A l’heure où nous bouclons ce journal, il est clair que les annonces de Gabriel Attal, le 26 janvier, n’ont pas suffi à désamorcer la mobilisation des agriculteurs. A part sur la question du gazole non routier, ils n’ont rien obtenu de très concret. Le Premier ministre a « débloqué » 50 millions d’euros par-ci et par-là ; il a promis de « simplifier » ceci et de « moins contrôler » cela ; il a multiplié les tapes dans le dos et les formules creuses. Mais après tant de phrases, le paysan pauvre qui calcule son revenu, en fin de mois, voit bien qu’il n’a pratiquement pas bougé.
Sur la question des prix agricoles, Gabriel Attal a annoncé « trois sanctions très lourdes » contre des entreprises « importantes » qui ne respectent pas la loi censée protéger les petits agriculteurs contre des ventes à perte de leur production. Il a également promis de « mettre une pression maximale dans les négociations » entre petits et gros – de façon à ce que les gros, à l’avenir, cessent d’écraser les petits. C’est une mauvaise plaisanterie. Le soi-disant « charisme » de Gabriel Attal peut bien sidérer des éditorialistes de droite, mais il n’est pas assez puissant pour neutraliser les lois de l’offre et de la demande sur un marché ouvert aux quatre vents de la concurrence internationale.
Faux amis
Le gouvernement, les Républicains, le RN et le grand patronat du secteur agricole – qui contrôle la FNSEA – parlent délibérément du « monde paysan » comme s’il s’agissait d’un bloc homogène. Il n’en est strictement rien. Il y a un gouffre entre le multi-millionnaire Arnaud Rousseau, président de la FNSEA et dirigeant de la multinationale Avril (entre autres) – et le petit producteur endetté, confronté à la concurrence mondiale, spolié par la grande distribution et dont les revenus nets sont souvent inférieurs au Smic.
Les gros bonnets du secteur agricole n’étaient pas à l’initiative de ce mouvement, qu’ils s’efforcent à présent de contrôler et d’instrumentaliser. De son côté, le gouvernement redoute que la mobilisation de la « base » échappe totalement au contrôle de la FNSEA – et, au passage, déclenche une mobilisation de la classe ouvrière. D’où l’extrême prudence du ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin : « aucune évacuation des blocages par les forces de l’ordre n’est prévue à ce stade », a-t-il déclaré. Il a même ajouté qu’« on n’envoie pas les CRS sur des gens qui souffrent ». Il faut croire que les nombreux grévistes et manifestants réprimés par les CRS, ces dernières années, ne souffraient pas assez aux yeux du ministre de l’Intérieur !
Ceci étant dit, les appels au « siège de Paris » et au « blocage » du marché de Rungis pourraient contraindre le gouvernement à prendre le risque d’un affrontement musclé avec les agriculteurs. Ce serait lourd de conséquences potentiellement explosives.
La seule voie
Les petits exploitants mobilisés ne doivent accorder aucune confiance à ce gouvernement et aux dirigeants de la FNSEA. Leurs seuls véritables alliés sont les salariés des villes et des campagnes, qui eux aussi subissent de plein fouet les conséquences de la crise du capitalisme. En 2023, pendant que les prix agricoles reculaient de 10 %, les prix de l’alimentation, dans les rayons, augmentaient de 8 à 14 % (selon les modes de calcul). Dans le même temps, les profits des grands groupes du secteur – et de la grande distribution – battaient des records.
A gauche, les dirigeants réformistes rivalisent d’imagination pour avancer des « solutions » aux problèmes des petits exploitants sur la base du capitalisme. Mais de telles solutions n’existent pas. En 1935, dans une critique de la direction réformiste de la CGT (déjà), le révolutionnaire Léon Trotsky écrivait : « il faut nous arrêter sur une question d’une gravité exceptionnelle : la question paysanne. Tout le monde en parle, tout le monde proclame la nécessité d’améliorer la situation des paysans, mais il y a beaucoup de malins qui voudraient préparer aux paysans une omelette sans casser les œufs du grand capital. »
Précisément : le mouvement ouvrier doit intervenir dans cette lutte en expliquant aux petits exploitants qu’il faut « casser les œufs du grand capital », c’est-à-dire mener une lutte commune pour l’expropriation des banques et des grands groupes de l’énergie, de l’agro-industrie et de la distribution – qui tous contribuent sans cesse à appauvrir non seulement la masse des petits agriculteurs, mais la masse de la population en général. Ce mos d’ordre rencontrerait un puissant écho dans de larges couches du monde agricole et contribuerait à le diviser suivant une ligne de classe.
Le secteur agricole est malade du capitalisme. Seuls le renversement de ce système et la réorganisation de la production sur la base d’une planification rationnelle et démocratique, dans l’intérêt du plus grand nombre, permettront aux petits agriculteurs de vivre dignement de leur travail et de leurs compétences.