A l’heure où nous bouclons ce numéro de Révolution, le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, se réjouit du bilan de la cinquième nuit d’émeutes consécutive, qui fut « plus calme grâce à l’action résolue des forces de l’ordre ». Darmanin relativise. A notre tour, relativisons. La cinquième nuit fut peut-être « plus calme » que la quatrième et, surtout, que la troisième. Mais relativement aux « 100 jours d’apaisement » annoncés par Emmanuel Macron, le 17 avril dernier, elle fut tout de même très agitée !
Par ailleurs, Gérald Darmanin devrait se méfier de « l’action résolue des forces de l’ordre », car un nouveau meurtre policier compliquerait sérieusement l’avènement d’une France « apaisée » sur ordre du chef de l’Etat.
Une question de classe
Sur l’explosion de colère qui a embrasé les quartiers populaires de très nombreuses villes, nous nous contenterons ici de citer longuement l’article que nous avons publié au surlendemain de l’assassinat de Nahel :
« La vidéo est claire et nette : le policier a délibérément assassiné le jeune homme, qui ne menaçait personne. Ignorant qu’il avait été filmé, le policier a déclaré que Nahel menaçait de le tuer. C’est ce que font, sans cesse, des policiers qui se livrent à des “bavures” de toutes sortes : ils mentent, confiants dans la complicité des institutions policière et judiciaire.
« Mais la vidéo, elle, ne ment pas. Elle est le grain de sable qui grippe la machine étatique, le morceau de vérité brute qui ridiculise la “présomption d’innocence” et autres arguties dont les journalistes réactionnaires arrosent le pays, depuis deux jours. Chacun comprend que, sans cette vidéo, le policier n’aurait probablement pas été inquiété – et que faute de vidéos, de nombreux meurtres perpétrés par des policiers, dans des circonstances similaires, ont été enterrés sous un tas de mensonges et de silences complices. (…)
« Le meurtre de Nahel est loin d’être la seule cause [des émeutes]. Il en est le catalyseur, l’étincelle tombée sur d’énormes réserves de matériaux explosifs qui se sont constituées, au fil des années, à coup d’humiliations, de discriminations, de stigmatisations, de racisme d’Etat, de violences policières, de chômage et de misère en tout genre.
« Comme en 2005, le gouvernement et ses relais médiatiques versent des larmes de crocodile sur les voitures et les bus incendiés. Ils y voient une occasion de mobiliser l’opinion publique contre les jeunes émeutiers. (…) La droite et l’extrême droite s’efforceront de tirer un profit politique de la situation – au nom de “l’ordre”, de la “sécurité” et même, naturellement, de “la République” (bourgeoise).
« Dans ce contexte, la gauche et le mouvement syndical ne doivent pas se cantonner au rôle d’observateurs et de commentateurs. Il faut donner aux événements un contenu de classe clair. Les organisations du mouvement ouvrier doivent tout faire pour mobiliser l’ensemble des jeunes et des travailleurs dans une lutte massive contre l’Etat bourgeois, contre le gouvernement, contre la répression policière et judiciaire de la jeunesse. Des manifestations et des rassemblements massifs doivent être organisés, dans les quartiers populaires, pour donner à la révolte de la jeunesse l’expression la plus organisée, la plus consciente et la plus efficace possible. Ceci permettrait à l’ensemble des populations de ces quartiers – et non seulement les plus jeunes – de participer au mouvement. Dans le même temps, cela couperait l’herbe sous les pieds des politiciens réactionnaires qui stigmatisent la “violence” des émeutiers et s’efforcent de tourner l’opinion publique contre ces derniers.
« Le lien doit être établi, expliqué, martelé, entre le harcèlement policier que subit la jeunesse des quartiers les plus pauvres, d’une part, et d’autre part la politique anti-sociale du gouvernement contre laquelle des millions de personnes se sont mobilisées depuis le mois de janvier. Ce sont deux aspects du même problème, du même système d’exploitation et d’oppression, de la même domination d’une classe de parasites richissimes sur l’écrasante majorité de la population. C’est cette classe capitaliste qui sème la misère, le chômage et le chaos. C’est cette même classe qui contrôle l’appareil d’Etat, sa police, ses institutions judiciaires. C’est encore elle qui possède et contrôle les grands médias dont l’une des missions centrales est d’alimenter sans cesse la propagande raciste, sous n’importe quel prétexte. C’est donc contre cette classe et son système – le système capitaliste – que le mouvement ouvrier doit s’efforcer d’orienter la colère qui explose, une fois de plus, dans la jeunesse la plus opprimée du pays. Nul doute que si le mouvement ouvrier parle un langage révolutionnaire à cette jeunesse, elle y répondra avec enthousiasme et énergie. »
« Refonder la police » bourgeoise ?
