Alors que l’élection présidentielle se rapproche, la droite est en ébullition. A l’heure où nous écrivons ces lignes, Eric Zemmour n’est toujours pas officiellement candidat, mais il sature déjà l’espace médiatique. Sur toutes les chaînes et radios d’informations, à toute heure, c’est le même refrain : « Zemmour, Zemmour, Zemmour »… Sans cesse, de soi-disant « commentateurs » – c’est-à-dire des polémistes de droite, ersatz du principal intéressé – commentent favorablement ses idées.
Pendant ce temps, la droite traditionnelle s’efforce péniblement de dégager une seule candidature de ses rangs. Valérie Pécresse, Xavier Bertrand, Michel Barnier et Eric Ciotti sont sur la ligne de départ. Les Républicains ont tenu un congrès pour décider de la meilleure façon de trancher. Résultat ? C’est un autre congrès, organisé début décembre, qui choisira un candidat. Enfin, presque… Car ni Bertrand, ni Pécresse, à cette heure, ne se sont engagés à se ranger derrière celui ou celle qui serait choisi !
Si la pathétique division de la droite « historique » ne peut que réjouir les macronistes, la candidature de Zemmour commence à les inquiéter, eux aussi, car elle risque de soustraire des voix à Marine Le Pen, et donc de rendre plus difficile un second tour rejouant le scénario de 2017. Or c’est bien ce scénario que Macron privilégie.
Tout ceci renforce l’énorme incertitude qui règne quant à l’issue de l’élection présidentielle. Pour la bourgeoisie française, c’est une source d’inquiétude croissante.
Les causes de la crise
Pour comprendre les causes profondes de la crise des Républicains, il faut remonter au moins à la défaite de Nicolas Sarkozy à la présidentielle de 2012. Cette défaite marquait le rejet des politiques réactionnaires mises en œuvre pendant son mandat : réforme des retraites, cadeaux multiples au patronat, coupes budgétaires drastiques, impuissance totale face à la crise économique de 2008, etc. La défaite de Sarkozy était une illustration d’un processus général qui se développait à l’échelle internationale, dans le sillage de la crise mondiale du capitalisme. Dans de nombreux pays, le même scénario se répétait : les partis « traditionnels » qui avaient réagi à la crise de 2008 en attaquant les conditions de vie de la classe ouvrière en payaient le prix fort sur le plan électoral.
Le fiasco de la candidature de François Fillon, en 2017, a confirmé la profondeur de cette crise. Au-delà des scandales, c’est aussi sa promesse d’une « blitzkrieg » austéritaire qui a été rejetée. Résultat : pour la première fois de l’histoire de la Ve République, la droite traditionnelle ne s’est pas qualifiée pour le second tour de la présidentielle.
Cette débâcle a accéléré la crise des Républicains. Les rats ont commencé à quitter le navire. Xavier Bertrand et Valérie Pécresse sont allés créer leur propre mouvement. Une partie des cadres est passée dans les rangs du macronisme, dont Gérald Darmanin, Edouard Philippe ou Bruno Le Maire ; d’autres sont allés rejoindre le RN, tel Thierry Mariani.
A cette « fuite des cerveaux » (si l’on peut dire…) s’ajoute une autre difficulté : le programme économique et social qu’applique Macron, depuis son élection, est identique, sur l’essentiel, au programme des Républicains. Macron a mené la politique qu’attendait la bourgeoisie française. Les Républicains approuvent les politiques d’austérité, les contre-réformes et même, bien sûr, les privatisations, auxquelles ils font mine de s’opposer pour la forme. Difficile, dans ces conditions, de faire figure d’« opposition » et d’« alternative » au macronisme.
A droite, toute !
En conséquence, une partie de l’électorat traditionnel des Républicains s’est tournée vers LREM, tandis qu’une autre est tentée par l’extrême droite. Le résultat désastreux des Républicains aux dernières élections européennes (8,5 %) est une illustration frappante de ce déclin : c’était le plus mauvais résultat de leur histoire lors d’un scrutin « national ».
Pour exister, LR n’a d’autre choix que de chasser sur les terres de Marine Le Pen, dans l’espoir de capter une partie de son électorat. On assiste donc à une compétition d’idées réactionnaires : Pécresse proclame qu’il faut « élargir le délit d’intelligence avec l’ennemi » pour lutter contre l’islam politique ; Barnier propose un « moratoire » sur les règlements de l’UE en matière d’immigration, qu’il juge trop laxistes ; Xavier Bertrand ne se lasse pas d’annoncer une imminente « guerre civile » – entre qui et qui, ce n’est pas très clair, mais le candidat est sûr d’une chose : seule son élection pourrait conjurer la menace.
Toute cette agitation raciste et sécuritaire ne sera pas forcément fructueuse, notamment parce que Zemmour se livre au même jeu – et durcit très nettement la compétition : désormais, il soutient publiquement les mesures homophobes du Premier ministre hongrois, Viktor Orbán, et déclare être « philosophiquement » favorable au rétablissement de la peine de mort… A ce rythme, il ne devrait pas tarder à proposer la réouverture du bagne de Cayenne.
Zemmour piétine les plates-bandes du RN et de LR. D’après les sondages, il prend à peu près autant de voix à l’un qu’à l’autre – sans qu’il soit possible de dire, à ce stade, où s’arrêtera ce jeu de vases communicants.
Flatté par la plupart des médias, Zemmour s’attribue le mérite de donner le ton du débat politique. Mais en réalité, les idées réactionnaires qu’il agite étaient déjà présentes bien avant lui. Le succès de Zemmour illustre la radicalisation – engagée de longue date – d’une fraction croissante de l’électorat de droite, ainsi qu’un profond rejet des partis traditionnels en général.
Les contradictions du RN
L’émergence de Zemmour pose un gros problème à Marine Le Pen, dont le parti essaie de se présenter comme plus « modéré ». Plus Marine Le Pen se rapproche du pouvoir, plus elle s’efforce de convaincre la bourgeoisie française qu’elle serait une Présidente « responsable » et dévouée à ses intérêts. La bourgeoisie et les médias ont largement participé à cette entreprise de « dédiabolisation » du RN. Cependant, cette évolution déçoit une partie de son électorat. Le rejet du statu quo commence à affecter, en partie, Marine Le Pen elle-même : plus elle se « normalise », moins elle satisfait la frange de son électorat qui, précisément, veut rompre avec la « normalité ».
Zemmour peut gagner une partie de ces électeurs et empêcher Le Pen d’arriver au second tour, notamment parce qu’il bénéficie d’un avantage : contrairement aux vieux politiciens des Républicains, Zemmour n’a jamais été au pouvoir et apparaît donc comme « neuf », préservé de la corruption du régime.
L’alternative de gauche
Face à une telle avalanche de réactions, la responsabilité de la gauche – à commencer par la France Insoumise – est énorme. Elle ne doit faire aucun compromis avec les idées nationalistes, racistes et sécuritaires, d’où qu’elles viennent. Ceux qui les propagent doivent être dénoncés comme les ennemis des travailleurs, de la jeunesse et des couches les plus opprimées de la société.
Mais la dénonciation ne suffira pas. A la « radicalité » de droite, il faut opposer un programme radical de gauche. Au lieu d’avancer des mesures sociales modérées dans l’espoir de « gagner les classes moyennes », la FI doit avancer sur un programme de classe – et défendre une alternative radicale au capitalisme en crise. Faute d’une telle orientation, les divers hérauts de la droite seront en situation de canaliser à leur profit la colère et le dégoût que suscite un système capitaliste en déliquescence.