L’allocution télévisée de François Hollande sur le cas de Leonarda suscite un feu nourri de critiques et de sarcasmes. Il y a d’abord ceux, à gauche, qui soulignent le cynisme abject de la proposition faite à la jeune lycéenne expulsée du pays. Puis, surtout à droite, il y a ceux qui se scandalisent de voir le plus haut représentant de l’Etat « négocier publiquement avec une jeune fille de 15 ans ». Jean-François Copé, par exemple, déclare que « François Hollande a porté un coup terrible à l’autorité de l’Etat ».
Comme nous l’expliquions à l’époque de Nicolas Sarkozy, dont les frasques et l’« hyper-présidence » inquiétaient son propre camp, la question de la « fonction présidentielle » est loin d’être secondaire, du point de vue de la classe dirigeante. L’architecture complexe de la Ve République a été conçue pour protéger au mieux le régime dans des périodes de grande instabilité sociale. Or, dans cette architecture, le président doit apparaître comme se tenant au-dessus de la mêlée, des partis, des classes et des intérêts particuliers, de façon à prétendre incarner les « intérêts supérieurs » du pays, ses « valeurs fondamentales » et autres solennelles balivernes, lors d’une crise sociale.
De ce point de vue, il est clair que François Hollande a mis les pieds dans le plat, samedi dernier. Pourquoi ? Par bêtise ? Par ignorance ? Evidemment pas. Ce qui a poussé le chef de l’Etat à la faute, c’est la magnifique mobilisation spontanée de milliers de lycéens, dans les rues de Paris et d’autres villes, pour protester contre l’expulsion de Leonarda et Khatchik. Immédiatement, le gouvernement et la société « officielle » ont montré les signes d’une certaine fébrilité. Manuel Valls est rentré d’urgence de Martinique. Les grands médias ont passé leur temps à expliquer que les lycéens étaient des imbéciles manipulés par le Front de Gauche et les syndicats. Des ministres, des dirigeants du PS et jusqu’à la compagne du président ont publiquement critiqué la façon dont Leonarda avait été expulsée, voire l’expulsion elle-même. L’intervention de François Hollande était à la fois l’expression de cet accès de fièvre et une tentative d’y mettre un terme.
« Les mouvements lycéens, on sait quand ça commence, mais on ne sait ni quand, ni comment ça se termine », expliquait vendredi un journaliste d’I-Télé. Précisément. C’est le cœur de l’affaire. S’il prend une dimension de masse, un mouvement lycéen peut très rapidement rallier les étudiants. Or, dans le contexte actuel, un puissant mouvement de la jeunesse, que personne ne contrôle ni ne canalise, peut finir par déclencher une mobilisation de la classe ouvrière, la force décisive de la société, dont l’exaspération ne cesse de croître. L’histoire de France est riche en exemples d’un tel scenario. Face à l’incapacité du gouvernement à endiguer la flambée du chômage, l’épidémie de « plans sociaux » et le développement de la grande misère, d’énormes quantités de matériel inflammable s’accumulent dans les profondeurs de la société. François Hollande, ses ministres et la classe dirigeante dont ils défendent les intérêts sont assis sur un volcan. Ils le savent – et ne font pas entièrement confiance, pour les protéger, aux mécanismes raffinés de la Ve République. D’où la tentation de passer outre ses dispositions, sa hiérarchie et ses prérogatives, dans le but d’éteindre un début d’incendie.
L’intervention télévisuelle de François Hollande sera probablement oubliée dans quelques semaines. Il n’empêche qu’elle est une manifestation – mineure, peut-être, mais flagrante – d’un phénomène inhérent à la crise organique du système capitaliste : la crise du régime.