Fin février, l’Assemblée nationale a adopté la loi « séparatisme » dans un vaste concert de provocations racistes et islamophobes. C’est bien le premier objectif de cette loi : nourrir le soi-disant « débat sur l’islam », qui vire immanquablement à la stigmatisation des musulmans. La bourgeoisie française et ses politiciens franchissent sans cesse de nouveaux seuils dans cette opération de diversion et de division de notre classe.
Par ailleurs, dans le contenu de ses articles, cette loi est une nouvelle offensive contre nos droits démocratiques. Sous couvert de « défendre la République », il s’agit de durcir l’arsenal législatif et juridique qui pourra être mobilisé, à l’avenir, non seulement contre des associations religieuses, mais aussi contre des organisations de gauche (associations, partis et syndicats). Le mouvement ouvrier est directement concerné par cette tentative de restreindre nos droits démocratiques, dans le prolongement de la loi Sécurité Globale.
Le contenu de la loi
Sous prétexte de défendre la laïcité, la loi renforce le contrôle préfectoral sur les associations. Pour pouvoir bénéficier d’aides publiques, elles devront dorénavant se soumettre à un « contrat d’engagement républicain », dont l’un des principes est « la sauvegarde de l’ordre public » : formule très large qui peut englober bien des choses ! C’est une menace sérieuse pour beaucoup d’associations militantes, notamment celles engagées pour le climat ou la défense des minorités opprimées. Nombre d’entre elles sont parfois obligées d’agir aux limites de la légalité, comme ce fut le cas d’Act’Up dans les années 1990, ou plus récemment d’Extinction Rébellion.
Pour les contrevenantes, les dissolutions par voie administrative seront aussi largement facilitées par la nouvelle loi. Par exemple, si un membre d’une association commet un acte terroriste, la direction de l’association devra prouver qu’elle l’ignorait ou qu’elle a fait tout son possible pour l’en empêcher. De facto, cela revient à supprimer la présomption d’innocence pour les associations. Alors que le gouvernement n’a toujours rien apporté de solide pour justifier sa décision de dissoudre le Collectif contre l’islamophobie en France (CCIF), cette disposition va lui épargner le souci d’avoir à présenter des « preuves » pour justifier des dissolutions à venir.
La loi prévoit aussi de restreindre drastiquement l’enseignement à domicile, présenté comme un vivier de terroristes islamistes. Or, si l’on met de côté les cas réels – mais très marginaux – de parents sectaires ou intégristes qui retirent leurs enfants de l’école publique pour les scolariser à domicile, l’enseignement à domicile est souvent une solution pour nombre d’enfants handicapés ou en difficulté que l’école n’a pas les moyens d’accueillir, malgré les rodomontades du ministre Blanquer sur son « école inclusive ». Plutôt que de doter l’Education nationale des moyens adéquats, la loi va pénaliser des parents qui bricolent chez eux une éducation adaptée. Au passage, notons que les écoles intégristes catholiques, dont certaines vont jusqu’à proposer des classes non-mixtes, ne sont pas comprises dans le « séparatisme » à combattre.
La loi comprend bien d’autres mesures réactionnaires, dont l’invention d’un « délit de séparatisme », qui est supposé couvrir les cas d’intimidations en vue de se soustraire à une mission de service public. Ce charabia se rapporte aux quelques cas de parents intégristes qui ont menacé des enseignants pour qu’ils ne parlent pas, dans leurs cours, de sélection naturelle ou de laïcité. Outre que le petit nombre de cas avérés ne méritait pas une loi, le fait de menacer ou d’intimider une personne est déjà puni par la loi. Plutôt qu’un nouveau délit n’apportant strictement rien, les salariés de l’Education nationale préféreraient de meilleures conditions de travail et une augmentation de leurs salaires !
Propagande raciste
Encore une fois, cette loi vise d’abord à détourner l’attention des masses de la calamiteuse politique sanitaire du gouvernement – et des graves conséquences sociales de la crise économique. Bien sûr, en intensifiant sa campagne contre les musulmans, le gouvernement espère aussi, au passage, élargir sa base électorale au détriment du Rassemblement National.
Les hérauts de la bourgeoisie lèvent donc l’étendard de la laïcité et des « valeurs de la République », que personne ne prend la peine de définir précisément. On se demande bien, d’ailleurs, lequel des actuels ou anciens ministres de Macron incarne le mieux ces « valeurs ». Est-ce Gérald Darmanin, poursuivi pour « viol et abus de faiblesse » ? Ou Eric Dupond-Moretti, accusé de « prise illégale d’intérêts » ? Ou Françoise Nyssen, poursuivie pour fraude fiscale ? Ou Muriel Pénicaud, accusée de « favoritisme et recel de favoritisme » ? La liste est encore longue et il est difficile de trancher.
Toujours est-il que les grands médias bourgeois défendent avec ferveur ces mystérieuses « valeurs républicaines ». Le Point ouvre ses colonnes à un enseignant mythomane qui parle de sa ville comme s’il s’agissait d’un émirat taliban. Sur LCI, Caroline Fourest s’extasie devant le « laïcisme » de Gérald Darmanin, vétéran de la Manif pour Tous. Chaque jour, sur CNews, toute la crème des journalistes, des politiciens et des « intellectuels » d’extrême droite jettent leurs derniers neurones dans la lutte pour « sauver La République ». Il est difficile, en ce moment, d’ouvrir un journal ou d’allumer sa télévision sans être confrontés à des stupidités racistes.
