Parmi les militants de gauche, l’idée que le Rassemblement National (RN) serait un parti « fasciste » est très répandue. Le fait est que le RN est un dangereux ennemi de la classe ouvrière. C’est un parti raciste, nationaliste et ultra-réactionnaire. Cependant, ces caractéristiques ne suffisent pas à en faire un parti fasciste. Il est important de le comprendre, dans l’intérêt même de notre lutte contre la droite et l’extrême droite.
Racisme et capitalisme
Les organisations fascistes n’ont pas le monopole du racisme et du nationalisme. En 1991, Jacques Chirac stigmatisait « le bruit et l’odeur [...] des musulmans et des noirs ». Dans un livre récent, le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, faisait l’apologie de la politique antisémite de Napoléon Ier. Ce racisme ne se limite pas à des discours. Dans la « démocratie » bourgeoise française, il a pris la forme concrète d’une multitude de lois : sur le voile, contre l’immigration, etc.
Le racisme et le nationalisme sont inséparables du règne de la bourgeoisie. Même dans le plus « démocratique » des régimes bourgeois, la classe dirigeante a besoin du racisme pour diviser les travailleurs et détourner leur attention des véritables responsables de la misère, du chômage et de la régression sociale. De manière générale, la fiction de « l’union nationale » vise à dissimuler les contradictions de classe.
Qu’est-ce que le fascisme ?
Le fascisme est un mouvement de masse qui s’appuie sur la petite bourgeoisie – rendue « enragée » par la crise économique – pour attaquer le mouvement ouvrier et mener contre lui une véritable guerre civile. Par le passé, les organisations fascistes ont regroupé, discipliné et armé des centaines de milliers de membres. Dans les années 1920 et 1930, les bourgeoisies italienne et allemande (entre autres) leur ont abandonné le pouvoir pour qu’ils puissent détruire le mouvement ouvrier.
La situation est très différente aujourd’hui. Dans la foulée de la Deuxième Guerre mondiale, la longue phase d’expansion du capitalisme a énormément renforcé le poids social du salariat, au détriment de la petite bourgeoisie, et en particulier des petits paysans. Autrement dit, la base sociale du fascisme a considérablement fondu, ce qui condamne les organisations fascistes actuelles – comme l’Action française ou les Identitaires – à une certaine marginalité.
Contrairement à ces organisations groupusculaires, le RN dispose d’une base électorale massive. Mais celle-ci est majoritairement constituée d’une fraction de la classe ouvrière. Le vote RN de ces travailleurs, chômeurs, retraités pauvres, etc., est une conséquence des renoncements et trahisons répétés de la gauche réformiste, lorsqu’elle était au pouvoir : sous Mitterrand, sous la « Gauche plurielle » (1997-2002) ou sous François Hollande (2012-2017). Comme nombre des électeurs de Trump aux Etats-Unis, une grande partie des électeurs du RN, en France, expriment ainsi leur rejet du « système » et des partis qui se sont succédé au pouvoir, ces dernières décennies, sans que rien ne change, sinon en pire.
Marine Le Pen et sa clique, au sommet du RN, en sont parfaitement conscientes. Elles tiennent compte du rapport de force entre les classes. Contrairement aux partis de Hitler et de Mussolini, le programme du RN ne propose pas d’interdire les syndicats et les partis de gauche. De même, alors que les fascistes italiens se sont fait connaître, en 1920-1921, par une vague d’attaques violentes contre les grèves et les bourses du travail, le RN ne fait ni ne propose rien de tel. Ses dirigeants savent que s’ils défendaient un programme ouvertement fasciste, leur base électorale s’effondrerait brutalement. Or Le Pen et consorts veulent accéder au pouvoir pour y mener une politique pro-capitaliste « classique ». C’est pourquoi le programme du RN est assez proche, au fond, de celui des Républicains, de sorte qu’un certain nombre d’élus LR rejoignent le RN (et réciproquement) sans avoir à changer de discours et de programme.
Le prix de la confusion
Affirmer que le RN est un parti « fasciste » parce qu’il est raciste et nationaliste, c’est semer des illusions sur la possibilité d’un capitalisme sans racisme ni nationalisme, lequel capitalisme serait « un moindre mal ». C’est le principal résultat de cette confusion : pousser les jeunes et les travailleurs de gauche à soutenir l’option « républicaine » et « démocratique » (LREM ou LR) contre le RN. Dans l’entre-deux tours des présidentielles, l’épouvantail de la « menace fasciste » a servi à justifier les appels de la plupart des dirigeants de gauche à voter pour Macron.
Par ailleurs, affirmer que le RN est fasciste n’aide pas à combattre son racisme et son nationalisme. Si le RN gagne en popularité, c’est parce qu’il prétend être hostile au « système » existant. Traiter ses électeurs de « fascistes » ne peut pas aider à les gagner. Ce que doit faire la gauche, c’est opposer à la démagogie du RN un programme révolutionnaire de lutte contre le chômage, la crise et le capitalisme.