Malheureusement, les dirigeants de la gauche et du mouvement syndical ne sont pas du tout à la hauteur de la situation. Ils n’ont pas pris la moindre initiative pour tenter de donner une expression plus organisée et politiquement plus élevée, plus consciente, à la colère des jeunes émeutiers. Ils n’ont pas tenté de mobiliser d’autres couches de la jeunesse et du salariat. Au pire, ils « condamnent les violences » – à l’unisson du gouvernement, de la droite et de l’extrême droite. Au mieux, ils bavardent sur le thème d’une « refonte de la police républicaine ».
Par exemple, le communiqué confédéral de la CGT, le 1er juillet, « condamne les violences » (des jeunes) et, pour tenter de se distinguer de la droite, propose de « refonder notre police républicaine et son lien à la population, avec l’engagement d’un travail de fond en matière de formation, de management et de directive de maintien de l’ordre ». Voilà à quoi se ramène toute la sagesse des dirigeants réformistes du plus puissant syndicat ouvrier du pays : à l’objectif de « refonder notre police » – pardon, notre police « républicaine » !
« Notre » police ? La police de la CGT ? La police des travailleurs, des exploités et des opprimés ? Ce « notre », à lui seul, trahit une confusion fatale. A toutes fins utiles, rappelons quelques vérités élémentaires aux dirigeants confédéraux de la CGT (et à ceux de la France insoumise). Dans un régime capitaliste, fût-il « républicain », la police – comme l’armée et le système judiciaire – est au service de la bourgeoisie. C’est la police de la bourgeoisie, et d’elle seule. La police est l’un des principaux piliers de son appareil d’Etat, dont la fonction fondamentale est de défendre le pouvoir et les privilèges de la classe dirigeante.
Conscients de ce rôle, les dirigeants archi-réactionnaires des syndicats de policiers ne manquent pas de le rappeler vertement à la bourgeoisie lorsque celle-ci, redoutant une explosion sociale incontrôlable, est contrainte de critiquer publiquement les « excès de zèle » de la police. C’est précisément ce à quoi on assiste. D’où le double discours au sommet de l’Etat : d’un côté, le gouvernement s’est dit « choqué » par la vidéo du meurtre de Nahel ; de l’autre, il félicite chaudement la police et multiplie les courbettes en direction des dirigeants d’Alliance Police Nationale, d’UNSA-police et autres organisations d’extrême droite.
La lutte des classes va s’intensifier sous l’impact de la profonde crise du capitalisme, de l’inflation et des contre-réformes drastiques dont la bourgeoisie française a besoin. Cette dernière aura donc aussi besoin d’une police solidement déterminée à intimider, réprimer, violenter. Et c’est le moment que choisissent les dirigeants de la CGT pour se tourner vers la classe dirigeante et lui proposer de « refonder notre police républicaine » !
Les dirigeants de la CGT et de la France insoumise ont raison d’exiger l’abrogation de la loi Cazeneuve de 2017 sur le « permis de tuer ». Mais il ne faut pas s’imaginer que l’abrogation de cette loi mettrait un terme aux meurtres policiers. Du fait de son rôle objectif sous le capitalisme, la police est fatalement un nid de racistes et de réactionnaires endurcis. De manière générale, la police bourgeoise ne pourra pas être « refondée » dans un sens progressiste. La police bourgeoise sera brisée, pulvérisée, en même temps que la bourgeoisie sera chassée du pouvoir, que ses moyens de production seront expropriés et que la société sera refondée sur des bases socialistes. Toute autre perspective est un bavardage réformiste qui sème de dangereuses illusions dans notre classe.
Sommaire
Les mésaventures de l’« apaisement » - Edito du n°72
Austérité, précarité, maltraitances : la galère des étudiants infirmiers
Casse de l’hôpital public : le cas d’école du CHAC, en Ariège
La crise de la médecine libérale
« Le business des crèches privées est une catastrophe » - Interview
EDF renationalisée… au profit des capitalistes
Le mouvement ouvrier français et la loi de programmation militaire
Naufrage de l’Andrianna : un crime du capitalisme
Turquie : pourquoi Erdogan a été réélu ?
La pollution plastique : les faits et les chiffres
Enthousiasme et détermination au Congrès national de Révolution
La crise des relations internationales et les tâches des communistes
La classe ouvrière a-t-elle disparu ?