En décembre dernier, les députées Nicole Dubré-Chirat (EPR) et Sandrine Rousseau (EELV) ont rendu public un Rapport d’information sur « la prise en charge des urgences psychiatriques » en France.

Ce long document dresse un tableau très alarmant de l’évolution de la « santé mentale » de la population et de la prise en charge des individus confrontés à une situation de souffrance psychique aiguë.

Les deux phénomènes sont liés en un cercle vicieux : plus la prise en charge se dégrade, plus s’accumulent et s’aggravent les situations de crise psychique – et plus celles-ci, en retour, pèsent lourdement sur un système de soins inadapté et submergé.

Ceci dit, il est évident que les énormes carences de la prise en charge de la souffrance psychique ne sont pas – tant s’en faut – la seule cause de la dégradation de la « santé mentale » de la population. Très en amont de ces carences, les mille et une conséquences de la crise du capitalisme se combinent, s’amplifient et soumettent la vie psychique des masses à des pressions toujours plus fortes, délétères et insoutenables.

Quelques chiffres

Toutes les générations sont touchées, mais la jeunesse est en première ligne de cette régression. D’après le Rapport d’information, « chez les 18-24 ans, la prévalence des épisodes dépressifs est passée de 11,7 % à 20,8 % entre 2017 et 2021, soit + 77 % en quatre ans ».

Sans surprise, les femmes sont les plus affectées : « les hospitalisations liées aux gestes auto-infligés (tentatives de suicide et auto-agressions) chez les femmes âgées de 10 à 19 ans ont progressé de 133 % depuis 2020 et de 570 % depuis 2007 ».

En conséquence, la consommation d’antidépresseurs, d’anxiolytiques et d’autres médicaments psychotropes augmente nettement dans la jeunesse : en 2023, « 936 000 jeunes de 12 à 25 ans ont bénéficié du remboursement d’au moins un psychotrope », soit + 18 % par rapport à 2019.

L’industrie pharmaceutique se frotte les mains : plus les gens souffrent, plus elle fait de profits. La manne est colossale : le Rapport d’information souligne que « la santé mentale représente aujourd’hui le premier poste de dépenses pour l’assurance maladie, largement devant les cancers, soit 26,2 milliards d’euros ou 14 % des dépenses. »

Austérité et profits

L’hôpital psychiatrique n’échappe pas aux politiques de destruction des services publics – au profit du privé – que les syndicats de toute la Fonction publique dénoncent depuis des décennies.

Entre 2008 et 2022, près de 7000 places de prise en charge à temps complet ont été supprimées dans les services de psychiatrie. C’est catastrophique, mais pas pour tout le monde : le Rapport d’information précise que « les hôpitaux publics et privés à but non lucratif ont perdu près de 10 400 places depuis 2008 », tandis que « près de 3700 places étaient créées dans le secteur privé lucratif ». Or, lorsque le secteur privé « lucratif » ouvre des lits, c’est uniquement (et par définition) dans la mesure où ils sont profitables.

Ils sont même très profitables, selon le Rapport d’information : « la psychiatrie est la discipline la plus rentable du secteur privé lucratif. Ainsi, les cliniques psychiatriques ont dégagé en 2022 un résultat net de 8,7 % (après 9,1 % en 2021). La rentabilité y est en moyenne trois fois supérieure à celle des cliniques spécialisées en médecine, chirurgie et obstétrique ». En outre, ici comme ailleurs, le secteur privé se réserve les activités les plus rentables, cependant que « les hôpitaux publics assurent à la fois l’activité de permanence des soins et la prise en charge des patients les plus sévères ainsi que les hospitalisations sous contrainte ».

Bref, dans le secteur de la « santé mentale » aussi la bourgeoisie nationalise les pertes et privatise les profits.

Saturation et hypocrisie

Le Rapport d’information décrit en détail comment la pénurie de moyens et de structures adéquates aboutit à une saturation chaotique de la prise en charge des individus en situation de détresse psychique. Un certain nombre de ceux qui ne sont pas pris en charge, ou trop mal, finissent à la rue ou en prison. Par ailleurs, on assiste à une hausse des « soins sans consentement » et, plus généralement, de toutes les « mesures restrictives et privatives de libertés » (« contention », « isolement », etc.).

Face à un tel désastre, « une action publique ambitieuse est impérative », affirme le Rapport d’information. Les deux députées formulent une série de « préconisations » louables et qui, dans l’ensemble, impliqueraient des milliards d’euros de dépenses publiques supplémentaires. Hélas, le gouvernement actuel veut faire la même chose que les précédents : couper massivement dans les dépenses publiques, y compris dans le secteur de la santé. Soit l’exact contraire de ce qu’impliquent les « préconisations » platoniques du Rapport d’information.

La députée Nicole Dubré-Chirat, qui signe ce document, est bien placée pour le savoir, elle qui soutient le gouvernement actuel et a soutenu tous les gouvernements austéritaires présidés par Macron depuis 2017.

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