Lundi, Gabriel Attal a fait savoir aux agriculteurs mobilisés que des mesures les concernant seraient annoncées prochainement. Le lendemain, les agriculteurs – saoulés de promesses creuses – ont élargi la mobilisation. Les blocages d’autoroutes se multiplient et le mouvement pourrait encore s’étendre au cours des prochains jours.
Le gouvernement, les Républicains, le RN et le grand patronat du secteur agricole – qui contrôle la FNSEA – parlent délibérément des « agriculteurs » et du « monde paysan » comme s’il s’agissait d’un bloc homogène ayant les mêmes intérêts. Il n’en est strictement rien. Il y a tout un monde entre le multi-millionnaire Arnaud Rousseau, président de la FNSEA, dirigeant de nombreuses entreprises, dont la multinationale Avril – et le petit producteur lourdement endetté, soumis à la concurrence internationale, spolié par la grande distribution et dont les revenus nets, à la fin du mois, sont souvent inférieurs au Smic.
Les gros bonnets du secteur agricole ne sont pas à l’initiative de ce mouvement, qu’ils s’efforcent à présent de contrôler et d’instrumentaliser à leurs propres fins. De son côté, le gouvernement redoute que la mobilisation de la « base » échappe totalement au contrôle de la FNSEA – et, au passage, déclenche une mobilisation de la classe ouvrière. Le spectre des Gilets jaunes flotte à nouveau sur l’Elysée. C’est ce qui explique l’extrême prudence du gouvernement à l’égard des agriculteurs mobilisés. Le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, a déclaré qu’« aucune évacuation des blocages par les forces de l’ordre n’est prévue à ce stade car il n’y a pas de dégradations ». Darmanin a même ajouté qu’« on n’envoie pas les CRS sur des gens qui souffrent ». Il faut croire que les innombrables grévistes et manifestants réprimés par les CRS, ces dernières années, ne souffraient pas suffisamment aux yeux du ministre de l’Intérieur !
Les petits producteurs mobilisés ne doivent accorder aucune confiance à ce gouvernement et aux dirigeants de la FNSEA, car ceux-ci s’entendront, en fin de course, pour resserrer le nœud qui étrangle les agriculteurs les plus pauvres. Leurs seuls véritables alliés sont les salariés des villes et des campagnes, qui eux aussi subissent de plein fouet la crise du capitalisme, la crise inflationniste, la politique réactionnaire du « gouvernement des riches » et les conséquences de la guerre en Ukraine. Un chiffre suffit à le souligner : en 2023, pendant que les prix agricoles reculaient de 10 %, les prix de l’alimentation augmentaient de 8 % dans les supermarchés. Dans le même temps, sans surprise, les profits des grands groupes du secteur – et de la grande distribution – battaient de nouveaux records.
Les organisations du mouvement ouvrier doivent intervenir dans cette lutte sur la base d’un programme radical qui s’attaque à la racine des problèmes et permette d’unir les travailleurs et les paysans pauvres dans une lutte commune contre l’ennemi commun : le grand patronat agricole, industriel et bancaire.
La solution aux problèmes des petits agriculteurs ne réside pas dans tel ou tel réajustement des normes environnementales (que les plus gros producteurs contournent), de la fiscalité agricole (dont les mêmes s’exonèrent de mille façons) ou de la répartition des subventions européennes (dont les mêmes, toujours, captent l’essentiel). Comme l’environnement, le secteur agricole est malade du capitalisme : le caractère international du mouvement des agriculteurs en témoigne. Seuls le renversement de ce système et la réorganisation de la production sur la base d’une planification rationnelle et démocratique, dans l’intérêt du plus grand nombre, permettront aux petits agriculteurs de vivre dignement de leur travail et de leurs compétences.
Si l’on ne veut pas que les démagogues d’extrême droite instrumentalisent la colère des agriculteurs sur la base de revendications nationalistes et réactionnaires, le mouvement ouvrier doit lutter pour l’expropriation des banques, des grands groupes de l’agro-industrie et des multinationales de la grande distribution – qui tous contribuent sans cesse à appauvrir non seulement la masse des petits agriculteurs, mais la masse de la population en général. Ces mots d’ordre rencontreraient un puissant écho dans de larges couches du monde agricole – et contribueraient à diviser le « monde paysan » suivant une ligne de classe.