Fuite des riches à l’étranger, exil forcé, politique fiscale confiscatoire : selon le MEDEF, la France est devenue un enfer, non pas pour les chômeurs, les précaires, les salariés et les retraités, mais pour les plus gros détenteurs de capitaux, de patrimoines et de rentes. Echapper aux griffes du Fisc est l’idée fixe des gros possédants, largement aidés dans ce domaine par des cabinets d’affaires spécialisés (comme ceux de Messieurs Borloo et Copé, par exemple).
Les médias nous rapportent de pathétiques exils de grands capitalistes, sportifs ou acteurs. Qu’en est-il en réalité ? Dans une Europe où la concurrence fiscale permet aux très hauts revenus et patrimoines d’élire domicile dans un pays où l’impôt serait plus clément, y a-t-il vraiment un mouvement d’exil fiscal hors de France ?
Le ministère des Finances est assez avare en chiffres, dans ce domaine. Mais certaines données ont été publiées en 2010 concernant l’impôt sur la fortune (ISF). Selon ces données, 846 redevables de l’ISF ont quitté la France en 2006, c’est-à-dire avant le déclenchement de la crise financière, contre 719 en 2009 et 821 en 2008. Mais comme il y a eu aussi des retours, le solde net n’est plus que de 620 départs en 2006, 479 en 2007 et 509 en 2008. Et pour l’année 2011, selon une évaluation des mêmes sources, seuls 128 de ces contribuables auraient décidé de quitter le territoire national.
Au total, la proportion des départs de personnes assujetties à l’ISF est restée stable, autour de 0,12 % au cours des années qui ont précédé la crise. En 2009 et 2010, ce chiffre est passé à 0,15 %. Autrement dit, 99,85 % des redevables de l’ISF ont préféré rester chez eux. En outre, le manque à gagner lié aux départs ne représente que 0,5 % des recettes totales de l’ISF. Il est vrai qu’en France l’évasion fiscale se fait facilement à partir de chez soi ; elle n’impose pas de faire ses valises.
Matraquage fiscal des riches ?
Plus qu’une réalité, le soi-disant « matraquage fiscal » conduisant à l’exil des riches relève surtout d’une bataille idéologique animée par les politiciens procapitalistes et relayée par les experts et médias allant dans leurs sens.
Et là, ces gens sont sans vergogne. En effet, entre 2000 et 2010, une chose est sûre : les gros possédants ont été choyés sur le plan fiscal. Sur cette période, le taux marginal supérieur de l’impôt sur le revenu, c’est-à-dire le taux appliqué au revenu de la dernière tranche, a chuté de 53 à 40 %. A quoi se sont ajoutées les multiples niches fiscales et, à partir de 2007 (ère Sarkozy), un bouclier fiscal garantissant aux plus aisés qu’en aucun cas l’addition de la CSG, de l’impôt sur le revenu, de l’impôt sur la fortune et de la taxe d’habitation ne pourrait dépasser 50 % de leurs revenus. Pour ceux qui estiment que 50 %, c’est déjà beaucoup, rappelons que les revenus concernés sont en général de plusieurs millions d’euros par an…
En 2011, la droite a été quelque peu contrainte de revenir sur cette tendance, car les comptes publics avaient été plombés par 10 ans de baisses d’impôts. L’élection de François Hollande a aussi entraîné une légère inflexion avec un retour aux anciens taux plus élevés de l’ISF, un impôt sur le revenu un peu plus progressif (de 40 à 45 %), une légère élévation du niveau de taxation des cessions d’entreprise, une taxe exceptionnelle de 75 % (non appliquée, car retoquée par le Conseil constitutionnel)…
Alors, accablement et répression fiscale des riches ? Eh bien non : les niches fiscales sont toujours là et l’évasion fiscale aussi. Le taux marginal d’imposition des plus hauts revenus reste inférieur à la plupart des pays voisins, les grosses successions ne sont pas touchées comme elles devraient l’être. Donc, pas de panique ! Les gros possédants peuvent dormir tranquilles.
Mais alors, si leurs capitaux ne sont guère touchés, les riches vont pouvoir investir, entreprendre ? Après tout, c’est l’argument le plus souvent repris : « si on les taxe trop, les riches ne vont plus investir en France ». Or, non ! Ils n’investissent pas. Ou plutôt, ils préfèrent les placements spéculatifs.
Alors que les revenus du patrimoine ne représentent en moyenne que 2 à 3 % des ressources des 90 % des Français les plus modestes, ils pèsent la moitié de celles des 0,01 % les plus riches. La rente occupe donc une place de premier plan dans le monde des riches. Le Crédit Suisse recense chaque année, au niveau mondial, le nombre d’adultes possédant un patrimoine supérieur à 1 million de dollars. Selon les calculs de cette banque, la France rassemble 8 % de ces grosses richesses, ce qui la place au 3e rang mondial. Mais d’où vient le patrimoine de ces quelque 2 millions de personnes ? Le plus souvent, non pas des revenus accumulés par le travail des intéressés, mais… de l’héritage.
Ainsi, parmi les 15 milliardaires français qui apparaissent dans le classement FORBES de 2012, 60 % doivent l’essentiel de leur patrimoine à leurs parents. On est bien loin de l’entrepreneur audacieux et créatif ! Tout cela, les politiques le savent parfaitement. C’est pourquoi il faut s’attaquer aux racines des inégalités, en sachant bien que si l’arme fiscale est importante, la maîtrise de la production et la gestion des richesses le sont encore plus.