Les manifestations de masse du 29 août et du 12 septembre à l’Île Maurice ont regroupé respectivement plus de 60 000 et 20 000 personnes à la suite de la marée noire provoquée par le naufrage du vraquier Wakashio le 25 juillet.
Mais le naufrage n’est en fait que la goutte d’eau qui a fait déborder le vase dû à des décennies de colère et de souffrance accumulée des masses mauriciennes. En effet, l’Île Maurice a subi de plein fouet la crise sanitaire et économique, ainsi que la récession mondiale.
La précarité progresse également, touchant près de 11 500 familles dont les revenus ne dépassent pas les 238 € par mois. Au sein de ces familles – dont beaucoup ne disposent pas d’eau courante, de gaz, ou encore d’électricité –, près de 40 % des enfants sont en échec scolaire dès le primaire. Les grossesses précoces sont courantes, avec une moyenne d’âge située entre 13 et 14 ans pour les mères – et des pères âgés de 18 à 20 ans.
Les habitations sont faites de tôles rouillées et fragiles, qui s’effondrent régulièrement sur les habitants à cause des nombreux cyclones contre lesquels le pays est mal préparé.
L’ile Maurice est considérée comme l’une des économies les plus dynamiques de l’Afrique subsaharienne, tout en ayant un déficit important de la balance commerciale. Mais la croissance ne se fait que par une augmentation de la dette de près de 7 %, alors que dans le même temps la récession avoisine les 13 % en 2020.
La dette était de près de 70 % du PIB en 2019. Elle est essentiellement due aux nombreuses aides fiscales destinées aux grandes compagnies étrangères venues profiter d’un taux d’imposition quasi inexistant et de crédits indiens, saoudiens ou encore chinois aux taux d’intérêt élevés. En 2020, et moins de 6 mois après l’état d’urgence sanitaire imposé par le gouvernement, elle plafonnait à près de 80 %.
L’économie dans la tourmente
Le tourisme a subi la crise de plein fouet alors qu’il représente près de 120 000 emplois directs et indirects et constitue près de 24 % du PIB. C’est une source très importante de devises étrangères, essentielle pour financer les importations et rétablir la balance commerciale.
Le transport aérien est également dans la tourmente avec la mise en redressement judiciaire de la compagnie publique Air Mauritius. Elle se retrouve incapable de faire face à ses obligations financières, exacerbées par les fluctuations des prix des devises et du carburant, enregistrant une perte nette de près de 15 millions d’euros en moins de trois mois.
Le gouvernement de « centre-gauche » de Pravind Jugnauth profite de l’état d’urgence sanitaire mis en place depuis fin mars pour détruire les déjà bien maigres acquis sociaux des travailleurs mauriciens.
Les congés payés annuels ont été réduits de moitié pour les travailleurs actifs et à 15 jours sur les 22 autorisés pour les employés en télétravail. Il devient également possible pour l’employeur de faire signer des accords de congés sans solde à ses futurs employés, toujours dans l’optique de maximiser l’exploitation et le profit généré.
Ces mesures visent à faire payer la crise à la grande majorité de la population plutôt qu’aux réels responsables, les capitalistes, qui profitent ouvertement de la crise économique et exhibent un profit ahurissant en pleine période de récession.
Ainsi, ce sont près de 9 milliards de roupies qui furent allouées aux entreprises par l’Etat. Dans le même temps, les directives bancaires sont allégées, alors que les banques proposent des emprunts à des taux d’intérêt très bas, favorisant bien plus les gros capitalistes que les petits entrepreneurs. Mais les mesures fiscales qui concernent la classe ouvrière se durcissent. De nouvelles taxes viennent s’imposer aux travailleurs, comme la CSG à 1,5 % pour les salaires en dessous de 50 000 roupies, qui démontrent la volonté des capitalistes à faire payer la crise aux travailleurs.
La corruption des dirigeants mauriciens et l’inscription du pays à la liste grise de l’OCDE ainsi qu’à la liste noire de l’UE – pour fraude, blanchiment d’argent et financement du terrorisme – indiquent clairement la voie empruntée par la bourgeoisie nationale et les rapports qu’elle entretient avec les autres acteurs économiques mondiaux : l’ile est un paradis fiscal de premier ordre, avec un taux d’imposition de 3 % permettant aux entreprises étrangères de se voir soumises à un régime fiscal dit « souple ». Le pays prélève ainsi des impôts minimes tout en exonérant la majeure partie des revenus générés hors territoire mauricien.
La gestion désastreuse de la marée noire
La marée noire n’est que la provocation de trop des capitalistes à l’égard des populations, mais elle présente les mêmes violences imprégnant le quotidien des masses mauriciennes : une biodiversité asphyxiée, une gestion catastrophique du navire par les autorités concernées, réagissant seulement 12 jours après le naufrage du navire au sud-est des côtes. Les navires de pêche et les petites embarcations de croisières ont été reconvertis en bateaux de pêche, les privant ainsi de leur seul gagne-pain, alors même qu’ils ne sont pas admissibles au chômage. L’offre du gouvernement de nettoyer à mains nues, sans aucune protection, les côtes noyées sous le fioul se fait au détriment de la sécurité, alors même que l’air alentour est intoxiqué par les particules lourdes qui s’échappent des effluves d’hydrocarbures. On dénombre déjà plusieurs cas d’insuffisances respiratoires et des brûlures graves pour ces esclaves du capital dépeints comme des héros par les médias nationaux.
L’abandon du bateau sur les récifs par les armateurs n’est, là encore, pas un hasard. Le navire ne pouvait pas trouver de repreneur sans frais de maintenance, d’assurance et de certification qui dépassaient largement le coût de rachat du navire.
Toutefois, l’abandon amenant avec lui un ensemble de litiges, qu’il s’agisse d’impayés de salaires auprès de l’équipage ou de dettes auprès des assureurs, il est bien plus judicieux de la part de l’armateur de disparaitre derrière une société-écran plutôt que de suivre les procédures légales.
Ainsi, bien que des outils juridiques mondiaux permettent un certain contrôle sur le commerce maritime, l’usage systématique de « pavillons de complaisance », qui rattachent le navire à l’administration maritime de l’état du pavillon, différent du pays du propriétaire, permet aux armateurs de s’exonérer des impôts et législations de leur pays.
La situation catastrophique est un pur produit d’un capitalisme pourrissant exacerbé par la récession, cherchant à faire payer aux masses les comportements des capitalistes eux-mêmes. La concurrence pousse les capitalistes à réduire les coûts par tous les moyens possibles, sans jamais prendre acte de leurs implications à long terme. Les récentes mobilisations de masses ont démontré la mise en mouvement de la classe ouvrière mauricienne. Mais en l’absence d’alternative révolutionnaire à gauche et sans programme clair, assurant de meilleures conditions de vie et un réel contrôle du pouvoir politique, le mouvement actuel ne peut que s’essouffler.