Le 19 novembre dernier, Carlos Ghosn a été arrêté et emprisonné par la justice japonaise. Le patron de Renault-Nissan-Mitsubishi est accusé, d’une part, d’avoir utilisé des actifs de Nissan à des fins personnelles, et d’autre part d’avoir sous-évalué ses revenus de plus de 65 millions d’euros dans les rapports remis aux autorités boursières entre 2011 et 2018. Rappelons que sa rémunération est déjà colossale (13 millions d’euros en 2018), et que les ouvriers du groupe, eux, n’ont cessé de subir des gels de salaires et des suppressions de postes.
C’est l’entreprise Nissan elle-même qui a alerté le parquet sur les fraudes commises par son PDG. Clairement, cette démarche est le nouvel épisode d’un conflit entre les capitalistes français et les capitalistes japonais de « l’Alliance ». Pour le comprendre, il faut remonter vingt ans en arrière.
L’accord de 1999
En 1999, Carlos Ghosn dirige le « sauvetage » de Nissan pour le compte de Renault. La fusion de l’entreprise nippone avec le leader français de l’automobile donne alors naissance à l’un des trois plus grands groupes de ce secteur. Cependant, l’accord est très défavorable à Nissan : le groupe japonais ne détient que 15 % de Renault, sans droit de vote, tandis que Renault détient 43 % de Nissan. Les Japonais perdent le contrôle de l’entreprise. C’est une pratique courante : l’entreprise qui a « sauvé » l’autre lui impose un accord évidemment en sa faveur.
Depuis, l’Etat français, qui est le premier actionnaire de Renault (15,01 %), fait tout pour conserver cet avantage. En 2015, Emmanuel Macron, alors ministre de l’Economie, intervient directement pour limiter le pouvoir de Nissan au sein de l’Alliance.
Des intérêts divergents
Il faut attendre avril 2017 pour qu’un Japonais, Hiroto Saikawa, accède au poste de Directeur Général de Nissan. Et ce n’est pas un hasard si l’enquête interne menée contre Carlos Ghosn débute à cette date. Hiroto Saikawa dénonçait depuis plusieurs années l’accord entre Renault et Nissan. Les révélations visant Ghosn lui ont permis de le déchoir de son poste et de durcir le rapport de force, afin d’obtenir un accord plus favorable à Nissan, le tout avec la complicité de l’Etat japonais et de sa justice.
La fraude étant le sport favori de tout capitaliste qui se respecte, la culpabilité de Carlos Ghosn nous paraît très probable. Mais l’affaire relève bien, en dernière analyse, d’intérêts divergents entre deux Etats-nation qui se disputent le contrôle d’un groupe qui dégage des milliards d’euros de profits, chaque année.