Parallèlement, les annonces sécuritaires se succèdent dans la bouche d’élus locaux de LR ou de LREM. Le maire de Valence fait savoir au monde entier qu’il va retirer les aides municipales aux familles de délinquants. Il met en pratique une vieille lune du Front National. Ce n’est pas le seul qui va chercher des idées dans les fonds de tiroirs de l’extrême-droite : Darmanin a expressément déclaré que certains des articles de la « loi séparatisme » avaient été écrits pour « faire plaisir » aux députés du RN.
« Islamo-gauchisme »
Pour la bourgeoisie, c’est aussi l’occasion d’attaquer le mouvement ouvrier et de l’accuser « d’aveuglement » ou de « passivité », face à l’islamisme. Jean-Michel Blanquer a donné le ton de cette offensive il y a quelques mois. Immédiatement après l’assassinat de Samuel Paty, alors que le corps enseignant était sous le choc, il accusait les syndicats d’être partiellement responsables de sa mort en raison de leur perméabilité à « l’islamo-gauchisme », ce vieux serpent de mer de l’extrême-droite.
Encouragés par la sortie du ministre, nombre de propagandistes bourgeois ont entonné le même refrain, avec plus ou moins d’imagination. Jean Messiha, ex-conseiller de Marine Le Pen devenu chroniqueur sur CNews, a découvert l’existence d’une « gauche kebabiste », qu’il accuse de faire le lit du terrorisme. Alors qu’elle est complètement passive face à la détresse des étudiants, la ministre de l’Enseignement supérieur, Frédérique Vidal, a rejoint le chœur des pourfendeurs de « l’islamo-gauchisme », qu’elle soupçonne de gangréner les universités françaises. Pour que les choses soient claires, elle souligne que « l’islamo-gauchisme » désigne « l’ensemble des radicalités qui traversent notre société » ! A ce compte, les Gilets jaunes, les cheminots grévistes et les lycéens mobilisés – par exemple – sont tous des « islamo-gauchistes », et donc tous susceptibles de favoriser l’intégrisme et le terrorisme.
Dans ce domaine, l’hypocrisie du gouvernement et de la bourgeoisie française est sans limites. Plusieurs grandes entreprises françaises font des fortunes en vendant des armes à l’Arabie Saoudite, dont le gouvernement islamiste est de longue date un parrain du terrorisme djihadiste. Il y a peu, Macron accueillait même chaleureusement, à l’Elysée, le prince héritier d’Arabie Saoudite. Il faisait alors semblant d’oublier qu’à Riyad on condamne encore au fouet – quand ce n’est pas à mort – les homosexuels et les femmes adultères. Comprenez bien : il ne s’agit pas, dans ce cas, de « compromission avec l’islamisme », mais de « diplomatie » et de « commerce international ». Comme toujours, les « valeurs » de la bourgeoisie sont à géométrie variable : elles s’assouplissent quand il s’agit de faire des affaires, mais elles redeviennent très strictes lorsqu’il s’agit d’attaquer les travailleurs.
Pour l’unité de notre classe !
A cette offensive raciste, il faut opposer la mobilisation unitaire du mouvement ouvrier. A ce propos, il faut noter que la France insoumise a adopté, sur cette question, une position qui marque un net progrès. Elle semble avoir abandonné son « laïcisme » abstrait, qui prétendait ne pas être concerné par les questions touchant à la religion. Désormais, la FI dénonce la « loi séparatisme » pour ce qu’elle est : une énième provocation raciste. Le vote unanime des députés de la FI contre cette loi est un bon signe, surtout si on le compare à la confusion qui a régné ailleurs. Ainsi, les députés du PCF se sont majoritairement abstenus – et une députée de leur groupe, Manuela Kéclard-Mondésir, a même voté « pour ».
Le projet de loi est désormais en route pour le Sénat, où la majorité LR a annoncé qu’elle allait le « renforcer », c’est-à-dire en durcir le caractère raciste et anti-démocratique. Une fois le texte revenu à l’Assemblée nationale, les députés de la FI poursuivront leur combat. Ceci dit, non seulement la composition de l’Assemblée nationale laisse peu de chances à des manœuvres parlementaires, mais c’est à l’ensemble de l’offensive raciste actuelle que le mouvement ouvrier doit s’opposer. C’est par la mobilisation de l’ensemble des organisations de travailleurs, syndicats compris, que la campagne raciste de la droite et de l’extrême droite pourra être efficacement combattue.
Les syndicats, à commencer par la CGT, ont un rôle central à jouer. La direction confédérale de la CGT a condamné le projet de loi et appelé le gouvernement à le retirer. Mais elle a limité son action à la signature d’une tribune dans Le Monde. Cantonner la lutte contre le racisme à ce genre de déclarations, au nom de la non-immixtion des syndicats dans le champ politique, est largement insuffisant.
La classe dirigeante prépare une offensive générale contre notre classe. Les plans de licenciements s’accumulent. La contre-réforme de l’assurance chômage est toujours à l’ordre du jour. Bruno Le Maire parle déjà d’une nouvelle « réforme » des retraites. Les saignées imposées aux travailleurs pour sauver les profits du patronat français n’ont pas suffi ; une nouvelle vague est donc en préparation. Dans ce contexte, l’actuelle campagne raciste et islamophobe de la bourgeoisie n’est pas seulement, de la part du gouvernement, une tentative de séduire des électeurs de l’extrême-droite. En instillant le poison du racisme pour diviser notre classe, la bourgeoisie veut affaiblir nos rangs avant de les attaquer. La CGT et toute la gauche doivent se mobiliser contre cette manœuvre. La préparation sérieuse d’une grève générale et politique de 24 heures, sur ce thème, pourrait être le point de départ d’une mobilisation bien plus large contre le racisme, l’islamophobie et le système pourrissant qu’ils visent à défendre.