La persécution de Julian Assange, fondateur de Wikileaks, la condamnation à 35 ans de prison de l’ancien militaire américain Manning et l’exil forcé d’Edward Snowden montrent l’acharnement des autorités contre ceux qui osent lever ne serait-ce qu’un coin du voile sur la réalité des Etats prétendument « démocratiques ». Lénine disait qu’il ne faut jamais évoquer la démocratie dans l’abstrait, mais toujours préciser sa nature de classe. L’idée qu’un Etat puisse servir toutes les classes, ou toute une « nation », est manifestement fausse, puisque la classe capitaliste et la classe qu’elle exploite ont des intérêts inconciliables. Les révélations d’Edward Snowden sont une preuve sans appel de cette vérité fondamentale.
Snowden est un ancien employé de la CIA et de la NSA. En juin et juillet 2013, il a rendu public, dans le Guardian et le Washington Post, des informations expliquant le fonctionnement des systèmes de surveillance de masse utilisés par les services secrets, notamment américains et britanniques, en précisant que son objectif était « de dire au public ce qui est fait en son nom et ce qui est fait contre lui ». La réaction du gouvernement américain a été particulièrement virulente. Le 22 juin, Snowden a été inculpé d’espionnage et de vol. Il savait pertinemment que s’il tombait entre les mains des autorités américaines, il ne sortirait jamais de prison. Il a expliqué que les services spéciaux de l’Etat américain vont jusqu’à l’assassinat de personnes susceptibles de dévoiler des informations compromettantes. L’isolement total imposé à Manning est une forme de torture psychologique. Le comportement courageux de Snowden lui fait honneur. En apportant les preuves irréfutables de ses déclarations, cet homme a rendu un grand service à tous ceux qui, comme lui, cherchent à ouvrir les yeux des populations sur la macabre réalité des objectifs et méthodes des services secrets.
Sur la base des informations fournies par Snowden, le Guardian a publié un premier article expliquant que l’opérateur téléphonique Verizon livre chaque jour la totalité des données téléphoniques en sa possession relatives aux appels nationaux et internationaux. Une ordonnance de justice secrète oblige tous les opérateurs à fournir ces informations, et lorsque l’un d’eux, Lavabit, a refusé d’obtempérer, il a été contraint de liquider son activité. Les responsables de Microsoft, Apple, Yahoo, Facebook, etc., rencontrent régulièrement des officiers de liaison de la CIA et de la NSA pour partager des informations et leur faire part de leurs observations. Les principales entreprises informatiques aux Etats-Unis intègrent dans leurs logiciels des portes d’entrée cachées à la disposition des services secrets. Un puissant programme de surveillance, PRISM, permet au FBI et aux services secrets de suivre facilement, et si besoin est en temps réel, la correspondance et toute l’activité informatique de pratiquement tous les utilisateurs de la planète. Un autre système, dénomméBoundless informant (« informateur sans frontières »), permet de suivre et d’analyser les appels téléphoniques à une échelle comparable.
Avec de tels systèmes, les Etats-Unis peuvent espionner en direct toutes les communications et toute l’activité informatique des gouvernements – alliés et ennemis – ainsi que des parlements, personnalités politiques, instances militaires, entreprises, etc. Mais les Etats-Unis ne sont pas les seuls à se livrer à l’espionnage à grande échelle. Par exemple, on sait, grâce à Snowden, que le Royaume-Uni a mené une opération d’espionnage contre les participants au G20, à Londres, en 2009. Toutes les communications téléphoniques et informatiques y étaient interceptées.
Si le gouvernement français s’est dit consterné d’apprendre que ses « alliés » l’espionnaient ainsi, il s’est montré coopératif dans la poursuite de Snowden. Soupçonnant qu’il pouvait être dans l’avion du président bolivien, Evo Morales, Hollande lui a refusé le droit de survoler le territoire français. Hollande est notoirement obséquieux dans ses relations avec le pouvoir américain, mais cela n’explique pas tout. La volonté de réduire Snowden au silence s’explique surtout par le fait que ce dernier doit nécessairement posséder des informations hautement compromettantes pour l’Etat français. Par exemple, combien de militants oppositionnels les services secrets français ont-ils livrés aux tortionnaires de dictateurs « amis » tels que Saddam Hussein ou Muhammar Khadafi ? Quels sont les rapports entre les services secrets américains et les dirigeants les plus en vue du Parti Socialiste ? Autant de questions auxquelles Snowden, ou d’autres, pourraient apporter des réponses explosives…