Il existe en France une large couche de travailleurs refusant de subir l’austérité et qui le prouvent par leur opposition frontale à la classe dirigeante et son gouvernement. Le printemps et l’été 2014 ont vu la multiplication de grèves combatives. C’est un avertissement sérieux à la classe dirigeante française.
Cheminots : une lutte exemplaire
La grève reconductible des cheminots contre le projet de privatisation du système ferroviaire, en juin, a constitué le fait le plus remarquable de la dernière période. Porté par les militants de la CGT Cheminots et Sud Rail, il a surtout impliqué les conducteurs et les contrôleurs. Il s’est prolongé sur plus de dix jours, bien au-delà de ce qu’attendaient le gouvernement et la direction de la SNCF – mais aussi les directions syndicales. Même si la contre-réforme est finalement passée, les travailleurs en lutte y ont exprimé un refus catégorique de négocier le moindre recul, qu’il s’agisse de leurs conditions travail ou du caractère public de la SNCF.
Les cheminots ont eu recours aux meilleures traditions du mouvement ouvrier : grève reconduite chaque jour en assemblée générale, piquets de grève, blocage du trafic, diffusion de tracts aux usagers, manifestations locales et nationales. Durant plusieurs jours, le sort d’un secteur important de l’économie française était entre les mains de ses travailleurs.
Cette radicalité a suscité l’enthousiasme de nombreux travailleurs et militants. La manifestation interprofessionnelle à l’initiative des cheminots, le 22 juin à Paris, a vu la participation de nombreux autres salariés en lutte. Spontanément, ce rassemblement autour des cheminots a été interprété comme un moyen d’exprimer la même détermination, le même refus de toute concession à la classe dirigeante.
Radicalisation
Les conflits et les grèves de cette année se sont durcis et, parfois, installés dans la durée. Fin juin, les salariés de la compagnie maritime SNCM étaient en grève reconductible. Là aussi, les travailleurs s’opposaient à la privatisation rampante de leur outil de travail et à la sous-traitance. Pendant plusieurs semaines, à Marseille et en Corse, les navires sont restés à quai.
Les intermittents du spectacle s’organisent depuis mars pour refuser un nouveau recul du système d’assurance-chômage, qui menace leur existence même. En juin, le gouvernement a agréé l’accord conclu entre le patronat et trois organisations syndicales. Les intermittents, autour de la CGT Spectacle, ont répondu par la grève et ont sérieusement perturbé de nombreux festivals, cet été.
Les grèves se multiplient également à La Poste. La privatisation de ses activités oblige la direction à s’aligner sur une gestion typiquement capitaliste : fermeture de centres postaux, contrats précaires, gel des salaires, suppression de milliers d’emplois et augmentation consécutive des rythmes de travail. Ce contexte explique le succès de la grève des postiers des Hauts-de-Seine (92). Revendiquant la titularisation de travailleurs précaires licenciés, cette grève est partie de Rueil-Malmaison et s’est étendue à tout le département, suscitant la solidarité de travailleurs d’autres secteurs. Malgré la fermeté et les sanctions de la direction de La Poste, les travailleurs ont gagné, après 173 jours de lutte. Pour les postiers et l’ensemble des travailleurs, c’est une nouvelle preuve que seule la lutte paie.
Partout, la détermination des travailleurs est visible. De nouvelles couches de militants commencent à trouver le chemin de lutte, notamment dans le secteur privé. La « crise bretonne » de fin 2013 l’a montré. Aujourd’hui, les menaces de grèves se multiplient dans les hôpitaux, les écoles primaires, la petite enfance, les collectivités territoriales et chez Air France – entre autres.
L’expérience de la crise
Les leçons à tirer de ces luttes sont importantes. Les revendications sont souvent les mêmes : opposition aux privatisations, aux fermetures, aux licenciements, à la diminution ou au gel des salaires et des prestations sociales. Elles ont en commun le refus par les travailleurs de payer pour la crise du capitalisme. Mais elles expriment aussi la volonté de durcissement de la riposte des travailleurs face à la fermeté systématique des patrons ou du gouvernement. Ceci est d’autant plus remarquable que le chantage à la compétitivité, en période de crise, constitue généralement un frein aux luttes. Mais la crise a commencé en 2008 ; cela fait donc déjà six ans – et même bien plus – que les travailleurs de France se sentent sacrifiés sans voir s’éclaircir l’horizon.
La classe dirigeante française va intensifier « sa » lutte de classe. Elle est poussée dans cette direction par le double effet de la crise mondiale et du déclin spécifique du capitalisme français. Loin d’être une « lubie patronale », l’absence d’investissement est une conséquence de la crise de surproduction. Si l’on y ajoute la chute de la consommation et le fardeau de la dette publique, tout redémarrage de l’économie semble impossible à court terme. La croissance est à 0 % au 2e trimestre 2014 ; elle ne dépassera pas les 0,5 % à la fin de l’année. Pour tenter de réduire les déficits, le gouvernement sera obligé de lancer d’autres « plans d’économies » bien supérieurs aux 50 milliards sur trois ans annoncés, tout en transférant des dizaines de milliards dans les poches des capitalistes. En vrais parasites, ceux-ci n’ont recours qu’à la spéculation et à la ponction d’argent public pour sauvegarder leurs marges de profits dans un marché mondial en crise. Le capitalisme français n’a rien à créer ni à redistribuer.
