situation d’impasse stratégique du mouvement syndical que des appels à « bloquer le pays », le 17 novembre, ont émergé et connu du succès. Quelle a été la réaction de la direction de la CGT (pour ne rien dire des autres) ? Elle a publié un communiqué qui dénonce les « ressorts obscurs » de ces appels « tapageurs », y décèle un « danger pour le monde du travail » et, au passage, défend notre « modèle social et républicain ». Hélas, au moment de payer un plein d’essence, notre soi-disant « modèle républicain » ne nous est pas d’un grand secours !
La direction de la CGT dénonce à juste titre les « manœuvres » de l’extrême droite autour du 17 novembre. Mais d’une part, l’origine et le succès des appels dépassent largement l’influence de l’extrême droite. D’autre part, la colère qui s’exprime est absolument légitime. Qu’est-ce que la direction de la CGT propose pour donner à cette colère une expression de classe claire et combative ? Rien de concret. Il faut « se mobiliser massivement dans les entreprises », affirme le communiqué. Quand ? Sous quelle forme ? On ne sait pas. C’est une formule creuse, car la direction de la CGT ne propose aucune autre forme de mobilisation, au plan national, que les sempiternelles « journées d’action ».
Enfin, le communiqué de la CGT reproche aux appels pour le 17 novembre de n’avoir pas de « réelle ambition de bloquer l’économie ». Mais quand la direction de la CGT a-t-elle affiché pareille ambition – et, surtout, proposé une voie pour la mettre en pratique ? Jamais. C’est pourtant son rôle ! Cette critique lui retombe donc sur la tête.
On ne peut prédire ce que donnera la mobilisation du 17 novembre. Mais dans tous les cas, cet épisode doit servir d’avertissement aux militants de gauche et syndicaux : si nos organisations ne sont pas capables de donner une expression claire et combative à l’exaspération des masses, les « manœuvres » de l’extrême droite pourraient bien être couronnées de succès, à la longue.
Sommaire
Comment lutter contre l’extrême droite ?
Ma journée de travail dans la restauration rapide
Macron offre les Aéroports de Paris au patronat
Contre la fermeture de Ford Blanquefort !
Le ministère des Sports au régime sec
Retraites : le projet du gouvernement – et notre programme
Loi ELAN : le logement social en péril
Vers une nouvelle récession mondiale
Macron et le Yémen
Allemagne : la fin de la stabilité
Leçons du Brésil
La lutte des salariés de McDonald’s aux Etats-Unis
La révolution allemande de 1918-1923 - Première partie
Qu’est-ce que le fascisme ?