En annonçant des mesures « issues du grand débat », le 25 avril, Macron ne pouvait pas répondre aux attentes des Gilets jaunes et de tous ceux qui soutiennent ce mouvement. Il ne le pouvait pas pour une raison simple : les intérêts fondamentaux de la classe dirigeante – que ce gouvernement est déterminé à défendre – sont en contradiction irréductible avec les intérêts de la masse de la population. Dans le contexte d’une profonde crise du capitalisme, la bourgeoisie française a objectivement besoin d’aggraver l’exploitation des salariés, d’attaquer l’assurance chômage, l’éducation nationale et le système des retraites, de supprimer des dizaines de milliers de postes de fonctionnaires – bref, de poursuivre et intensifier la politique réactionnaire que nous subissons depuis de nombreuses années.
L’explosion sociale des Gilets jaunes a été préparée de longue date par cette politique. Mais c’est son prolongement que, désormais, Macron et ses ministres nous présentent comme leur « réponse » aux attentes du peuple mobilisé. L’exercice était périlleux, le résultat connu d’avance : il déçoit ceux qui en espéraient quelque chose ; il renforce les autres dans leur conviction que ce gouvernement ne vaut rien.
La colère ne va pas retomber, donc. Bien au contraire. Le mouvement des Gilets jaunes va-t-il se développer, dans les semaines qui viennent ? C’est possible. Son endurance est extraordinaire ; elle signale sa profondeur. Des décennies d’humiliations et de frustrations accumulées remontent à la surface. Bien sûr, après six mois de lutte, la fatigue pourrait se faire sentir. Mais même alors, la situation sociale restera explosive. Chacune des contre-réformes à venir sera susceptible de rallumer la flamme. A trois ans de la fin officielle de son mandat, Macron doit diriger un pays qui, dans sa grande majorité, le conspue.
Indécente « générosité »
Dans un tel contexte, tout finit par se retourner contre le gouvernement. Il a bien essayé d’exploiter l’incendie de Notre-Dame de Paris, sous la forme d’appels à « l’union nationale », c’est-à-dire à la démobilisation des Gilets jaunes. Mais c’était trop gros, trop flagrant. L’instrumentalisation politique de cette catastrophe avait de quoi irriter ceux qui en avaient déjà le cœur meurtri. Mais tous les sommets de l’indécence ont été franchis lorsque les parasites géants du capitalisme français, les champions de l’exploitation et de l’évasion fiscale, les Pinault, Arnault, Bettencourt et compagnie, ont sorti leurs carnets de chèques pour donner à eux seuls, en quelques heures, plus de 700 millions d’euros.
Une générosité prodigieuse, titrait Paris Match. Une générosité toute relative, en vérité. Par exemple, Bernard Arnault, PDG du groupe LVMH et 4e fortune mondiale, a donné 200 millions d’euros, soit 0,3 % de sa fortune personnelle (67 milliards d’euros) et 6 % de ce qu’il a « gagné » en 2018 (3,4 milliards). A l’échelle de ce que gagne un salarié au SMIC, c’est un peu comme s’il avait offert une bière.
Par ailleurs, d’où viennent les fortunes de Bernard Arnault et de tous ses compères du CAC 40 ? De leur travail et de leurs compétences ? Non. Elles viennent uniquement du travail des salariés des grands groupes que ces messieurs-dames possèdent. Dépenser le fruit du travail d’autrui, c’est une drôle de générosité ! Elle est d’autant plus écœurante que les mêmes PDG expliquent sans cesse qu’ils sont étouffés par l’impôt, martyrisés par le Code du travail, suppliciés par les « 35 heures », de sorte qu’il est urgent de détruire toutes les conquêtes du mouvement ouvrier et de réduire drastiquement les dépenses sociales.
Ce spectacle a attisé la colère des millions de français qui peinent à boucler leurs fins de mois. Au passage, il aura peut-être fait avancer l’idée suivante, dans le peuple : toutes ces fortunes étant le fruit du travail collectif de la classe ouvrière, il ne serait pas absurde qu’elles lui appartiennent. Ce serait même logique, à bien y réfléchir. En outre, cela permettrait de réorganiser l’économie dans l’intérêt du grand nombre, et non plus d’une poignée de milliardaires.