Cela signifie des sacrifices supplémentaires pour les travailleurs. Pour ce faire, le patronat a l’intention d’user jusqu’à l’os le gouvernement « socialiste » et les directions syndicales. L’expérience de la crise montre aux travailleurs l’absence de marges de négociations, l’impasse du syndicalisme de concertation et la faillite du réformisme politique au gouvernement. C’est aussi cette prise de conscience qui s’exprime à travers l’actuelle radicalisation des luttes.
La direction du mouvement
En cherchant à élargir, voire à généraliser les luttes, la base militante a envoyé un signal à ceux qui sont censés jouer ce rôle, en premier lieu les directions confédérales. Les cheminots en lutte ont critiqué le manque de soutien des centrales syndicales. Ils ont dénoncé à juste titre l’attitude conciliatrice du secrétaire général de la CGT, Thierry Lepaon, qui a publiquement cherché une solution de compromis dès les premiers jours de grève. Le mouvement était alors en phase ascendante sur la base d’un rejet pur et simple de la « réforme ». Lepaon a donc envoyé un signal démobilisateur non seulement aux cheminots eux-mêmes, mais à l’ensemble de la classe ouvrière française. Les directions syndicales sont en retard sur le mouvement général de notre classe sociale.
Le constat est également politique. Un sentiment d’indifférence, voire de « trahison », prévaut chez de nombreux travailleurs envers les forces politiques qui sont censées leur faire écho. Ce constat dépasse le cadre du seul PS, gouvernemental ou « frondeur ». Par exemple, en pleine grève des cheminots, le chef du groupe communiste à l’Assemblée nationale, André Chassaigne, les a appelés à reprendre le travail sous prétexte qu’il avait fait adopter un amendement « important » à la contre-réforme du rail. Or en réalité, cet amendement ne changeait pratiquement rien au contenu de cette loi, si bien que Chassaigne et son groupe ont voté contre.
Les militants les plus conscients des enjeux ont été scandalisés par l’attitude de Chassaigne. C’est un élément à intégrer à la crise du Front de Gauche. Mélenchon a tort de proclamer que le Front de Gauche n’a rien à dire sur les stratégies syndicales. L’enracinement « populaire » de la gauche politique ne s’improvise pas autour de regroupements électoraux sans principes avec des éléments plus ou moins en froid avec le gouvernement. Elle doit être construite avec patience et détermination dans les luttes en cours et à venir.
Il est remarquable de constater que cette radicalisation des luttes a lieu dans une période de déclin économique, toujours difficile pour le mouvement ouvrier, qui doit se défendre. Or, à moyen terme, une reprise momentanée de l’économie interviendra : les carnets de commandes se rempliront et les patrons embaucheront, au lieu de licencier. On peut s’attendre à ce qu’une telle évolution de la conjoncture, même courte et modérée, provoque une explosion de grèves offensives de la part des travailleurs, après une période de sacrifices.
L’exemple de la longue récession des années 30, aux Etats-Unis, est à ce titre éclairant. Après une période de luttes isolées, mais radicales, le mouvement ouvrier américain avait multiplié les grèves offensives lors d’une courte phase de reprise, au milieu des années 30. Il avait été définitivement battu par la mobilisation de guerre. La guerre impérialiste mondiale elle-même constituait, pour le capitalisme américain, la porte de sortie de sa crise de surproduction.
Réarmons notre classe !
La gravité de la crise signifie que, sous le capitalisme, les travailleurs seront confrontés à des décennies d’austérité. Ce n’est pas la guerre impérialiste qui menace la classe ouvrière française, dans l’immédiat. Par contre, le capitalisme français pratique déjà dans les faits une guerre généralisée à tous les salariés. Bien que faible et sans soutien dans la population, le nouveau gouvernement est décidé à appliquer avec fermeté l’agenda des capitalistes.
Or la spontanéité a ses limites : il faut organiser une réponse à la hauteur des enjeux et réarmer notre classe. Dans un premier temps, les militants des organisations syndicales et du Front de Gauche devraient pousser leurs directions à préparer concrètement l’organisation d’une grève générale. Elle rencontrerait un écho formidable auprès des travailleurs les plus conscients, de ceux qui sont déjà en lutte – et bien au-delà. C’est urgent, mais ce n’est possible qu’en s’appuyant sur un programme ambitieux susceptible d’unir tous les perdants du système. Le problème n’est donc pas de fixer la date de la grève, mais d’être déterminé et d’avoir une stratégie et un programme à la hauteur des coups portés.
Cependant, c’est seulement sur la base de l’indépendance de classe et du développement d’une alternative à la gestion réformiste du système que les travailleurs pourront sortir de l’impasse du capitalisme. Révolution est aux côtés des travailleurs en lutte, pour contribuer à donner cette perspective révolutionnaire à une classe ouvrière qui relève déjà la tête en France et dans le monde entier !