Une Convention de la France insoumise (FI) s’est tenue à Bordeaux le 8 décembre dernier. Révolution était invitée à y tenir une table de presse.
Cet événement était principalement organisé pour discuter du programme du mouvement pour les élections européennes – et de la composition de sa liste, qui sera emmenée par Manon Aubry et Manuel Bompard.
Mais cette réunion avait lieu pendant le pic de la mobilisation des gilets jaunes (l’acte IV), qui était dans toutes les têtes et animait les discussions en marge de la Convention elle-même.
La structuration démocratique
En effet, l’irruption des gilets jaunes dans l’arène politique reflétait, comme dans un miroir, les préoccupations concrètes qui se posent à la fois aux gilets jaunes et à la FI.
Lors de nos discussions avec les délégués, on a entendu beaucoup de critiques et des doutes sur le fonctionnement démocratique du mouvement. Clairement, trois ans après la création de la FI, la nécessité d’organiser des discussions démocratiques impliquant tous les militants se fait de plus en plus sentir, à la base.
Les militants insoumis sont tiraillés entre la crainte de revivre les affres des partis traditionnels et la crainte de voir une partie du mouvement se démoraliser et se disloquer, faute d’une organisation à la hauteur des enjeux. La conquête du pouvoir et la mobilisation de toutes les forces disponibles pour changer la société sont impossibles sans une organisation puissante et démocratique.
Une démocratie interne saine et efficace peut et doit être organisée. Pour cela, rien de tel que des discussions basées sur des textes, qui permettent de connaître les idées proposées par les dirigeants, d’éventuellement les critiquer et les corriger, pour ensuite les valider par des votes. De même, les camarades qui dirigent le mouvement doivent être élus – et révocables – par la base. Le contrôle de l’organisation par les militants est la condition de leur pleine implication, d’une part, et d’autre part le seul moyen de lutter contre toutes les pressions idéologiques qui s’exercent sur les sommets du mouvement, en permanence.
La stratégie
Ceci dit, le débat sur la structuration du mouvement ne doit pas faire oublier celui – très important – qui porte sur sa stratégie politique. La FI a soutenu la mobilisation des gilets jaunes depuis le début, ce qui est tout à son honneur. Mais au fil des semaines, elle a fini par se trouver en retrait par rapport aux tâches objectives qui s’imposaient. Mélenchon demandait à Macron de mettre en œuvre un certain nombre de mesures progressistes – ou, à défaut, de dissoudre l’Assemblée nationale. Mais il était clair qu’en l’état du rapport de force, Macron ne ferait ni l’un ni l’autre, et maintiendrait sa ligne : répression brutale – et concessions mineures.
La direction de la FI a critiqué, à juste titre, l’attitude scandaleuse des directions syndicales, qui ont dénigré le mouvement et recherché une « sortie de crise » à leur manière : par des « négociations » avec le gouvernement. Mais Mélenchon et ses camarades auraient dû aller plus loin et expliquer la nécessité, pour faire plier Macron, de préparer un vaste mouvement de grèves reconductibles.
La « révolution citoyenne »
Le problème, c’est que les dirigeants de la FI interprètent le mouvement des gilets jaunes comme une illustration de leurs thèses sur la « révolution citoyenne ». D’après ces thèses, il n’y aurait plus aujourd’hui de « centralité » de la classe ouvrière, qui aurait cédé la place à un nouvel « acteur historique » : le peuple. Dès lors, l’action indépendante des travailleurs, par la grève, n’est plus considérée comme décisive, dans la lutte contre la réaction.
Autre problème : cette position de la FI la place à la remorque des illusions « démocratiques » – tout à fait logiques, au début d’un processus révolutionnaire – que l’on retrouve dans le mouvement des gilets jaunes. Le « suivisme » de la FI à l’égard du RIC en est l’illustration.
Révolution socialiste
Le mouvement des gilets jaunes n’a pas (encore) mis en avant la question centrale de notre époque : celle de la propriété. Or le problème, c’est le capitalisme (qui repose sur la propriété privée des moyens de production), et non sa superstructure institutionnelle. Le vrai pouvoir, auquel la « démocratie » ne demande jamais de compte, c’est le pouvoir économique de la classe dirigeante.
La FI aurait pu jouer un rôle important, dans la maturation politique des gilets jaunes, en insistant sur la nécessité d’un gouvernement des travailleurs doté d’un programme révolutionnaire, d’un programme authentiquement socialiste. Mais on touche ici à la principale faiblesse du programme de la FI, qui ne s’attaque pas de façon décisive à la grande propriété capitaliste. Pour que la FI joue un rôle déterminant dans la transformation révolutionnaire de la société, il lui faudra corriger cette carence.