Les élections européennes
Malgré l’impopularité du gouvernement, les sondages prédisent la victoire de LREM aux élections européennes du 26 mai. Cela reste à voir. Les intentions de vote peuvent évoluer sensiblement d’ici le scrutin. Cependant, il est bien possible que ces élections européennes ne soient pas une débâcle pour LREM. En effet, le discrédit qui frappe l’UE est tel que le taux d’abstention aux élections européennes augmente sans cesse. Il a atteint 59 % des inscrits en 2014. Et bien sûr, les abstentionnistes sont les plus nombreux dans les couches les plus pauvres de la population, c’est-à-dire dans un électorat très hostile au gouvernement. Autrement dit, LREM table sur une « victoire » dans un océan d’abstentions.
Révolution appelle à voter pour la liste de la France insoumise, le 26 mai. A ce jour (26 avril), les sondages la créditent de 9 à 10 % des intentions de vote. Il est clair que nombre des électeurs de Mélenchon à la présidentielle de 2017 n’ont pas l’intention d’aller voter. On peut les comprendre, compte tenu du rôle et du fonctionnement du Parlement européen. Cependant, ces élections sont une occasion, qu’on doit saisir, d’infliger un camouflet à Macron, d’une part, et d’autre part de renforcer la principale force d’opposition de gauche, malgré ses défauts.
La campagne électorale de la FI est dynamique ; ses meetings ont du succès. Mais son programme ne va pas assez loin dans la remise en cause du capitalisme, selon nous. Sur l’Europe, la FI concentre son feu sur les traités européens. Il est clair que ces traités sont réactionnaires : ils expriment les intérêts des grandes multinationales européennes. L’UE n’a pas d’autre fonction que la défense de ces intérêts. C’est pourquoi l’idée de « renégocier les traités » – pour les rendre conformes aux intérêts des travailleurs – est un objectif complètement illusoire. Autant demander au Pentagone de lutter contre l’impérialisme.
C’est précisément le caractère pro-capitaliste de l’UE qui a poussé la FI à formuler un « plan B », dans l’hypothèse (une certitude, en fait) que les traités ne puissent pas être renégociés. Dans une récente interview à Libération, Mélenchon expliquait ce que ferait la FI si elle était au pouvoir : « Nous voulons changer les règles. Si c’est non, le choix du peuple français sera respecté : nous appliquerons notre programme, que l’Europe l’accepte ou pas. C’est notre plan B en cas de refus. »
Cette position est meilleure que celle – défendue notamment par le PS – qui consiste à promettre une « Europe sociale » (sur la base du capitalisme !) via une renégociation des traités. Cependant, la position de la FI reste réformiste. Elle maintient l’illusion que le « plan A » (la renégociation des traités) serait possible : « je suis serein. Nous sommes la France. Il n’y a pas d’Europe sans la France », explique Mélenchon dans la même interview. Est-ce à dire qu’il compte convertir les grands capitalistes européens au programme de la France insoumise ?
Compte tenu de son programme économique et social, qui implique de taxer massivement le grand Capital au profit des jeunes, des travailleurs, des chômeurs et des retraités, un gouvernement de la FI qui tenterait de mener cette politique entrerait en conflit ouvert avec l’UE. Mais il entrerait aussi et d’abord en conflit ouvert avec la classe capitaliste française, qui ferait tout pour saboter les réformes : fuite des capitaux, grèves des investissements, chantage à l’emploi, etc. Or le programme de la FI ne prévoit pas d’exproprier les grands capitalistes qui se livreraient à un tel sabotage. C’est sa principale faiblesse.
Pour être applicable, le programme de la FI doit être complété par des mesures qui s’en prennent à la domination de l’économie française par quelques dizaines de familles capitalistes. Il faudra les exproprier. La liste en est déjà établie : ce sont les plus gros donateurs au fonds de reconstruction de Notre-Dame de Paris.
Sommaire
Dans la rue et dans les urnes : insoumission ! - Edito du n°34
Comment le gouvernement sanctionne les chômeurs
L’Etat français expulse des personnes séropositives
A Lyon, l’hébergement d’urgence est en crise
La grève des éboueurs à Lyon
La mobilisation contre la loi Blanquer
Congrès de la CGT : critique du document d’orientation
L’impasse du Brexit et le rôle du Labour
Turquie : les élections municipales fragilisent Erdogan
Soudan : tout le pouvoir aux Comités du peuple !
Chine : la tempête approche
La révolution algérienne face aux manoeuvres du régime
La théorie de la révolution permanente
A propos de la « dictature du prolétariat »