E n juillet 2012, notre ministre du redressement productif, Arnaud Montebourg, était très fier d’accueillir l’usine d’Amazon et ses 1 100 nouveaux emplois, à Chalon-sur-Saône. Il est venu en personne se féliciter de l’installation du nouveau centre logistique du géant du commerce en ligne. Cependant, il ne s’est pas déplacé pour les 1 500 emplois perdus chez Virgin, confronté à la concurrence de l’« e-commerce ». Les 16 000 salariés de la FNAC ont également du souci à se faire : les bénéfices de l’entreprise ont été divisés par deux en quelques années.
Bien sûr, on ne va pas pleurer pour les capitalistes de ce secteur, qui se gorgent de profits depuis des années. Mais le fait est qu’Amazon pose un problème au marché. Il ne crée pas d’emplois, au final ; il en détruit. Et ce n’est qu’un début. Amazon est en grande mutation. Désormais, il propose de tout : de l’article de cuisine aux vêtements de sport en passant par des poupées pour petites filles. Il est en concurrence avec tout le monde et compte bien gagner. Tous les commerces « classiques » sont en danger.
Amazon a toujours implanté ses usines dans des endroits où le chômage fait des ravages. Par humanisme ? Non. Toute la politique managériale du groupe repose sur la pression que le chômage exerce sur les salariés. Les éléments perturbateurs peuvent être facilement remplacés. Sur les 1 100 salariés de Chalon-sur-Saône, la moitié sont des intérimaires auxquels on fait de fausses promesses d’embauche en CDI – avant de les dégager. Amazon garde la main sur ses ouvriers en les mettant en concurrence et en exploitant la misère au maximum. La « Charte » de l’entreprise affirme que « seuls les leaders peuvent rester ». Autrement dit : « seuls les soumis peuvent rester ; les leaders syndicaux : dehors ! »
Les conditions de travail sont dignes de Germinal de Zola. Imaginez un entrepôt constitué de taule, tel un hangar à poulets, et qui ferait, en surface, l’équivalent de neuf stades de foot. Vous ne rentrez pas dans une usine, mais dans une prison. A chaque entrée et sortie, des vigiles fouillent corporellement les salariés avec des détecteurs de métaux. Partout, dans l’entrepôt, des messages de propagande dignes de 1984, le roman de George Orwell, nient les conditions de travail inhumaines. Par exemple : « travailler dur, avoir du plaisir, écrire l’histoire ».
A l’intérieur, il y a ceux qui sont chargés d’aller prendre les marchandises. Ils sont munis d’un scanner wifi et GPS afin de flasher les colis en question. Ces scanners permettent aussi aux managers de leur donner leurs ordres de commande et de les localiser exactement afin de calculer en direct la vitesse de l’ouvrier. Les moins performants sont licenciés.
L’usine ne ferme jamais. Il arrive donc régulièrement que ces ouvriers marchent toute une nuit – ou toute une journée – et parcourent ainsi plus de 20 kilomètres. Une fois le colis transporté, on le donne à un autre ouvrier qui se tient debout devant une table et fait des cartons pendant huit heures. Il ne doit pas bouger de sa place afin de maintenir la cadence.
L’objectif de tout bon capitaliste est de réduire au minimum ses dépenses pour un maximum de profit. Autrement dit, de moins en moins d’ouvriers pour un maximum de fric. Combien de petits commerçants, de petites librairies et disquaires allons nous voir encore disparaître ? Les gros mangent les petits : voilà la fable préférée du capitalisme. Mais ensemble, les salariés, nous sommes plus gros qu’eux : prouvons-le.