En avril dernier, le directeur du Programme Alimentaire Mondial de l’ONU (PAM) pour l’Afrique de l’Ouest, Chris Nikoi, déclarait : « L’aggravation de la situation de la sécurité alimentaire et de la nutrition en Afrique de l’Ouest est tout simplement déchirante ». Dans cette région du monde, 48 millions de personnes vivent actuellement en situation d’insécurité alimentaire. C’est quatre fois plus qu’il y a cinq ans.

De nombreux facteurs entrent en jeu dans ce drame, dont les sécheresses à répétition causées par le réchauffement climatique. Un autre de ces facteurs est trop souvent passé sous silence : la surpêche pratiquée par des chalutiers chinois, turcs, russes, coréens et européens dans les eaux ouest-africaines, qui sont parmi les plus poissonneuses du monde.

Chaque année, au moins 500 000 tonnes de petits poissons – principalement des sardinelles et des bongas – sont pêchés au large des côtes de l’Afrique de l’Ouest par des bateaux-usines dont les filets, qui s’étalent sur des kilomètres, prennent en une journée autant de poissons qu’un pêcheur artisanal en une année. Ils sont ensuite transformés en farines et huiles de poisson pour l’aquaculture et le bétail industriels en Europe et en Asie. Autrement dit, ces espèces surexploitées sont converties en nourriture pour les truites chinoises, les saumons norvégiens ou les porcins français. Tout ceci échappe aux populations locales et vient alimenter les profits d’une poignée de multinationales géantes, dont celles de la grande distribution (Auchan, Lidl, Carrefour, etc.).

Ces poissons sont la principale source de protéine animale pour 70 % des Sénégalais et pour la moitié des Gambiens. Mais leur consommation a été divisée par deux, au Sénégal, en seulement une décennie. Pourtant, les 500 000 tonnes de poissons pêchés par quelques multinationales, chaque année, permettraient de nourrir 33 millions de personnes, soit plus que les populations de la Mauritanie, du Sénégal et de la Gambie réunis.

Un marché en pleine expansion

Sur le demi-million de tonnes de poissons pêchés en Afrique de l’Ouest, 18 % sont destinés à l’alimentation porcine et 70 % à l’aquaculture. Celle-ci est d’ailleurs le secteur de la production alimentaire qui connaît la croissance la plus rapide au monde. Autrement dit, la prédation impérialiste des eaux ouest-africaines est loin d’être terminée.

A l’échelle mondiale, des milliards de poissons comestibles – précisément un cinquième des captures mondiales de poisson sauvage – sont détournés de l’alimentation humaine directe, chaque année, pour nourrir une industrie aquacole qui représente déjà plus de la moitié de la consommation mondiale de poisson. Cette part devrait passer à 60 % d’ici 2030, contre seulement 4 % en 1950 [1].

L’Union Européenne constitue l’un des principaux marchés de l’huile de poisson ouest-africaine. En 2019, la Mauritanie exportait plus de 70 % de sa production vers le marché européen, qui abrite plusieurs géants mondiaux de l’alimentation aquacole : Cargill Aqua Nutrition/EWOS, Skretting, Mowi et BioMar. En 2017, ces quatre premiers producteurs européens engrangeaient 3,3 milliards de dollars de bénéfices dans la vente d’aliments aquacoles [2].

En moins d’une décennie, les exportations – vers l’Asie et l’Europe – de farines et d’huiles de poisson depuis la Mauritanie, le Sénégal et la Gambie ont été multipliées par 13. Elles sont passées de 13 000 tonnes en 2010 à 170 000 tonnes en 2019, sachant qu’il faut cinq kilos de poissons frais pour produire un kilo de farine. Dans ces mêmes trois pays africains, on comptait au total 13 usines transformant les poissons en 2013, contre 50 en 2020, dont 39 en Mauritanie.

Les petits poissons massivement pêchés figurent au bas de la chaîne alimentaire marine et jouent un rôle déterminant dans la bonne santé de cet écosystème. La surpêche figure donc en bonne position parmi les nombreux facteurs de la crise environnementale. L’ONU estime que plus de la moitié des espèces marines de notre planète seront au bord de l’extinction d’ici 2100. En Mauritanie, par exemple, les scientifiques estiment que le stock de sardinelles est à son plus bas niveau historique [3].

Les multinationales de l’alimentation aquacole, de l’agro-alimentaire en général et de la grande distribution tirent des profits colossaux de ce racket permanent, tout à fait « légal » – et sur lequel l’ONU continuera sans doute d’écrire des rapports « déchirants », mais parfaitement impuissants et, au fond, hypocrites. En effet, ni l’ONU, ni les ONG ne règleront ce scandale humanitaire et environnemental, car il découle fatalement d’un système que ces organisations n’ont pas la moindre intention de remettre en cause : le capitalisme sous sa forme moderne (impérialiste). Seul le renversement de ce système, en Afrique et ailleurs, permettra aux populations ouest-africaines d’avoir accès à une nourriture abondante.


[1] FAO (2018) La situation mondiale des pêches et de l’aquaculture

[2] IntraFish (2018) The future of aquaculture feed: The supply trends and alternatives driving tomorrow’s industry

[3] UNESCO (2015) Faits et chiffres sur la biodiversité marine

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