Cet article a été écrit avant que le gouvernement n'ajoute à ce projet de loi un paragraphe punissant l'occupation d'une université par des étudiants de près d'un an d'emprisonnement. Cet amendement n'a pas grand-chose à voir avec le reste de la loi et vise à faciliter la future répression des mobilisations étudiantes. Notre article traite donc des autres aspects de la Loi de Programmation de la Recherche, c'est-à-dire de la soumission encore accrue de la recherche à la course aux profits.


Le gouvernement s’est attelé à un autre chantier de destruction des services publics. Après l’éducation nationale, la santé, ou encore la sécurité sociale, c’est la recherche scientifique que la bourgeoisie entend rendre plus « efficace », c’est à dire plus profitable pour elle. La nouvelle loi de programmation de la recherche (LPR) sert cet objectif. Son application placerait une recherche encore précarisée sous le contrôle grandissant des entreprises privées.

Une opposition presque unanime

Dans un discours du 1er février 2019, le premier ministre d'alors, Edouard Philippe, affirmait son intention de « redonner à la recherche de la visibilité, de la liberté, des moyens ». Et d’après les groupes de travail chargés de faire l’état des lieux, la recherche française était effectivement dans une situation assez sombre : les salaires sont en dessous de la moyenne européenne, les créations de postes sont rares, tout comme l’investissement, et près de 35 % des salariés sont contractuels.

Pourtant, dès la parution de l’avant-projet de loi, les multiples instances consultées par le gouvernement s’y sont presque toutes opposées. Du Conseil national de l'enseignement supérieur et de la recherche (CNESER) au Conseil économique, social et environnemental (CESE), tous étaient unanimes dans leur opposition au projet gouvernemental. Seul le Conseil d’Etat rendait un avis globalement positif mais y ajoutait de sérieuses réserves.

Une fois largement connu, ce « Projet de loi de programmation de la recherche pour les années 2021 à 2030 et portant diverses dispositions relatives à la recherche et à l’enseignement supérieur » (ou LPR en abrégé) a suscité une mobilisation inédite du monde de la recherche. Une pétition a notamment rassemblé les signatures de 570 directeurs d’Unités Mixtes de Recherche (UMR)[1], sur 826 – c’est-à-dire plus des deux-tiers du total. Le gouvernement a malgré tout continué sur sa lancée et la ministre Frédérique Vidal a même poussé l’humour involontaire jusqu’à déclarer lors de sa présentation à l’assemblée nationale que cette loi était « le produit d'une large concertation »…

Précariser et privatiser la recherche

Cette opposition massive s’explique simplement par le contenu de la loi. Loin d’aider la recherche et ceux qui la font, cette loi ne peut qu’aggraver sa situation déjà désastreuse. Elle prévoit ainsi de remplacer les maîtres de conférences partants à la retraite par des « professeurs juniors », qui ne seront pas obligés d’enseigner à l’université contrairement aux maîtres de conférences. Ces « professeurs juniors » seront par ailleurs contractuels, sur des contrats soumis à des objectifs courts. Non seulement cela va affaiblir le lien déjà fragile entre l’enseignement et la recherche, mais cela va aussi soumettre les chercheurs à une précarité grandissante.

Cela semble être d’ailleurs un des objectifs centraux de la LPR puisqu’elle prévoit aussi la création de « CDI de projet » scientifique. Contrairement à ce que leur nom laisse penser, ce sont en réalité des CDD longue durée pouvant être rompus à tout moment par l'employeur. Cela permet de contourner la Loi Sauvadet de 2012 qui permet de transformer un CDD en CDI « normal » au bout de 6 ans. La même manœuvre avait déjà été utilisée en 2019 pour les personnels non enseignants de l’éducation nationale (BIATSS).

La loi prévoit aussi d’étendre la pratique du financement de la recherche par des « appels à projet » auprès de l’Agence nationale de recherche, ce qui signifie que les laboratoires bénéficieront de moins en moins de budgets propres, mais devront compter sur des financements ponctuels au niveau national. Outre la précarité financière que cela implique, cela veut dire que les laboratoires se retrouveront forcément en concurrence les uns avec les autres pour obtenir des financements forcément réduits. En effet, le budget important qui a été annoncé est en fait planifié sur une décennie, et ne comprend aucune véritable garantie – comme l’avait déjà fait remarquer le Conseil d’Etat.

Les primes au mérite seront d’ailleurs généralisées, pour mieux entretenir la concurrence entre les équipes de recherche. Cela signifie aussi qu’une partie croissante du temps des personnels sera consacré à la préparation de dossiers de financements de plus en plus nombreux, au détriment du temps passé à faire de la recherche ou à diffuser les résultats de cette recherche. Par ailleurs, comme c’est déjà le cas depuis la mise en place des RCE (responsabilités et compétences élargies) en 2019, le financement de toutes les missions des personnels de recherche sera soumis à des demandes ponctuelles, y compris lorsqu’il s’agira de missions permanentes. Les services communs des laboratoires, qui assurent leur bon fonctionnement quotidien, devront ainsi régulièrement justifier de leur activité pour être financés.

Pour pallier à ces financements réduits, les laboratoires sont incités à aller chercher des financements dans le privé, voire à s’associer carrément à certaines entreprises. Il sera maintenant possible de cumuler un poste dans l’Enseignement supérieur et la recherche et un emploi dans une entreprise privée. C’est un type de mariage qui ne peut que multiplier les conflits d’intérêts.

De quelle recherche a-t-on besoin ?

Loin d’aider à faire progresser la recherche scientifique, cette loi va l’appauvrir et la placer encore un peu plus sous la domination des intérêts capitalistes, qui ne veulent qu’une recherche immédiatement rentable. Une science soumise à des évaluations constantes, à la mise en concurrence ne permet pas d'avoir l'esprit tranquille pour la réaliser sur du long terme. Elle a besoin de pouvoir expérimenter et parfois échouer, car c’est ainsi que la recherche progresse. Une logique complètement étrangère au capitalisme agonisant qui presse la planète et ses habitants pour en extraire jusqu’à la moindre goutte de profit.

 L’humanité et la planète ont besoin d’autre chose. Comme nous le disions dans les Thèses de la TMI sur la crise climatique : « En associant les meilleurs esprits scientifiques aux diverses compétences des travailleurs, sous le contrôle démocratique de ces derniers, nous pouvons mettre les capacités technologiques de la société et de ses différentes ressources au service de l'humanité et de la planète. » Pour rendre à la science sa liberté de recherche et lui permettre de servir l’humanité, il faut la libérer du capitalisme.

Concurrence partout, service public nulle part !


[1]Une Unité Mixte de Recherche est le regroupement administratif de plusieurs laboratoires sous l’égide du CNRS. Il s’agit pour ainsi dire de l’unité fondamentale de la recherche scientifique en France.

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